Maîtres, SVP de la raison et de la mesure !

Maîtres, SVP de la raison et de la mesure !

 

Quand on lit le communiqué publié par l’Ordre National des Avocats de Tunisie en réaction au projet de loi des Finances 2017, on est surpris par le ton véhément pour ne pas dire virulent qui le caractérise de bout en bout. On y lit des termes choquants comme le fait de qualifier le projet de loi des Finances de non-patriotique et qu’il peut mettre en péril la stabilité sociale du pays en raison de ses incidences catastrophiques sur le barreau. Sans parler de ces verbes qui donnent un goût amer du genre : dénoncer, condamner et autres du même acabit. La chute est particulièrement violente puisqu’on y parle de l’incapacité des gouvernements successifs à traiter les problèmes économiques et sociaux, ce qui ne justifie pas l’attaque sauvage contre les catégories appauvries du peuple et du barreau tunisien à travers le projet non-patriotique de la loi des finances 2017.

La colère est mauvaise conseillère et il est certain que le communiqué a été écrit sous le coup de la colère. Mais quand on apprend que la réunion du bureau de l’Ordre national des avocats a mis six heures pour nous gratifier de ce texte, on est en droit d’être inquiet. Car pour diaboliser cette profession noble il n’y a pas mieux que ce genre de communiqué dans la situation particulièrement difficile que traverse la Tunisie.

Personne ne peut contester le rôle joué par les avocats dans toutes les phases décisives de l’histoire nationale. Les avocats ont été les fers de lance du mouvement de libération nationale. Les grands leaders ont été dans leur grande majorité des avocats en commençant par le plus illustre parmi eux, Habib Bourguiba. Ce sont aussi des avocats qui ont donné leurs lettres de noblesse à l’action politique par leur patriotisme et leur dévouement au service de la patrie. Ce sont également des avocats qui ont été à l’avant-garde du combat en faveur des droits de l’homme. Si la Tunisie peut s’enorgueillir de disposer de la plus ancienne ligue de défense des droits de l’homme en Afrique et dans le monde arabe, on le doit surtout à des avocats de talent. Cette profession a été aussi à l’origine du triomphe de la révolution de la liberté et de la dignité en 2010-2011. Personne ne peut oublier cette manifestation des hommes et femmes en robe noire devant le Palais de Justice dans les derniers jours du soulèvement qui allait emporter le régime autoritaire de Ben Ali. Au cours des six dernières années ce sont aussi des avocats qui ont donné un sens à cette étape décisive de l’histoire nationale. Le sacrifice suprême de Me Chokri Belaïd sur l’autel de la liberté retrouvée ne peut jamais être occulté. Le rôle primordial de Me Béji Caïd Essebsi premier président de la seconde république dans le rééquilibrage du paysage politique ne sera pas non plus oublié.

Dans ces conditions, on aurait souhaité trouver auprès de cette profession noble celle de la défense de la veuve et de l’orphelin selon l’image d’Epinal oh combien évocatrice, plus de raison et de mesure. L’esprit corporatiste qui émane de leur communiqué est dangereux et inquiétant. Dangereux car chaque corps de métier va, selon cette optique, défendre ses intérêts étriqués sans prendre en considération l’intérêt supérieur de la nation qui lui doit primer. Inquiétant dans la mesure que l’on va rentrer dans le cycle vicieux de l’escalade dont on sait quand il commence mais sans jamais savoir quand il va se terminer et surtout où il va mener.

C’est par le dialogue et rien que le dialogue que tout peut être réglé. A ce qu’on sache, le gouvernement n’a jamais fermé les portes du dialogue. Pressé par des délais constitutionnels, il a déposé son projet sur le bureau de l’assemblée et celui-ci comme son nom l’indique n’est encore qu’un projet. Les députés où figurent des avocats de talent a toute latitude de modifier le texte quand les arguments sont valables.

Le corps des avocats comme tous les corps de métier a l’obligation de s’acquitter de son devoir fiscal. La solidarité et la justice sociales sont à ce prix. Le communiqué laisse malheureusement transparaître le contraire. Il est impérieux que cette impression soit modifiée. Pour le bien de tous et en premier lieu, celui des avocats eux-mêmes. Car à l’évidence l’Ordre national des avocats a raté le coche cette fois-ci. Car ne l’oublions jamais, tout ce qui est excessif est insignifiant.

Raouf Ben Rejeb

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