Tunisie : La violence, l'autre mal qui ronge l'école

Tunisie : La violence, l'autre mal qui ronge l'école

Les Tunisiens sont sous le choc : un enseignant violemment poignardé en classe par l’un de ses élèves, se trouve entre la vie et la mort. La scène s’est passée dans l’après-midi du lundi 8 Novembre 2021 dans le lycée Ibn Rachiq à Ezzahara au gouvernorat de Ben Arous. Le jeune, âgé de 17 ans, s’est introduit dans la salle de classe, pendant la récréation, alors que le professeur d’histoire et géographie se trouvait seul, pour lui asséner plusieurs coups  avec un couteau et un couperet, le blessant à l’épaule, à la main et à la jambe avant de prendre la fuite. Un précédent grave, très grave même qui prouve que notre école s’enlise de plus en plus dans une spirale de violence devenue un phénomène récurrent. Il ne se passe pas un jour sans qu'une ou plusieurs agressions ne soient perpétrées contre le cadre éducatif ou sans qu'un ou plusieurs cas de violation de l'intégrité de l'établissement scolaire ne soient relevés.

Le ministre de l’Education Fethi Sellaouti, accompagné d’une délégation de son département, s’est déplacé sur les lieux pour suivre l’état de santé du professeur, encadrer sa famille et prendre toutes les mesures légales nécessaires en coordination avec les autorités et structures concernées.

De son côté, le secrétaire général de l’UGTT Noureddine Tabboubi, qui s’est rendu au chevet du professeur agressé, a annoncé que le président de la République Kais Saied l’a assuré, au cours d’un appel téléphonique, qu’il va promulguer un texte incriminant les agressions contre les enseignants.

Le ministère de l'Education, tout comme les syndicats des enseignants, ont, de tout temps dénoncé toute forme de violence perpétrée contre les établissements scolaires et le cadre enseignant. Mais en l'absence d'une véritable stratégie pour sauver l'école de ce mal qui la ronge de plus en plus, ce genre de condamnations restera toujours sans grand effet.

La violence scolaire n'épargne personne

Insultés, menacés, humiliés, agressés, les enseignants ont, souvent, été visés par une violence choquante mais qui ne date pas d’hier. Ils sont confrontés à d’autres formes de menaces et de violences sur les réseaux sociaux lesquels n’épargnent personne.

Les statistiques du ministère de l’Education et récemment ceux du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), font froid au dos et montrent que l'institution éducative s'enlise de plus en plus dans une spirale dangereuse. Que d'enquêtes ont été réalisées, que de rapports ont été élaborés et que de séminaires ont été organisés pour cerner ce phénomène et proposer des pistes pour la mise en place d'une stratégie globale, mais rien n'y fit. La violence gagne du terrain et l'insécurité règne tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'institution éducative qui s'enlise de plus en plus dans un bourbier d'où elle ne risque pas de s'extraire.
Cette forme de violence qui n'est pas spécifique à l'école tunisienne, étant un phénomène mondial, impacte le milieu scolaire avec toutes ses composantes, enseignants, cadre éducatif, élèves, parents et administration de tutelle. Elle revêt plusieurs aspects, l'insulte, l'agression verbale, l'agression physique, le harcèlement sexuel, le racket, les braquages, les bagarres entre élèves, les suicides, les menaces de toutes sortes... Une parente qui s'introduit dans une salle de classe pour agresser violemment une institutrice, un enseignant qui se fait, sévèrement, corriger par son élève ou son parent, une directrice d'école constamment harcelée par la propriétaire d'une garderie scolaire qui prétend être parente d'une personnalité haut placée, un établissement scolaire qui est vandalisé de nuit ou qui est transformé en un lieu de beuverie pour délinquants...sont là quelques exemples d'agressions subies par l'institution éducative et ses membres. Des parents se font trop présents et pressants à l'école et n'hésitent pas à recourir à des moyens peu orthodoxes pour intimider le cadre éducatif. Et même si on n'est pas encore à une flambée du phénomène, on est en présence d'une violence ordinaire qui s'installe et qui inquiète. C'est « un mouvement de fond » qui pourrait balayer toute la société.
Cette violence n'épargne personne et les élèves du primaire et du collège notamment vivent dans la peur en dehors de l'établissement. Ils sont victimes de harcèlements de toutes sortes, de rackets et de braquages notamment. Ils subissent des douleurs et des humiliations causées par la violence de leurs enseignants, psychologique dans la plupart des cas (cynisme, remarques désobligeantes ou dégradantes, etc.), « qui affectent leur apprentissage, leur personnalité et leurs perspectives d'avenir ». Cette violence pourrait se transformer en violence physique et sexuelle. A leur tour, les enseignants sont, parfois, victimes de violence de la part de leurs élèves et leurs parents, ce qui traduit un véritable malaise dans les rapports entre les deux parties. Cette forme de violence est « immanente aux structures du système scolaire ». La solution de facilité consiste à chercher les coupables chez les enfants et leurs parents. « Mais les conditions de vie des parents, la pauvreté, le manque d'espace vital, l'influence des médias produisent un type d'enfants radicalement différent de l'élève modèle idolâtré par l'école », relève-t-on dans un rapport sur la violence dans le milieu scolaire en Europe. Ce qui s'appliquerait à notre milieu scolaire.
Endiguer le phénomène
Il est vrai que les médias dramatisent un peu plus la violence et en rajoutent souvent. Mais, l'image de l'école est ternie. Les conséquences sont d'autant plus préjudiciables que la violence crée un climat de psychose, de suspicion, de peur et de rejet dans une institution censée être le creuset du savoir et qui doit « enraciner chez les élèves l'ensemble des valeurs partagées par les Tunisiens». Ces valeurs « sont fondées sur la primauté du savoir, du travail, de la solidarité, de la tolérance et de la modération ».
Inutile de revenir sur les causes de ce phénomène ni sur les responsabilités de chacune des parties concernées dans sa propagation. Et il ne suffit pas de le dénoncer en l'absence d'une véritable coordination entre les composantes de la famille de l'éducation, ministère et syndicats en premier, ou encore appeler à la promulgation d'une loi criminalisant les agressions contre les enseignants, mais il faut plutôt penser à de nouveaux dispositifs partenariaux. La lutte contre ce phénomène nécessite une politique d'ensemble pour favoriser les meilleures conditions possibles à une communauté éducative solidaire et sereine, avec des programmes d'actions ciblés et des activités personnalisées, notamment dans les établissements les plus exposés au phénomène de la violence.
Selon des chercheurs scientifiques et pédagogues, « un climat scolaire serein est une condition essentielle pour assurer de bonnes conditions de travail, le bien-être et l'épanouissement des élèves. En plus de l'action sécuritaire, le traitement des violences en milieu scolaire exige une approche sur le long terme ». Mais avec des emplois du temps qui ne laissent pas de place aux activités ludiques, en plus de l'absence d'espaces pour la pratique de ces activités, sportives notamment, et les cours particuliers qui occupent les élèves même pendant les vacances, il devient très difficile de pouvoir sauver l'école de ce mal qui la ronge.

B.O

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