Tataouine : à Kamour peut-on tolérer la déliquescence de l’Etat ?

Tataouine : à Kamour peut-on tolérer  la déliquescence de l’Etat ?

 

Presqu’en catimini des nouveaux responsables sont nommés à Tataouine, le gouverneur, le Premier délégué et le Chef du district de la Garde nationale. On ne signale même pas que leurs prédécesseurs ont été révoqués pour leur mauvaise gestion des protestations à Tataouine. On leur reproche plutôt le mauvais déroulement de la visite du Chef du Gouvernement Youssef Chahed qui s’est achevé en queue de poisson.

Depuis le sit-in du Kamour continue comme si de rien n’était. Des tentes sont plantées en plein désert, avec des centaines de jeunes et de moins jeunes affairés qui se disent déterminés à poursuivre leur action avec bien entendu des véhicules tout terrains flambant neufs et nécessairement des provisions de nourritures pour pouvoir tenir le plus longtemps possible.

Les politiques n’ont qu’un mot à la bouche : les protestations pacifiques sont un droit dans un Etat démocratique et on ne peut rien entreprendre contre cela tant que cela reste dans les limites ainsi définis. On veut bien les croire. Sauf que ce qui se produit à Kamour est un défi à l’autorité de l’Etat. Parce qu’il s’agit d’un lieu devenu de non droit où non seulement l’Etat est bafoué mais où l’autorité est exercée non par les institutions de l’Etat mais par des personnes et des structures qui n’ont aucune représentativité sauf celle qu’elles disent détenir d’une coordination des protestataires qui n’a aucune existence légale.

D’ailleurs les comptes-rendus de journalistes qui se sont déplacés là-bas donnent une idée précise des véritables donneurs d’ordre dans cette zone carrément de non droit. L’Etat qui doit exercer ses prérogatives partout sur le territoire national y est absent. Ni l’armée nationale ni la Garde nationale n’ont été déployées dans cette zone.

Du reste on se rendant sur les lieux en cortège pour prendre possession du Kamour, les protestataires n’ont trouvé aucun obstacle. L’Etat détenteur du monopole de la force publique ne s’est pas dérangé pour leur barrer la route. C’est ainsi que commencent les tentatives d’affaiblissement de l’Etat. On sait d’ailleurs quand ça commence mais on ne sait pas où ça peut mener ni quand cela pourrait s’arrêter.

Lorsqu’on sait que ce lieu se trouve en plein désert dans l’intersection des routes menant tant en Libye qu’en Algérie que celles conduisant aux zones de production de pétrole, on se rend compte du fait qu’il s’agit d’un lieu stratégique qui ne peut être déserté par la force publique.

De plus tout le pays est sous l’empire de la loi d’état d’urgence qui est prorogé jusqu’au 17 mai prochain. Cette situation donne droit aux autorités notamment régionales et sécuritaires des moyens pour pouvoir intervenir en toute légalité de jour comme de nuit. Ce ne serait pas de la provocation si l’Etat décide de reprendre son autorité sur toute portion du territoire national.

Venons-en maintenant à cette revendication saugrenue de mettre à la disposition de la région 20% de ses recettes pétrolières. Aucun pays unitaire du monde ne peut réserver une part de la richesse nationale en faveur d’une région aux dépens des autres. Si c’est le cas adieu non seulement l’unité nationale mais l’Etat lui-même. Même les Etats fédéraux ou les confédérations ne recourent jamais à une simple division des richesses du pays entre ses différentes composantes.

De plus dans le cas de Tataouine, c’est un gouvernorat qui occupe le quart du territoire national pour 1% de sa population. Si on donne à ce gouvernorat une proportion de ses richesses il faudrait aussi donner à chaque région une part de ses ressources, les phosphates à Gafsa, l’eau à Jendouba, l’huile d’olive au Sahel et à Sfax, les céréales au Kef et à Béja et ainsi de suite. Mais dans ce cas il faudrait que toutes les originaires de ces régions reviennent à leurs gouvernorats d’origine pour pouvoir bénéficier de l’effet de ses richesses ainsi partagées !!!

Lorsqu’on entend des responsables politiques et pas des moindres, reprendre ou défendre de telles revendications dont l’inanité le dispute à l’irresponsabilité, on est ahuri devant une telle incurie et un laisser-aller coupable d’une classe politique qui cherche à aller dans le sens du poil en faveur d’un populisme à tout crin au lieu de faire œuvre de pédagogie pour faire comprendre à la population et particulièrement aux jeunes qu’en dehors d’un Etat fort il n’y a point de salut.

Si la Tunisie a pu malgré tout creuser son sillon et être une exception dans son aire géographique malgré les difficultés, les crises et les problèmes qui peuvent paraître insolubles c’est parce qu’elle a un Etat séculaire et fort. Il faut l’aider pour qu’il soit un Etat juste et équitable. Mais non point le morceler comme on essaie de le faire.

L’Etat doit reprendre ses droits partout où le drapeau national flotte. L’armée nationale a l’obligation de défendre les frontières nationales. Rien ni personne ne doit l’en empêcher. Sinon c’est à la déliquescence de l’Etat que nous assisterons. Notre génération en en sera complice. Cela est bien évidemment intolérable.

Raouf Ben Rejeb

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