Mouna Kraïem: "Révision de la loi relative à la cour constitutionnelle: teneur et perspectives" 

Mouna Kraïem: "Révision de la loi relative à la cour constitutionnelle: teneur et perspectives" 

Dans la nuit du 25 mars 2020, l'Assemblée des Représentants du Peuple a voté un projet de loi portant amendement de la loi organique n 50/2015 relative à la cour constitutionnelle, et ce, par 111 voix pour, 8 abstentions et 0 voix contre.

Pour y voir plus au sujet de la teneur de cette révision et des perspectives qu’elle peut éventuellement ouvrir afin de débloquer la situation de la crise politique du pays et permettre enfin à cette fameuse cour constitutionnelle de voir le jour, nous avons interviewé la professeure Mouna Kraïem (Docteur en droit public et Enseignante à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis).

Récit :

Espace Manager: Que prévoit ce projet d'amendement de la loi organique n 50/2015 relative à la cour constitutionnelle?

Mouna Kraïem: Les amendements proposés portent principalement sur les articles 10, 11 et 12 de la loi organique adoptée en 2015 et prévoient ce qui suit:

- Suppression de la règle de consécutivité établie par l'article 10 de la loi et en vertu de laquelle le Parlement devra choisir en premier les 4 candidats de la cour suivie par le conseil supérieur de la magistrature puis par le président de la République.

En vertu de la nouvelle version de l’article, les autorités sus-citées peuvent procéder au choix des membres de la cour sans attendre que le Parlement le fasse en premier.

- La majorité des 2/3 requise pour le choix des membres de la cour a été revue à la baisse.

A cet effet, 6 tours d'élection seront prévus pour les mêmes candidats.

L'élection au cours des trois premiers tours devant se faire à la majorité des 2/3 à savoir 145 voix.

Si au bout de ces trois premiers tours, aucun candidat n'est retenu, le vote se fera dans les trois tours suivants à la majorité des 3/5; à savoir 131 voix.

- Un nouveau paragraphe est ajouté à l'article 11 en vertu duquel les candidats présentent leurs candidatures directement à l'ARP et ne seront plus à cet effet proposés par les groupes parlementaires. C'est ce qui expliquerait l'absence de la règle de la parité dans la nouvelle version.

EM : Quelles seront les issues constitutionnelles pour les différents amendements proposés?

MK : Plusieurs scénarios sont à envisager puisque la Constitution de 2014 offre au président de la République trois armes dont il peut disposer à sa guise.

D'abord, le président de la République pourra en vertu de l'article 81 de la Constitution promulguer tout simplement le projet de loi et ordonner sa publication au journal officiel de la République tunisienne dans un délai ne dépassant pas quatre jours à compter de l'expiration des délais de recours en inconstitutionnalité et de renvoi sans que l'un d'eux n'ait été exercé. Les délais de recours étant de 7 jours et de renvoi de 5 jours.

Ensuite, et il s'agit de la deuxième hypothèse, le président de la République pourra saisir l'instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de lois pour inconstitutionnalité du projet d'amendement.

Sa saisine devant être motivée et présenter avec précision le ou les articles objet du recours. Si l'instance accepte le recours quant à la forme et quant au fond et déclare l'inconstitutionnalité du projet ou de certaines de ses dispositions, le projet est soumis dans ce cas par le président au parlement pour réexamen et vote conformément à la décision de l'instance.

Enfin, et il s'agit de la dernière hypothèse, le président pourra en vertu de l'article 81 de la Constitution renvoyer le projet d'amendement au Parlement pour une seconde lecture en motivant sa décision de renvoi.

EM : Que se passera-t-il dans ce cas ?

MK : Dans ce cas, le projet qui a été voté à la majorité absolue, soit 109 voix au minimum, requiert dans une seconde lecture un vote à la majorité des trois cinquièmes des membres. Ceci étant, même si le vote à la majorité qualifiée est obtenu dans la seconde lecture; ceci n'empêche pas le président de la République de saisir l'instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de lois pour inconstitutionnalité de tout le projet ou de certaines de ses dispositions.

EM : Le blocage peut-il demeurer ?!

MK : Oui, il convient de préciser dans ce cadre que même une déclaration de constitutionnalité du projet par l'instance n'empêche pas le président de la République de renvoyer le texte au Parlement pour une seconde lecture. Le projet sera donc trimballé comme une balle de ping-pong entre le président, le Parlement et l'instance; tout ceci conformément à la plus belle constitution du monde.

Finalement, la mise en place de la cour constitutionnelle ne dépend pas du texte mais du contexte !

E.M.

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