Déconstruire la propagande de Daesh: un des éléments de la lutte antiterroriste

Déconstruire la propagande de Daesh: un des éléments de la lutte antiterroriste

 

Par Mehdi Jomâa et Javier Lesaca

 

Nous publions ci-après l’article rédigé et présenté, récemment, par M. Mehdi Jomâa et M. Javier Lesaca lors d'un forum organisé par le Club de Madrid

Le 12 septembre 2016, 15 jeunes ont été exécutés en Syrie dans la ville Al Mayadin. La ville se trouve à deux heures de route de la frontière avec l’Irak. Depuis Juillet 2014, le groupe terroriste Daesh contrôle d’une main de fer la municipalité.

Les victimes avaient moins de 20 ans pour la plupart. Une unité du groupe terroriste Daesh les a arrêtés en pleine rue, leur a menotté les mains et les pieds, les a habillés d’un uniforme orange, et les a emmenés dans l’abattoir de la ville. Puis, 3 bourreaux les ont accrochés par les pieds à l’aide d’une chaîne métallique et les ont ensuite égorgés à l’aide de couteaux, un par un. Le dernier des otages était agenouillé, de manière à l’obliger à regarder le spectacle macabre de ses 14 compagnons se faisant décapiter. Puis, il est décapité à son tour.

Toute la scène a été filmée par une équipe de production et de communication audiovisuelle professionnelle, disposant d’équipements de qualité : caméras digitales de haute résolution, logiciels d’édition et de design graphique coûteux. La vidéo a été filmée et enregistrée début septembre 2016 mais diffusée le 12 septembre, le même jour de l’Aïd El-Idha, une date à la symbolique importante.

Le meurtre abject de ces 15 jeunes habitants d’Al Mayadin représente, une tragédie humaine irréparable, un profond blasphème face aux principes de l’Islam et un affront direct à l’esprit de l’Aïd. Par conséquent, cette vidéo de Daesh n’avait pas pour but de séduire un public modéré, ni même d’envoyer un message religieux.

Au contraire, l’analyse des vidéos et de l’iconographie de Daesh nous amène à une autre conclusion. Le groupe terroriste Daesh, dirigé par Abu Bakr al-Baghdadi était conscient, dès la première minute, que la bataille pour séduire les cœurs et esprits de l’opinion est aussi importante que les victoires guerrières sur le terrain.

Les terroristes ont utilisé cette exécution pour produire une vidéo s’inspirant de films familiers à fortes audience, dans l’objectif de rendre leurs pratiques macabres imitables. Par exemple, les scènes de décapitation de jeunes Syriens ont montré une ressemblance claire avec des scènes du film « Hostel ». Autre exemple, la première minute de la vidéo montre une succession d’images du film d’action « Mission Impossible : Rogue Nation ».

Depuis Janvier 2014, jusqu’à la mi-Septembre 2016, le groupe terroriste Daesh a enregistré, édité et diffusé plus de 1308 vidéos de propagande, soit une moyenne de plus d’une vidéo par jour. Cette donnée révèle que le groupe terroriste Daesh est l’organisation terroriste qui a le plus investi de temps, ressources et efforts dans la communication.

Que dit Daesh dans ces vidéos? Une bonne analyse doit nous permettre de comprendre la stratégie politique et sociale du groupe terroriste en regardant de plus près les thèmes qu’ils choisissent pour essayer de séduire leur audience. L’analyse des 1308 vidéos de Daesh démontre qu’il y a 4 grands thèmes récurrents.

Le thème le plus récurrent, retrouvé dans 33% des vidéos, consiste dans des entretiens avec des jeunes venus du monde entier expliquant dans des langues différentes pourquoi ils ont décidé de rejoindre Daesh. Le dirigeant du groupe terroriste n’apparait qu’une seule fois. L’analyse de ces données démontre que les terroristes veulent donner la fausse impression que Daesh serait un mouvement spontané où le pouvoir est à la base, contrairement à des structures traditionnelles verticales et hiérarchiques.

Le deuxième thème le plus récurrent consiste à donner la fausse impression que Daesh serait une armée victorieuse et puissante. 27% des vidéos mettent en scène des actes de guerre où les terroristes affrontent des soldats en Syrie, Irak, Kurdistan, Libye, Egypte. La plupart de ces vidéos de guerre sont produites et éditées avec des techniques et équipements audio-visuels récents, tels que des caméras Go-Pro, des drones et des logiciels d’édition digitale qui donnent l’impression au spectateur de participer à un jeu vidéo.

Le troisième thème le plus récurrent utilisé par Daesh cible directement les populations sunnites de l’Iraq et de la Syrie, dans l’objectif de créer un nouveau contrat social à leur endroit. 24% des vidéos relatent les actions locales du groupe terroriste Daesh dans les localités qu’il contrôle.

Enfin, le quatrième thème le plus récurrent, avec 15% des vidéos, consiste en des images explicites de violence. Au moins 50% de ces scènes explicites de violence sont inspirées de films d’actions et jeux vidéo connus et populaires auprès des audiences les plus jeunes.

Les méthodes et thèmes de Daesh s’inscrivent dans une volonté inquiétante d’habituer l’audience aux scènes les plus inhumaines, de diffuser leur propagande et de recruter, et de faire tout cela de la manière la plus efficace possible.

Avec en 2015 une augmentation du nombre de morts causés par le terrorisme de 80%, gouvernements et démocraties de par le monde s’échinent à trouver la réaction appropriée. En complément de la réponse sécuritaire, nous devons analyser la propagande Daesh d’une manière méthodique pour comprendre la stratégie politique, sociale et militaire de ce groupe terroriste qui cause aujourd’hui une menace mondiale. A cette analyse devra s’ajouter le leadership politique et la sagesse de lancer des campagnes bien étudiées reposant sur des valeurs et principes clairs à promouvoir. Dans ce cadre, le Club de Madrid, qui regroupe des leaders de 69 nations, et dont la mission est de promouvoir la démocratie, de lancer l’initiative « Leaders telling a different story ». Cette dernière contribution en date du Club de Madrid est soutenue par la Commission Européenne. Ce projet a pour objectif de contrer, avec méthode, les récits violents et extrêmes de Daesh et développer des campagnes et messages alternatifs efficaces en partenariat avec les médias, les gouvernements et la société civile.

De cette manière, analyser avec méthode et détail la propagande de Daesh et bâtir les réponses et messages appropriés, nous permettra de déconstruire sa propagande,  et de la défaire entre autres sur le champ de bataille communicationnelle et culturelle conjointement à la bataille sécuritaire.

Signé par

Mehdi Jomaa, ancien chef du gouvernement tunisien et membre du Club de Madrid

Javier Lesaca, chercheur, School of Media and Public Affairs, George Washington University

Sources:

http://www.huffpostmaghreb.com/mehdi-jomaa/des-preuves-scientifiques-pour-combattre-letat-islamique_b_12250250.html?utm_hp_ref=tunisie&ncid=fcbklnkfrhpmg00000006

http://www.huffingtonpost.com/mehdi-jomaa/scientific-evidence-for-d_b_12...

 

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