Pas de justice sociale sans justice fiscale

Pas de justice sociale sans justice fiscale

 

« Il n’y a pas de société sans impôt, donc pas de société juste sans impôt juste ».

L’impôt tire sa légitimité du fait qu’il permette de financer trois fonctions. La première est d’assurer la production des biens publics nécessaires au développement et à la cohésion sociale du pays (éducation, recherche, sécurité intérieure et extérieure, santé, protection de l’environnement, infrastructures, etc.). La deuxième est de redistribuer du revenu afin de corriger les inégalités (prestations sociales) ou d’assurer contre un risque social (retraites, assurance maladie, indemnisation du chômage). La troisième, enfin, consiste à agir sur l’activité économique, en la relançant en situation de récession ou en la freinant pour éviter la surchauffe.

Edwy Plenel écrivait que la fiscalité n’est pas l’ennemie de la liberté, qui comprend celle de s’enrichir. Mais elle civilise cette liberté individuelle en l’insérant dans une relation collective où chacun, à la mesure de ses moyens, contribue à la richesse nationale, afin qu’il y ait des écoles, des hôpitaux, des routes, etc…, dans l’espoir qu’ainsi personne ne sera laissé en dehors de la cité commune. C’est là un point fondamental car le premier objectif de la fiscalité est de financer l’action publique. Or en Tunisie, le citoyen ne voit aucune amélioration de son quotidien alors qu’on lui demande toujours de payer plus d’impôts !

Le budget 2017 en chiffres

Approuvé par le conseil des ministres, le projet de loi de finance 2017 table sur une croissance de 2,5%, (un rêve de l’esprit intenable) contre moins de 1,4% en 2016. Il prévoit de ramener le déficit public de 6,5 à 5,5% du PIB. Le déficit budgétaire est passé de moins de 1% en 2010 à 6,5% en 2015 après avoir culminé à plus de 7% en 2013. La part du budget d'investissement public passe dans la même période de 24 % à moins de 14% du total du budget. L'investissement global, rapporté au PIB, passe de 24% à moins de 15%. L'épargne passe de 21% à 13%. Quand on voit les hypothèses de calcul du gouvernement, à savoir une croissance de 2,5%, un dollar à 2,250 dinars et un baril à 50$, on peut avoir des sacrés doutes.

Par ailleurs, la Tunisie vit à crédit ces derniers à temps. Le gouvernement va emprunter 6,195 milliards de dinars de l’étranger pour financer son budget 2017 et 2460 MD, à travers l’émission de bons de trésor pour satisfaire des besoins en financement évalués à 8655MD. Le volume de la dette publique atteindra 2660 MD au terme de l’année 2017, soit l’équivalent de 63,8% du PIB contre 63% prévu pour toute l’année 2016 et 45,9% enregistré en 2015.

Quid de la justice fiscale ?

Ce budget prévoit malgré l'opposition de l’UGTT, un gel des salaires dans la fonction publique pour un moins une année, à condition qui plus est que la croissance atteigne 3% en 2017 (le rêve est permis !). L'UGTT réclame toutefois une meilleure « répartition des sacrifices » en critiquant le manque d’une véritable volonté politique du gouvernement pour lutter contre la corruption, la contrebande et l'évasion et fraude fiscales.  Les recettes de l’Etat dans un pays dépourvu de richesses naturelles (allez savoir) tel que la Tunisie proviennent en grande partie des impôts directs et indirects. La plus grande partie est supportée par les simples citoyens salariés contribuables et par l’économie structurée. En trayant sans cesse la vache à lait, on tue la poule aux œufs d’or. 

Si nous voulons sortir le plus rapidement de ce cercle vicieux et de l’ l’abîme où la Tunisie se trouve, il est  nécessaire de trouver d’autres sources de financement pour les recettes fiscales afin de pouvoir concrétiser la justice fiscale. Voici un exemple criant de fraude décrit par Mehdi Ben Gharbia le ministre des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les droits de l’Homme: « 8000 avocats que compte le pays, 3800 sont hors-la-loi puisqu’ils ne paient que 11 millions de dinars d’impôts sur les revenus. Il ajoute : ce n’est pas raisonnable qu’un avocat paie moins d’impôt qu’un instituteur. »

A rappeler que le total de l’impôt sur le revenu payé par les 8000 avocats s’élève à, à peine 11 millions de dinars, soit une moyenne mensuelle de 124 dinars  pour chaque avocat alors que l’enseignant au primaire paye 185, le professeur universitaire 400 et le juge 500 dinars.

Toute personne qui fait de l’évasion fiscale vole l’argent de tous les Tunisiens et cela tout le monde l’admet.

S’attaquer à la contrebande et à l’économie parallèle

« La fraude est à l'impôt ce que l'ombre est à l'homme », disait Georges Pompidou

On ne peut pas parler de justice fiscale en Tunisie en raison de la présence de la contrebande et d’une économie parallèle. Il est vital pour la survie du pays de  mener un combat sans merci afin de mettre fin à ce phénomène dangereux et mortel à la longue. D'après une estimation de la Banque Mondiale, le commerce illégal transfrontalier avec la Libye représente plus de la moitié du commerce officiel avec ce pays. L’illégal avec l’Algérie est  supérieur à l’officiel. L’ensemble dépasse le 1,8 milliard de dinars. Pis, les pertes en matière de droits de douane sont estimées à plus de 12% des recettes douanières soit 1 200 millions de dinars. Des chiffres qui font froid au dos : 73% des pneus, 80% des climatiseurs et 380 millions paquets de cigarettes par an, distribués et vendus en Tunisie, proviennent de la contrebande et du commerce parallèle ! Un manque à gagner pour le budget de l'État considérable. La réduction de cette économie informelle à des niveaux plus modestes est une nécessité. Elle passera surtout par une formalisation de ses composantes les plus vulnérables et une lutte sans merci contre ses têtes de réseaux mafieuses.

D’après Wided Bouchamaoui, « Ce fléau est un véritable cancer qui se propage à un rythme soutenu. Il ne cesse de s'étendre en termes de géographie et en matière de produits. Pour certaines activités, des entreprises formelles ont totalement disparu et des emplois décents perdus »,

Un politique fiscale pas volontariste!!

La dernière mesurette pour remplir les caisses presque vides est l’annonce tonitruante par Mehdi Ben Gharbia  de cette fameuse taxe de 1000 dinars annuellement appliquée pour les heureux détenteurs d'une maison avec piscine. Qualifiée de populiste par les uns, d'absurde pour d'autres, cette mesure a pour le moins fait réagir de nombreux Tunisiens. S’attaquer toujours aux mêmes ne peut qu’aboutir à appauvrir les classes moyennes ce qui promet une future faillite annoncée. On fait croire au peuple qu'on fait payer les riches. La sagesse fiscale, ce n'est pas parce que vous mettez un impôt sur les vaches que ce sont les vaches qui paient l'impôt. Rappelons que les dépenses salariales du gouvernement seront en augmentation de 4,2%.

Alors sacrifices mais pas pour tous où le dire et le faire du gouvernement ne vont pas ensemble. La Tunisie a besoin d’une vraie politique fiscale juste et équitable avec la  réalisation d’économies substantielles au niveau des dépenses de fonctionnement des  structures de l’état.

Reproduire les mêmes politiques libérales menées depuis des années ne fera que reproduire les mêmes situations, on l'a bien vu en Grèce, au Portugal et ailleurs en Afrique.

Rétablir l’égalité devant les impôts

Nul besoin de réinventer l’eau tiède et les fondamentaux de l’impôt. Ils existent, mais ils sont enfouis sous les décombres de la pensée néolibérale et du manque de volonté politique de ceux qui gouvernent le pays depuis 2011. Il s’agit avant tout de réhabiliter l'égalité devant l'impôt.

L’égalité des contribuables devant l’impôt doit être répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés. Il en va ainsi de l’égalité devant le contrôle fiscal, un principe lui aussi mis à mal et depuis longtemps en Tunisie. Elle passe donc aussi par une organisation efficace de la gestion du contrôle et du recouvrement de l’impôt. Enfin, elle suppose que les intérêts particuliers (les lobbies) n’interviennent pas dans l’élaboration du droit fiscal. La justice fiscale donne du sens à une vérité trop longtemps ignorée par les gouvernements libéraux : il n’y a pas de société sans impôt, donc pas de société juste sans impôt juste.

Tour à tour méprisée, confisquée ou ignorée, la question de la justice fiscale est désormais posée par ces temps de crise économique et sociale. En l’état actuel du débat fiscal, il est avant tout nécessaire de rebâtir les fondamentaux de l’impôt, profondément affectés.

A.K

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