Béji Caid Essebsi cherche-t-il une sortie honorable ?

Béji Caid Essebsi cherche-t-il une sortie honorable ?

C’est un Béji Caid Essebsi « fatigué et usé » qui s’est adressé en cette journée du 20 mars 2019 aux Tunisiens à l’occasion du 63ème anniversaire de l’indépendance du pays. Pendant une cinquantaine de minutes, il a distillé des messages à qui voulait l’entendre pour exprimer son amertume face à une situation qui lui échappe. Et dont il a fait assumer la responsabilité aux autres. Comme s’il n’y était pour rien. Amertume, néanmoins, atténuée par quelques piques dont il a le secret et des flèches adressées à son allié d’hier, Rached Ghannouchi, et à son fils prodigue, Youssef Chahed, dont il souhaite le retour au bercail.  Ce fils qui est parti, non pour dilapider sa fortune, mais pour se soustraire du joug d’un père, trop envahissant.

A peine investi, le 27 août 2016, Youssef Chahed a fait le bon élève se rendant chaque lundi chez son mentor pour lui rendre compte de l’activité du gouvernement et de son programme de la semaine. Il lui a donné des gages de fidélité. Une attitude dont se délectait cet ancien compagnon de Bourguiba qui veut redonner à la fonction présidentielle son aura d’antan, malgré des prérogatives réduites qui le confinent parfois dans un rôle honorifique et, passagèrement, dans celui d’un chargé de « l’inauguration des chrysanthèmes ».

Mais, au fil des mois, Chahed a senti la lourdeur des jougs qui pèsent sur ses épaules. Il a testé son curseur de positionnement par rapport au carré tracé par son mentor et a fini par comprendre qu’il n’aurait jamais les coudées franches tant qu’il restait sous sa coupe. La gestion des affaires du pays et les nominations dans les hautes fonctions relèvent, à quelques exceptions près, de la compétence du chef du gouvernement. Il n’est plus donc possible de rester au milieu du gué. L’essence de sa fonction telle que définie dans la Constitution est de décider et d’assumer. Sa diatribe contre son ennemi juré Hafedh Caid Essebsi, le fils légitime du président, a fini par casser ce fil d’Ariane. C’en est trop pour Béji Caid Essebsi  qui a juré que rien ne serait pardonné. Même affaibli, il garde encore des cartes entre les mains. « Cette filiation qui a viré à la trahison », l’empêche de dormir, mais pas de réfléchir à la manière de se débarrasser de cet enfant rebelle aux ambitions jugées démesurées. Il a commencé par abattre ses cartes, pour critiquer le gouvernement et le rendre seul responsable de tous les maux du pays. Et à faire pression sur son allié d’hier le mouvement Ennahdha pour lâcher l’enfant rebelle.  Après avoir désespéré du Document de Carthage, il a trouvé dans le Conseil supérieur de la sûreté nationale qu’il préside un mécanisme pour régler ses comptes à Chahed et à son principal soutien. Entre temps, son fils Hafedh qui s’est emparé de Nidaa Tounes continue de faire la pluie et le beau temps au sein d’un mouvement moribond et en pleine décomposition. Malgré toutes les initiatives de colmater les brèches, lui et ses courtisans n’entendent pas lâcher du lest.

En dépit d’un bilan jugé insatisfaisant, le chef du gouvernement caracole en tête des sondages comme étant la personnalité la plus apte à diriger le pays.  Loin devant Béji Caid Essebsi dont le parti est devancé par son rival de toujours, le mouvement Ennahdha et menacé par le parti dissident Tahya Tounes.  Situation compliquée à quelques mois des échéances électorales d’octobre et novembre prochains. Poussé par quelques-uns de ses conseillers le chef de l’Etat qui, semble-t-il, a abattu toutes ses cartes, s’est rendu à l’évidence. La perspective d’un nouveau mandat s’éloigne de plus en plus et les grandes manœuvres ont commencé. Entre reconfiguration du paysage politique et « appétits personnels », ça froufroute autour de lui et « le fatum » s’est abattu sur son parti qui risque de devenir une coquille vide. Ayant assuré dans son livre d’entretiens avec Arlette Chabot publié en novembre 2016, « de ne pas faire pas plus qu’un mandat », il semble hanté par l’image du soleil couchant avant de sombrer derrière l’horizon. A bientôt 93 ans, il sait et il le répète « son avenir est dernière lui » et réfléchit aux « jours d’après ». Mais qui après lui ? Assurément, pas son fils. Et il le sait et il en est bien édifié. Son crédit personnel est atteint. Alors pourquoi ne pas tenter un dernier coup pour redorer un blason terni. Et s’assurer une sortie honorable par cette grande porte à travers laquelle il est entré à Carthage.

Mais comment ? Attendons pour voir.

B.O

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