Slim Besbes: "Nous sommes devant une véritable crise multidimensionnelle dans le bassin minier"

Slim Besbes: "Nous sommes devant une véritable crise multidimensionnelle dans le bassin minier"

 

L’économiste et ancien ministre des Finances, Slim Besbes, a accordé à Espacemanager une interview exclusive où il a évoqué plusieurs points dont le projet de la loi de finances 2020 en cours de discussion à l’ARP, la crise dans le bassin minier, le blocage de la production des phosphates et les défis du nouveau gouvernement de Habib Jomli.

Espace Manager: Selon certains experts, le projet de la loi de finances 2020 tel que présenté est dénué de tout esprit réformateur et de vision stratégique ? qu'en pensez-vous ?

Slim Besbes: Certainement oui, mais il faudrait en réalité situer le projet de loi de finances 2020 dans son contexte historique et politique : c’est un projet préparé par un gouvernement sortant, présenté à la nouvelle formation de l’ARP fraichement élue et destiné à être exécuté par une nouvelle équipe gouvernementale en cours de formation. Ce contexte spécifique ne pourrait jamais germer une loi de finances qui répond à ses objectifs classiques, à savoir, préserver l’équilibre budgétaire et assurer la continuité financière de l’Etat, d’une part ; et d’autre part, incarner les choix et les réformes afin de constituer un instrument efficace au service de la politique économique et social du gouvernement.

A mon avis le principal enjeu de la loi de finances 2020 est de permettre la transition financière de la gestion de l’Etat du gouvernement sortant vers le nouveau gouvernement. Ce dernier aura largement le temps, une fois il a arrêté son programme et ses priorités conjoncturelles et structurelles de les mettre en œuvre au sein d’une loi de finances complémentaire qui devrait être présentée à la nouvelle composition de l’ARP courant le premier semestre 2020.

Selon vous, l'enjeu aujourd'hui est politique ou économique ?

Il est très difficile dans la pratique de dissocier les sphères politiques et économiques, tellement ces deux mondes sont étroitement enchevêtrés. Certes la facture de la dégradation économique a été très alourdie par la survenance de deux évènements politiques inégalés dans notre histoire : une révolution sociale brutale et une transition démocratique relativement allongée et tourmentée. Mais, la solution ne pourrait être réduite par le dénigrement du politique et des politiciens. 

L’enjeu principal à mon avis est de rechercher la meilleure administration politique des dossiers économiques. Les éléments de réponses sont bien évidemment donnés par la structure de la nouvelle formation gouvernementale qui devrait respecter les impératifs suivants :

-Un gouvernement de convergence autour d’un programme économique solide plutôt qu’un gouvernement d’alliance autour d’une répartition des postes au pouvoir

-Un gouvernement dont les membres sont choisis en raison de leurs compétences et leurs capacités les prédisposant à réussir leur mission plutôt qu’un recrutement basé essentiellement sur l’allégeance aux parties ou toutes autres organisations.

-Une équipe gouvernementale solide et cohérente répondant aux impératifs de la synergie et de l’efficacité.

-Un plan de travail méthodique nourri par une vision claire, articulé autour d’un nombre limité d’axes stratégiques et opérationnalisé par des mesures minutieusement échelonnées dans le calendrier du mandat gouvernemental.

La crise dans le bassin minier et le blocage de la production en phosphates est un vrai problème pour la Tunisie. Quelle sera la solution idéale selon vous pour dépasser cette crise ?

La crise minière recèle depuis de longue date s’étendant au-delà de la révolution une crise sociale et une frustration régionale induite par l’incapacité de l’ancien régime à respecter l’impératif de l’équilibre régional. Le fait qu’ils soient obnubilés par le virus du régional centrisme, les gouvernants de l’ancien régime considèrent que toute capacité extra-centrique est une proie cible à leur convoitise. 

C’est ainsi qu’on s’est comporté usuellement avec les richesses minières de la région de Gafsa : on transfère les dividendes vers les centres prioritaires et on leur laisse des miettes sans aucune vision cohérente de développement régional durable. La bombe dont les étincelles avaient commencé à s’enflammer des 2008, finissait par s’exploser au lendemain de la révolution.

Nous sommes donc devant une véritable crise multidimensionnelle : à la fois régionale, sociale, économique, politique et financière. En effet, compte tenu du poids du secteur de l’industrie de phosphate (nous étions le troisième ou quatrième producteur mondial) les effets de cette crise a impacté de manière significative notre équilibre budgétaire et notre balance de paiement.

Quel est alors le défi pour le nouveau gouvernement ?

Le défi pour le nouveau gouvernement est de transformer cette crise en un potentiel de croissance économique si jamais il réussit à mettre en œuvre les bons remèdes permettant de résoudre radicalement cette problématique.  Il s’agissait d’adopter une approche globale à l’image de l’ampleur du problème :

-Une bonne gouvernance institutionnelle au niveau du ministère de tutelle et des entreprises publiques intervenantes dans ce secteur,

-Une communication sincère et transparente susceptible de rétablir la confiance et la crédibilité

-Un nouveau pacte économico-social juste et équitable devrait être conclu entre le gouvernement et les représentants de la population locale.

-Une application plus effective de la loi et une présence plus active des organes de l’Etat présents au sein de la région.

Propos recueillis par B.R.
 

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