De la crise du coronavirus: Quelques repères et suggestions opérationnelles en Tunisie

 De la crise du coronavirus: Quelques repères et suggestions opérationnelles en Tunisie

Par Prof. Ali Chebbi

Historiquement, lors des récessions économiques couplées avec des épidémies ou des guerres, le rôle immédiat des économistes y était peu cité où négligé (ex. 1825, 1918-19, 2013). Cependant, durant les crises économiques hors épidémies (ex. 1929, 46, 73, 82, 97, 2007,..), les économistes étaient très présents, dont les meilleurs avançaient de nouveaux concepts et méthodes. 

Présentement, les mesures économiques annoncées partout dans le monde paraissent identiques et peu innovatrices: (1) accès exceptionnel au financement bancaire à travers de nouvelles lignes de crédit, produits financiers et fonds spéciaux, et (2) mécanismes de transferts sociaux et allègement fiscal, avec des différences près dans les sources de financement, les enveloppes d’argent mobilisés et les modes de mise en œuvre. 

Comme ailleurs, ces mesures immédiates telles qu’annoncées en Tunisie, si simples soient-elles, sont nécessaires, mais en même temps sources additionnelles de vulnérabilité macroéconomique futures. 

Dans l’immédiat, nous devons simultanément (1) faire face à la propagation de l’épidémie par le confinement et la médication, et (2) minimiser les effets paralysant l’activité économique, sans que le Sanitaire l’emporte sur l’Economique et le Social, et vice-versa. C’est un arbitrage difficilement réalisable sans coûts collatéraux. Dans ce qui suit, nous montrons la nature des objectifs immédiats poursuivis ainsi que les mesures opérationnelles nécessaires. 

Ce faisant, nous considérons que,

1) Les objectifs des mesures économiques immédiates sont de (i) renforcer le filet de protection et cohésion sociales, (ii) alléger les coûts subis par les personnes morales et physiques pendant la phase descendante du cycle économique. En termes de RBC, il s’agit de réduire la durée du cycle et sa sévérité, augmenter la probabilité de transition au cycle suivant, et éviter le ‘’double-creux’’ associé à l’éventuelle récidive de l’épidémie, (iii) garder la population confinée autant qu’imposée par la stratégie sanitaire, et (iv) minimiser la baisse de la croissance potentielle (non observée). La finalité est de permettre à l’économie de se relever au plus vite dans la période post-coronavirus, minimisant ainsi les coûts d’ajustement inévitables pour au moins revenir au sentier de croissance habituel.

2) Que faire pour réaliser les objectifs immédiats ?

Pour réaliser les objectifs (i-v) ci-dessus, nous croyons que les actions suivantes seraient nécessaires à entreprendre :

3)- 1. Augmenter le budget consacré aux mesures sociales pour :

– Elargir l’éventail des bénéficiaires des transferts directs de telle sorte que chaque citoyen opérant dans le secteur formel et/ou informel, avec ou sans couverture sociale, soit compensé (totalement ou partiellement) s’il perd sa source de revenu. Ceux qui sont concernés par les mesures sociales ne représentent en fait que la moitié de ceux en deçà du seuil de pauvreté (moins de 700 milles). En outre, ce n’est pas le moment de discuter les origines et la genèse du secteur informel. Y être n’est pas nécessairement une méconnaissance de l’Etat. 

A part la corruption qui devrait être combattue en temps de guerre comme en temps de paix, le secteur informel est un phénomène social ancré dans l’histoire économique de certains pays (Lewis, Fei, Ranis, Todaro,…). En revanche, ce serait une occasion pour réduire sa taille en en construisant une base de données et en envisageant des mesures dans cette perspective. Le ciblage pourrait être volontaire. Par ailleurs, il convient de préciser que plus grands sont les transferts, plus courte sera la période de lutte contre le virus, et plus réduits seront les coûts d’ajustement post-épidémie pour revenir au moins au sentier habituel de la croissance. 

– Le total de ces transferts exceptionnels pour 6 mois ; soit de l’ordre de 130MDT, pourrait être doublé sans affecter lourdement les finances publiques, et ce pour (1) soutenir le confinement, (2) réduire la période qui lui est nécessaire, (3) éviter les coûts budgétaires additionnels en traitement médical en cas de prolongement du confinement, (4) soutenir les activités de production local d’industrie alimentaire et autres, et (5) mieux gérer les éventuelles tensions sociales.
 
– Budgétairement envisageable, le doublement des transferts pourrait se réaliser par (1) des substitutions budgétaires, (2) une meilleure canalisation des apports étrangers à l’occasion de l’épidémie (FMI, UE), (3) une intensification médiatique de sensibilisation en faveur de la cohésion sociale et la contribution volontaire, 

3)-2. Elargir l’éventail des entreprises bénéficiaires des mesures exceptionnelles

Les mesures récentes, portant report du versement des prêts, n’ont concerné que les entreprises de classes ‘’0’’’ et ‘’1’’, alors qu’il s’agit d’un choc affectant toutes les activités de la même manière. C’est qu’enseigne la littérature correspondante et l’expérience internationale. Il serait alors nécessaire que cette mesure qui n’améliorerait pas nettement les finances des entreprises dans leur comptabilité annuelle si une autre baisse taux directeur ne s’effectuait pas surtout que, comme l’inflation, le TMM n’a pas suffisamment baissé à cause au moins de l’arrêt de l’arbitrage avec le change extérieur. En fait, une autre révision à la baisse du taux directeur (ex. de 100 p.b.), allègerait la charge du gouvernement dans la bonification qu’il a annoncée et lui permettrait d’élargir le champ des bénéficiaires des mesures exceptionnelles.

3)-3. Révision de la grille des taux de taxation 

Ceci est envisagé en augmentant le nombre de calasses considérées, en diminuant le taux de taxation pour les catégories au bas de l’échelle, et ce aux dépens de ceux en haut de l’échelle. Cela pourrait assurer des recettes fiscales marginales mais considérables ainsi qu’une meilleure équité fiscale. Le risque de défaut de crédibilité de la politique fiscale serait d’autant plus faible que la communication publique et l’encadrement des anticipations sont efficaces. Pendant les chocs de grande ampleur, les politiques économiques sont endogènes par excellence. Elles sont en fait une réponse à ces chocs.

3)-4. Avec ou sans modification des lois en vigueur si nécessaire, un assouplissement monétaire (QE) contextualisé, sous différentes formes, s’avère nécessaire à l’instar de plusieurs expériences actuelles dans le monde, avec ou sans indépendance des Banques Centrales, dans des pays développés et en développement. Ceci minimiserait le risque de contagion de la crise ‘’d’offre et de demande à la fois’’ au système bancaire, de l’asphyxie de trésorerie et de paralysie de quelques secteurs clefs.

3)-5. Renforcement des capacités institutionnelles. 

Sans s’étaler sur cette composante vitale pour amortir les effets de la récession économique, il s’agit d’une approche institutionnellement inclusive 

– Faisant participer toutes les parties prenantes (UTICA, UGTT, Partis politiques, société civile) dans tout le processus de sauvetage depuis la conception jusqu’à l’évaluation, en passant par la mise en œuvre, 

– Contrôlant la mise en œuvre des mesures de transferts sociaux et d’allocation des fonds drainés contre tout soupçon de corruption et de comportement de ‘’free rider’’, 

– Réallouant les ressources humaines de l’administration centrale à travers les départements ministériels les plus impliqués dans la gestion de la crise.

Enfin, outre la nécessité de renforcer les circuits de distribution et de l’approvisionnement des marchés, une autre équipe devrait ne réfléchir que sur les plans stratégiques post-coronavirus ; des plans devant être envisagés ‘’out-of-the box’’ (nous y reviendrons).
 

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