Ahlem, 13 ans, violée par la loi !

Ahlem, 13 ans, violée par la loi !

 

La Tunisie, connue pour être  pionnière en matière des droits de  la femme et de l’enfance, voit sa réputation de plus en plus salie et son image écornée par la montée des menaces contre les  acquis des femmes et la violence faite à l’enfance.  Le code du statut personnel(CSP), adopté moins de cinq mois après l’indépendance, demeure une fierté nationale. De remarquables progrès ont été accomplis dans certains domaines, comme l’éducation notamment,  pour réduire les situations d’injustice et protéger les femmes. Mais dans le nouveau contexte politique et idéologique, les arguments d’égalité et de liberté sont parfois interprétés de manière tendancieuse, et s’exercent finalement au détriment des femmes plutôt qu’en leur faveur et leur émancipation se trouve, parfois remise en question, et  menacée par un retour en arrière. Soixante ans après la promulgation du CSP, on a, parfois, l’impression que la tâche reste immense, car ce sont plutôt, les mentalités, les croyances et les préjugés qu’il faudra changer et faire évoluer.

La Tunisie s’est également dotée d’une législation très avancée en matière de protection de l’enfance. Après avoir  ratifié la convention internationale relative aux droits de l’enfant, elle a été parmi les premiers pays à adopter un code de la protection de l’enfant promulgué en novembre 1995. Ce code   représente l’un des plus grands acquis pour la Tunisie. Il  « garantit à l’enfant le droit de bénéficier des différentes mesures préventives à caractère social, éducatif, sanitaire et des autres dispositions et procédures visant à le protéger de toute forme de violence, ou préjudice, ou atteinte physique ou psychique, ou sexuelle ou d’abandon, ou de négligence qui engendrent le mauvais traitement ou l’exploitation »( article 2).

« Il l'a violée une fois, la loi lui a permis de la violer chaque nuit»

Mais entre le droit et la réalité, il y a un fossé parfois très profond. L’affaire de l’adolescente keffoise de 13 ans qui a été violée par un jeune homme de 20 ans et qui, pour réparer ce crime, a été « forcée » par une décision de justice de l’épouser, est venue comme pour nous tirer de notre torpeur et attirer, encore une fois de plus, l’attention sur cette inquiétante dérive. Elle a suscité de vives critiques  provoqué l’émoi et l'indignation de beaucoup de Tunisiennes surtout, et soulevé des réactions réprobatrices. Le juge qui a émis cette décision a appliqué  à la lettre l’article  227 bis du code pénal qui stipule que « le mariage du coupable (violeur) avec la victime dans les deux cas prévus par le présent article arrête les poursuites ou les effets de la condamnation ». Toujours, selon le même article, son mari de viloeur pourrait la répudier dans deux ans. Qu’adviendrait-il, alors, de cette fillette en cas de répudiation ?

C’est pourquoi plusieurs voix se sont élevées pour appeler à l’annulation de ce mariage « forcé » et poursuivre le violeur en justice pour le faire condamner. Et pour abroger cet « article de la honte » afin de ne laisser aucune échappatoire pour les coupables. « Il l'a violée une fois, la loi lui a permis de la violer chaque nuit», lit-on dans une banderole  levée par des manifestantes devant le siège de l’Assemblée des représentant du peuple.

Ahlem n’est certainement pas la seule fille à avoir subie un tel sort. Elle n’a pas été violée par son « futur époux », mais aussi et  surtout par ses parents qui, pour  sauver leur « honneur », ont accepté de la donner en mariage à son violeur. Par cette « loi inique et scélérate » qui met en danger les droits de la femme et de l’enfant. Par cette société de plus en plus machiste et rétrograde.

Violences sexuelles contre les femmes et les enfants

Le 25 novembre dernier, on a célébré la « Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes ». L’occasion pour faire un bilan pas des acquis réalisés mais plutôt des atteintes aux droits de la femme et de la fille. Selon une l’Enquête nationale sur la violence à l’égard des femmes en Tunisie, réalisée par l’Office National de la Famille et de la Population, 78% des femmes ont subi des violences sexuelles. Mais ce qui est plus grave encore c’est que « 55% d’entre d’elles déclarent que la violence est un fait ordinaire qui ne mérite pas qu’on en parle. La peur d’aggraver sa situation et la pudeur d’en parler ont été avancées, mais beaucoup moins fréquemment. Les femmes semblent être résignées car elles n’attendent de l’aide de personne dans 73% des cas ». Une manière de s’avouer  « vaincue » et d’accepter ce traitement comme une fatalité. L’ampleur et le caractère sexiste des insultes subies par les femmes dans la rue, les transports en commun et  les espaces publics ainsi que le harcèlement sexuel sont monnaies courantes.

Ces violences touchent également les enfants qui subissent des agressions sexuelles, souvent caractérisées. Le nombre de victimes est passé de 262 en 2013 à 601 en 2016, et 33% de ces violences représentent des agressions sexuelles directes, tandis que 51% sont des harcèlements sexuels contre des enfants. L’UNCEF rappelle que « les  violences sexuelles contre les enfants sont une réalité mondiale à travers tous les pays et les groupes sociaux. Elles prennent la forme d'abus sexuels, de harcèlement, de viol ou d'exploitation sexuelle dans la prostitution ou la pornographie ». L’affaire du pédophile français qui avait abusé sexuellement de 41 enfants tunisiens, parmi 66 autres de différentes nationalités et qui n’a pas  encore été élucidée, a suscité l’indignation des Tunisiens.

Ce constat doit nous interpeler  tous et nous amène à se poser des questions sur ces dérives qui menacent l’intégrité de notre société gagnée par le machisme et la violence.

B.O

 

 

 

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