Cherche parti centriste désespérément

Cherche parti centriste désespérément

Le 6 Février 2013 n'est pas seulement la date de l'assassinat d'un fervent militant, Chokri Belaid, qui avait beaucoup contribué à la chute d'un régime totalitaire et dont l'objectif suprême était l'instauration d'un état fort, juste et aux aspirations égalitaires.
Cette date ne représente pas seulement un tournant historique dans la vie politique tunisienne, mais également dans ma vie personnelle. C'était la date où je décidais de sortir de ma coquille et de me lancer dans la chose publique.
Cet évènement tragique m'avait fait l'effet d'une claque qui m’a incitée à me retirer progressivement de ma zone de confort intellectuel pour commencer à m’intéresser à l’actualité et aux affaires publiques qui m’étaient jusque-là indifférentes.

Ce jour-là était glacial, mais mon cœur et mon esprit ne cessaient de bouillonner face à la cruauté de l'assassinat et au peuple tunisien qui était dans tous ses états. J'étais submergée par une foule de sentiments et d’émotions où se mêlaient la peur, l'inquiétude, la stupéfaction et la révolte. Je m’étais alors sentie citoyenne pour la première fois. Une citoyenneté dont la manifestation la plus basique était le partage de ces moments si cruciaux dans la vie de mon pays, la communion dans la même douleur avec tout un peuple.
Durant les mois suivants, je m'investissais pleinement dans le suivi des différents plateaux télévisés et des discussions sur les réseaux sociaux qui m’étaient complètement indifférents jusque-là. Mon appétit ouvert m'amenait à revenir sur les événements qui s’étaient déroulés à l'aube de la révolution, sur les différents partis et coalitions politiques qui avaient vu le jour. Je me posais plein de questions sur le soulèvement populaire qui avait secoué le pays un certain 14 janvier 2011 et auquel j'avais assisté en spectatrice, sans être vraiment consciente de ses fondements. Je m’interrogeais sur la démocratie, les élections, les programmes électoraux, la gauche et la droite et tout ce champ lexical et ces concepts que nous n'abordions auparavant que sur les pages des manuels scolaires de l'éducation civique sous le régime de Ben Ali. Je m'attardais au début sur la question de l'identité et de la modernité qui était imposée par le clivage entre les laïcs et les islamistes. Je lisais des livres et des articles sur cette dichotomie et les différentes visions véhiculées à travers les programmes et les projets des partis adversaires. Mais je restais sur ma faim et me rendais à l'évidence : toute cette guerre idéologique attisée par les médias et cette logorrhée n'avaient rien à apporter au projet révolutionnaire. Bien au contraire, j'avais toujours l'intime conviction que ces faux débats s'inscrivaient dans une logique destructrice de la révolution et de la transition démocratique. L'épuisement de l'énergie collective dans les disputes fallacieuses et l'atmosphère sociale tendue avaient relégué au second plan nos aspirations économiques. Ce luxe intellectuel qui faisait l'objet des débats élitistes et des surenchères médiatiques stériles n'avait lieu sur le terrain que chez une minorité. Elle y cherchait une sorte de thérapie pour des complexes intellectuels et idéologiques qui étaient loin d'être la priorité absolue et le pain quotidien des Tunisiens.
Je ne me sentais représentée ni par les islamistes d'Ennahdha ni par les partis qui composent la gauche traditionnelle et surtout son aile "caviar". Les programmes et les visions prônés par ces partis traditionnels me paraissaient incompatibles avec les aspirations et les exigences de la Tunisie post-révolutionnaire.
Le fulgurant succès de la révolte de la jeunesse ne rimait pas, à mon avis, avec les querelles idéologiques des années soixante qu'ils avaient amenés dans leurs valises. La construction démocratique ne pouvait en aucun cas découler de ces luttes intestines qui ne cessaient d'apporter de l'eau au moulin des ennemis de la révolution plaidant pour le simple retour en arrière. Ma génération ne voit pas le mécanisme de la transition et de la gestion des affaires de l'Etat du même œil. Il suffirait d’examiner de près le travail des jeunes dans les différentes structures et formations de la société civile pour s'en rendre compte.
Pour faire face à des nouveaux défis, il faudrait mettre en place de nouveaux mécanismes et des visions proactives en phase avec les nouvelles exigences et la nouvelle configuration socio-économique de la société tunisienne. Les partis me semblaient loin d'être en mesure de saisir les éléments clés de ce nouveau paradigme de changement et de les incorporer dans leurs visions et leurs programmes électoraux.
Je cherchais un parti centriste où je pourrais trouver mes repères. Un parti nationaliste qui n'importe pas des idéologies obsolètes, qui ne fonde pas son identité sur les clichés idéologiques et culturels et surtout qui ne se nourrit pas du sang et de la récupération politique de nos malheurs. Un parti qui puisse réconcilier modernité et identité ; ces deux facteurs qui forgent la personnalité collective tunisienne à parts égales. Le choix de se réfugier dans la zone grise politique ne surgissait pas ex-nihilo mais était guidé par ma personnalité multidimensionnelle et mes tendances à avoir toujours le sens de la nuance et à refuser toute sorte de doxa politique et tout modèle idéologique préétabli.

Ce choix tant reproché par mes amis qui surfent sur la vague de cynisme, m’a conduite à opter pour une appartenance partisane à la famille social-démocrate. Une expérience extrêmement instructive qui était la pierre angulaire dans l'édification de ma conscience politique. Elle m'avait offert l'opportunité de comprendre les mécanismes du travail partisan et d'avoir une idée sur le processus de la prise de décisions au sein des institutions du parti. Ce processus était à mes yeux le premier exercice de la démocratie à une échelle réduite. Cet engagement politique m'avait servi de passerelle entre le monde de la théorie, de la réflexion et des convictions et celui de la réalité et de la confrontation avec les défis réels et les attentes des Tunisiens.

La première étape de ce passage d'un monde à un autre était la campagne électorale des élections législatives de 2014 dans la circonscription de Tunis-1.Une expérience dont on ne sort pas indemne sur tous les plans. Le premier apport était la découverte d'une figure éminente du monde économique et financier, M. Moncef Cheikh Rouhou, qui était la tête de liste. Le travail avec ce candidat était une source inestimable d'apprentissage et d'enrichissement. Les longues heures passées en sa compagnie dans les cafés politiques, discutant autour des différents sujets d'actualité, étaient une occasion pour apprendre beaucoup sur l'histoire économique de la Tunisie après l'indépendance, les différents modèles de développement adoptés par les mouvements politiques, la crise financière de 2008 et ses répercussions sur l'économie mondiale, l'économie verte, les accords de libre-échange, la culture, la jeunesse etc.

A mon avis, ces échanges avaient attribué à la question économique et sociétale un autre sens et d'autres dimensions que les cours académiques figés que nous avions appris sur les bancs de l'université n'avaient pas pu apporter. J'ai appris de lui la primordialité du levier économique dans tout projet de réforme national, ainsi que la nécessité du développement d'une vision stratégique axée sur une économie durable et capable de garantir la prospérité sociale. Pour lui, un bon leader doit impérativement être doté d'un vif esprit économique pour maîtriser les multiples aspects de son projet réformateur.

Le deuxième apport était le contact direct avec les citoyens et le partage de leurs soucis, leurs attentes, leurs aspirations et même leurs visions pour la conduite du changement. C'était à travers ces échanges que je me confortais dans mes convictions et me rendais compte du gouffre qui sépare le peuple des élites des salons et des plateaux télévisés complètement sourdes aux appels au secours de la rue tunisienne. Je prenais conscience de l'arnaque dont était victime le peuple tunisien qui voyait ses grandes ambitions révolutionnaires prises entre le marteau d'une lutte contre un monstre obscurantiste menaçant son modèle sociétal, et l'enclume d'un quotidien amer et d'un pouvoir d'achat en chute libre face à l’envolée vertigineuse des prix et à l'incapacité des gouvernements successifs à  mener des réformes radicales et à remettre le train sur les rails.

Illuminée par cette vérité, je suis devenue viscéralement convaincue qu'aucun projet de réforme culturelle ne pourrait être entrepris et qu'aucun esprit citoyen ne pourrait être cultivé en l'absence d'une vision pour l'émancipation sociale et économique.
Après les élections et malgré la défaite des partis dans lesquels je me reconnaissais, je continuais à croire dans ce courant politique. En effet, il représentait pour moi une troisième alternative face à une droite "affairiste" qui ne peut gouverner sans sacrifier nos acquis sociaux sur l'autel de la création de la richesse et leur plan baptisé "réformes douloureuses pour le sauvetage de l'économie nationale ", et une gauche qui se faisait phagocyter par l'égo démesuré de ses leaders et son refus de toute tentative d'autocritique et d'adaptation de ses promesses socialisantes au prisme des mutations socio-économiques. Je lisais davantage de livres et d’articles sur ce courant politique et assistais aux différentes tables rondes organisées autour de ce thème. Ma curiosité intellectuelle m'avait amené à suivre les différents mouvements politiques qui appartiennent à cette famille en France et aux États-Unis pour essayer de comprendre avec plus de détails les différents aspects de ce projet de gouvernance et ses divers leviers, tout en espérant la création d'un grand parti politique tunisien qui puisse réunir, rassembler et fédérer  les différents composantes politiques qui portent ce projet dans leur ADN.

Bien que ma quête de ce grand parti ne soit pas encore assouvie, pour moi ce 6 février 2013, une journée noire qu’elle en fut, sera à marquer d'une pierre blanche.

Dhouha Nasri
 

 

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