COVID-19 est -elle en train d’accélérer le positionnement de la Tunisie en tant que leader de la Recherche Clinique au niveau de la région ( MEA) ?

COVID-19 est -elle en train d’accélérer le positionnement de la Tunisie en tant que leader de la Recherche Clinique au niveau de la région ( MEA) ?

L’innovation thérapeutique et la recherche clinique

A L’ère de la médecine fondée sur les preuves, toute innovation thérapeutique, pour être validée, doit démontrer son efficacité et sa bonne tolérance. Ces preuves sont apportées indéniablement par les essais cliniques.

Les essais cliniques sont indispensables dans les décisions thérapeutiques, elles portent principalement sur l’amélioration des connaissances, la mise au point de nouveaux traitements ou autres dispositifs médicaux afin d’assurer une meilleure prise en charge des maladies et de répondre à certains besoins insatisfaits pour traiter certaines maladies.

 Très encadrées, les études cliniques respectent un protocole d’étude bien précis et ne peuvent être conduites que si des conditions bien précises sont réunies :

-Avoir pour seul but d’augmenter les connaissances sur les maladies

-Les bénéfices doivent l’emporter sur les risques

-Les mesures nécessaires sont prises pour protéger les patients qui participent aux études cliniques y compris leur consentement éclairé

-Obtenir les autorisations règlementaires et éthiques requises avant même toute initiation d’études cliniques

-S’assurer des compétences des acteurs conduisant et impliqués dans ces études cliniques

Les études cliniques prennent beaucoup de temps, durent en moyenne une dizaine d’années. En effet, elles commencent d’abord par une étape préclinique réalisée aux laboratoires in vitro et in vivo chez l’animal. Cette étape préclinique, si concluante, est suivie par une étape clinique, réalisée chez l’homme, comportant quatre phases. Au bout de la phase III, un dossier comportant toutes les études précliniques et cliniques réalisées est déposée au niveau des autorités compétentes en vue d’obtenir l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Après l’AMM, les études cliniques de phase IV, permettent la surveillance notamment de la sécurité des produits, sur une population plus large que celle ayant participé aux phases cliniques précoces et détecter ainsi des évènements indésirables non identifiés.

De fait, ces essais cliniques sont conduits, dans plus de 70% des cas, principalement aux USA, en Europe et aux Japon. L’impact et la valeur ajoutée pour les pays participant à la recherche clinique sont considérables. En effet, les bénéfices sont non seulement sanitaires mais aussi scientifiques, économiques et sociales. Ces essais facilitent également l’accès des pays émergeants à l’innovation thérapeutique.

La Tunisie bien que leader, dans ce domaine au Maghreb, reste bien derrière l’Afrique du Sud et l’Egypte, au niveau du nombre d’études enregistrées sur les registres internationaux, dédiés.

Paradoxalement, le potentiel de la Tunisie est très grand pour devenir le hub de la recherche clinique au niveau de la région MEA. En effet, la Tunisie dispose d’une règlementation à la pointe des standards internationaux requis, des investigateurs et des professionnels de la santé formés et compétents, une infrastructure suffisante pour mener les essais cliniques, une volonté politique et des CRO locaux capables de suivre la bonne conduite des études, d’analyser et de gérer les données, selon les règles des Bonnes Pratiques Cliniques (BPC).

La recherche clinique contre COVID-19

En l’absence de traitements curatifs ou préventifs adéquats contre cette nouvelle maladie infectieuse COVID-19, la recherche au niveau mondial s’active et gagne en structuration et en cohérence . Il s’agit d’un combat de recherche. En conséquence, le facteur temps est primordial et déterminant, dans l’attente de développement d’un nouveau vaccin contre SARS-CoV2, qui fera ses preuves, à travers les essais cliniques en cours dont la fin est attendue pour le début de l’année prochaine, dans les meilleurs des cas, la recherche s’oriente vers les médicaments existants, indiqués dans d’autres maladies. Ainsi, entre autres, des médicaments anti viraux, des anticorps monoclonaux, des anti récepteurs IL6, des anticorps neutralisants à partir de plasma de patients convalescents, des interférons, le vaccin BCG, des anti paludéens, des antibiotiques …..etc  constituent des candidats potentiels  pour le traitement de COVID-19. Tous ces médicaments sont pratiquement disponibles en Tunisie.

Les molécules sélectionnées disposent d’un rationnel scientifique, tenant compte de leurs mécanismes d’action, de leur profil cinétique, des complications tissulaires occasionnés par le virus SARS-COV2 ainsi que par l’évolution de la maladie COVID-19.

Ainsi, dès les premiers patients affectés en Chine en décembre 2019, le génome et la séquence du virus ont été identifiés, ce qui a permis de mettre en place très rapidement les tests de dépistage correspondants.

En conséquence, des études in vitro ont été très rapidement initiées en Chine et dans d’autres pays d’Asie, touchés en premiers, dans le monde. Il est vrai que ces études in in vitro étaient facilitées et orientées par des études déjà effectuées contre SARS-COV.

Ceci a été suivi très rapidement par des essais cliniques, au début en Chine, au Japon, en Corée du Sud puis aux USA  et en Europe, notamment en France  .

On enregistre actuellement environ 332 essais cliniques en cours répertoriés dans les différents registres internationaux, sur COVID-19. La France compte environ 30 essais cliniques, en cours.

COVID-19   est -elle en train d’accélérer le positionnement de la Tunisie en Hub de la Recherche Clinique au niveau MEA.

Convaincu du besoin de contribuer en tant qu’acteurs dynamiques à l’effort international de recherche clinique contre COVID-19 afin d’en faire bénéficier nos patients et notre pays, et forts de leur passion pour la recherche clinique, des experts Tunisiens se sont mis à explorer les différentes voies de recherche possibles.

Une veille permanente sur COVID-19 a é été mise en place pour suivre aussi bien l’évolution de la maladie, les publications internationales ainsi que les études cliniques en cours, dans le monde. La diaspora Tunisienne, présente et impliquée dans des centres de recherche dans le monde n’a pas hésité à s’impliquer, à prêter main forte et à contribuer à l’effort fourni par les chercheurs et experts locaux.

Une dynamique de recherche s’est activée en Tunisie. Le ministère de la santé, et le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique soutiennent ces efforts et cette dynamique. Des bailleurs de fonds nationaux ont manifesté leur disposition à contribuer aux efforts de financement de cette recherche. Des CRO locales ont proposé leurs services et leurs expertises dans le monitoring, la data management et l’analyse des données.

Des protocoles de recherche sont proposés, par plusieurs équipes. Il est vrai que certains de ces protocoles sont proches de ceux déjà initiés en Europe et aux USA, partant de résultats préliminaires d’essais internationaux encourageants, néanmoins n’ayant pas permis d’obtenir des preuves suffisantes. D’ailleurs, cette même approche est suivie dans tous les pays développés qui se sont lancés dans la recherche clinique.

Ces études, une fois initiées en Tunisie auront l’avantage d’inclure et de traiter des patients Tunisiens avec des spécificités tenant compte de l’immunité spécifique, de l’environnement et du mode de vie ,de la nutrition, de la moyenne d’âge, du degré de vaccination …etc.

Il ne se passe pas un jour où personnellement, ne suis pas consulté ou j’apprends pas qu’un nouveau projet d’essai clinique est à l’étude par des équipes réparties sur tout le pays.

 Il ressort, d’après les informations en ma possession, qu’à ce jour pas moins de 10 études cliniques sont en préparation, dans notre pays. Certains sont même à un niveau avancé de soumission au niveau des structures de validation officielles.

Une extrapolation par rapport au nombre total d’études cliniques en cours dans le monde et en France, positionne la Tunisie à un niveau très avancé, dans les premiers rangs, non seulement au niveau de la région MEA, mais aussi au niveau international.

Avec seulement les 10 études sur COVID-19, en cours de mise en place, la Tunisie se situe à un niveau d’une étude pour 1 Million d’habitants et devance ainsi la France qui est à niveau d’environ 0.5 études pour un Million d’habitants.

Cette dynamique de recherche, ne doit pas, dévier par rapport aux procédures   internationales et nationales liées aux essais cliniques.

 Aussi bien les canaux règlementaires, le volet éthique, la protection des patients inclus dans ces  essais cliniques ainsi que le respect des données personnelles de ces patients  et l’obtention de leur consentement éclairé doivent être respectés rigoureusement.

En revanche, il est du devoir des structures compétentes d’établir des recommandations en vue d’accélérer le process de validation des études cliniques proposées. Toutes les instances internationales et gouvernementales internationale, tout en insistant sur le respect de la rigueur scientifique et le respect de l’éthique, ont mis en place un processus de force d’intervention de validation des études cliniques soumises.

Les centres chercheurs sont invités à enregistrer leurs études dans les registres internationaux, dédiés tels que clinicaltrials.gov. Ceci donnera plus de visibilité et de notoriété à la Tunisie et à son savoir- faire en recherche clinique.

Les résultats des études cliniques locales Tunisiennes, j’en suis convaincu permettront d’adapter et de mieux traiter les patients COVID-19 (+) mais aussi de prévenir le risque de survenue de cette maladie.

La Recherche clinique en Tunisie au moment des pandémies et après COVID-19

L’histoire est une perpétuelle répétition. Lors de précédentes pandémies mondiales, la Tunisie a toujours joué un rôle primordial dans la recherche clinique en vue de maitriser certaines pandémies.

En effet, en 1909, c’est en Tunisie grâce à Charles Nicolle et à l’institut Pasteur de Tunis qu’on a pu identifier le vecteur du parasite à l’origine du typhus exanthématique. Cette découverte a permis de prendre les mesures hygiéniques nécessaires pour lutter contre cette maladie et de déclencher les recherches en vue de mettre au point un vaccin. Ceci a permis à la Tunisie d’obtenir en 1928, le prix Nobel de Médecine. De même au cours de la 2ème guerre mondiale, une pandémie de malaria a touché le monde et c’est au niveau de la Tunisie qu’ont été obtenues les premières données de recherche thérapeutique ayant permis de confirmer par la suite l’efficacité de la Chloroquine, dont on parle beaucoup, ces jours-ci dans le cadre du COVID-19, dans la prise en charge de la malaria.

 La dynamique de recherche clinique en Tunisie autour de COVID-19 doit être considérée comme une opportunité pour propulser la recherche clinique. En effet, cette dynamique doit se poursuivre et constituer un vrai élan et point de départ vers la concrétisation d’un rêve, celui de faire de la Tunisie, à court terme le Hub de la recherche clinique au niveau de la région MEA.

Nous devons bâtir une stratégie sur la base de ce qui a été initié et les acquis obtenus autour de la recherche engagée autour de COVID-19.

Notre visibilité et implication dans cette recherche en période de pandémie, conduira forcément les instances internationales y compris l’OMS, l’industrie pharmaceutique internationale et autres organismes internationaux à faire confiance à la Tunisie et à l’impliquer, à l’avenir, dans les projets internationaux de recherche clinique, au même titre que les pays développés.

Une étude internationale a démontré qu’une implication à un niveau de 1% dans les essais cliniques mondiaux rapporte 500 Millions d’US dollars. Dans COVID-19, déjà, nous en sommes à un niveau de 3% des études cliniques mondiales, COVID-19.

La mise en place d’un plan d’action à court , moyen et long terme, mieux faire connaitre au niveau international, le potentiel et les capacités de la Tunisie dans le domaine de la recherche clinique et la création d’une structure public -privé spécialisée dans le suivi et la mise en place d’essais cliniques permettra , à mon sens, d’accélérer et de transformer le rêve en réalité.

Par Dr Chokri Jeribi (Expert en Recherche Clinique)

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