Gare à la diabolisation des entrepreneurs, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain

Gare à la diabolisation des entrepreneurs, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain

 

Le président Kaïs Saïed qui veut frapper les esprits et montrer qu’il œuvre pour le bien du peuple tunisien a fait ces derniers jours deux descentes, l’une dans un dépôt frigorifique où sont entreposés des fruits et légumes en attente de leur écoulement sur les marchés et l’autre dans une entreprise de matériaux de construction où il a trouvé des quantités de fer de construction, une marchandise en rupture de stock pour cause de spéculation.

Même si les deux affaires sont de nature différente, le chef de l’Etat y a trouvé le moyen de fustiger les spéculateurs et les « affameurs du peuple ». Si la motivation est légitime, quand bien même on peut y déceler une dose de populisme, ces découvertes ne doivent pas nous faire perdre la raison pour jeter l’opprobre sur l’ensemble des hommes et des femmes d’affaires.

La grande majorité d’entre eux travaillent dans la légalité et contribuent de façon significative à créer les richesses et emploient des centaines de milliers de cadres et d’ouvriers leur donnant ainsi l’attribut de la dignité dont sont encore privés des milliers de Tunisiens surtout des jeunes.

Selon l’universitaire Abdelkader Boudriga le secteur privé formé de quelques 680.000 entreprises de toutes les tailles assure environ 60% du Produit Intérieur Brut c’est-à-dire de la richesse nationale produite dans le pays, 80% des emplois, 60% des investissements et 90% des efforts de financement. Ce qui est énorme et montre l’ampleur du rôle majeur qu’il joue dans l’économie nationale et dans la paix sociale. Puisque par le jeu des transferts sociaux, la création des richesses donne lieu à leur répartition, ce qui bénéficie à l’ensemble du corps social, d’autant plus que des négociations sociales sont périodiques entre les partenaires sociaux, ce qui permet des augmentations salariales de façon quasi-ininterrompues tant au niveau des salaires minima (SMIG et SMAG) que des salaires plus élevés. Le secteur privé organisé est assujetti comme on le sait à la fiscalité.

Si le président de l’UTICA, Samir Majoul estime que la Tunisie est un « enfer fiscal » en raison de la pression fiscale exercée sur les entreprises et les personnes physiques, l’une des plus élevées en Afrique (où elle dépasse de 15 points la moyenne du continent), son vice-président Hichem Elloumi, a affirmé que la pression fiscale pèse lourd sur les entreprises et les individus. D’après lui, la contribution du secteur privé aux recettes fiscales de l’Etat représente 74% des recettes de l’Etat réparties entre impôt direct sur les sociétés (50%) et impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) payé par les entreprises privées (24%). De plus les entreprises paient la contribution patronale à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS), laquelle se calcule au taux de 16,57% du salaire brut base de calcul de la contribution du salarié.

Evidemment, si le secteur informel est devenu majoritaire dans le pays puisqu’il représenterait 60% de l’économie nationale, ce n’est évidemment pas la faute aux entrepreneurs ni aux hommes et femmes d’affaires qui travaillent dans la légalité et qui eux sont pénalisés puisqu’ils doivent contribuer au train de vie de l’Etat par une part plus élevée, à cause précisément de la concurrence d’un secteur informel qui échappe au contrôle de l’Etat et qui lui ne paie pas d’impôts.

Il importe dès lors de ne pas faire des mélanges du genre et mettre tout le monde dans le même sac, comme on le fait actuellement. En effet tous les hommes et femmes d’affaires sont considérés comme des voleurs et des escrocs et il leur revient de prouver le contraire. Tout individu ayant comme profession sur son passeport « gérant de société » est, paraît-il, interdit de voyager ou passible de « consultation » auprès des services concernés.

Ceci jette l’opprobre sur tout le secteur. La punition collective est évidemment inacceptable, car ne l’oublions pas, la faute est individuelle et toute personne est redevable des faits qui pourraient lui être reprochés. C’est la base même de la justice et de l’Etat de droit.

Même si le pays vit une situation exceptionnelle, ces principes ne doivent pas être perdus de vue. Car sinon c’est la voie ouverte à tous les abus.

Homme ou femme d’affaire ne veut pas dire affairiste. La différence est énorme car l’un est entrepreneur, investisseur, employeur, payeur d’impôt e contributeur à la richesse nationale, quand l’autre n’est plus ou moins qu’un profiteur sans loi ni foi. Il importe de faire la part des choses, sinon en cas de confusion on peut jeter le bébé avec l’eau du bain.

Et on ne trouvera plus cette race d’hommes et de femmes qui entreprennent, prennent des risques et créent les richesses et des emplois pour le plus grand nombre de leurs compatriotes.

RBR

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