Discours de Youssef Chahed : Courage, fuyons !

Discours de Youssef Chahed : Courage, fuyons !

Par Nadya B'chir

On dit qu’il n’y a pas plus dangereux qu’une personne qui n’a plus rien à perdre. Tout juste! Et Youssef Chahed, chef de gouvernement de son état, n’a ostensiblement, plus rien à perdre. Son discours prononcé dans la soirée du 29 mai le prouve presque accessoirement. Youssef Chahed est-il alors devenu dangereux? Ou est-il tout bonnement devenu “courageux” abruptement tel que l’ont clamé à coups de haut parleur ses fervents défenseurs?

Entre dangereux et courageux, il n’y a souvent qu’un pas, le franchir et c’est le suicide politique assuré.

Les dernières semaines, et pour changer, la Tunisie a fait lieu de tractations politiques et des énièmes luttes intestines au sein du parti Nidaa Tounes. Cette fois, les protagonistes ne sont pas, à peu de choses près, les mêmes.

Au sommet de la confrontation : Le chef du gouvernement et le directeur exécutif du parti Nidaa Tounes. En plus clair : un combat des “titans” entre le poulain et le fils du président de la République.

Nous n'utiliserons pas l’expression de “fils spirituel” contre “fils naturel” car la première a déjà été adossée à Mohsen Marzouk.

En dépit de toute l'effervescence empreinte de coups de scandale politique voire même de bonnes moeurs saisissant le parti Nidaa Tounes, Youssef Chahed a toujours revendiqué son appartenance à cette grande maison. D’ailleurs, il a parfaitement bien illustré cette appartenance en s’engageant contre loi et législation, dans la campagne électorale pour les municipales.

Un engagement, qui au bout du compte n’a apporté que nuisance,  baisse de cote et condensation de confiance en sa personne.

Passons. Les conflits se multiplient et se compliquent, les charbons se ardent davantage : Les esprits ne se calment plus et Hafedh Caïd Essebsi, fils du président de la République de son état, entend arracher sa légitimité et son plein droit à la vie politique dans ses grandes ambitions, à gorgée de combines, à décharge de coups bas et en tous cas à peu de choses loyales et dignes. Soit! Ravitaillé par un soutien aux allures familiales et infaillible, Hafedh Caïd Essebi ne recule devant rien et va jusqu’à réclamer la chute du chef du gouvernement. Ce dernier n’en démord pas et entend quant à lui se moussailler dans la boue au même titre que son adversaire. Ils disent :”à la guerre comme à la guerre” mais de quelle guerre s’agit-il au juste? Celle que le pays doit mener pour gagner, à la sueur de son froid, son salut? Fausse lumière! C’est une guerre qui se déclare pour le pouvoir. Le pouvoir, ce sésame rare et si précieux que tous convoitent.

La sortie médiatique de Youssef Chahed est à ce juste titre, une manœuvre, se voulant hors sentiers battus, s’inscrit dans la course au pouvoir.

Lâché publiquement sinon dans des termes plus indulgents, non soutenu par le président de la République, le chef du gouvernement s’est vu seul contre tous et en devoir de battre le fer tant qu’il est brûlant.

C’est, en effet, le moment ou jamais de montrer de quoi son tripes sont faites et dire à voix éclaircie : “je ne vous crains pas, si j’ai déjà perdu le soutien de la Présidence de la République, alors je n’ai plus rien à perdre.” L’on montre alors les crocs et l’on fait croire qu’il nous est possible de devenir dangereux et à notre tour de semer un brin de terreur dans les rangs d’adversaires dont on pense qu’ils ne valent pas le pesant de leur nom de famille. Mais le courage et la bravoure dont a été taxé Youssef Chahed ne peuvent surgir d’un simple sursaut de conscience et sens du devoir national. Si l’on n’a pas les épaules bien larges et “pistonnées”, le courage devient résolument un fruit défendu. Qu’à cela ne tienne! Le chef du gouvernement a de ce fait, bien assuré ses arrières pour, pense-t-il probablement un meilleur siège de pouvoir.

Grossière erreur, cependant, de croire que c’est réellement la société civile qui s'érige soutien indéfectible de Youssef Chahed. Si même l’UGTT a consenti à l'abandonner en cours de route pour motif de faillite de volonté politique à engager concrètement les grandes réformes, quelle assise lui reste-il? Parce qu’il a volé au secours du chef du gouvernement en lui déclarant publiquement mais timidement sa flamme, le parti islamiste Ennahdha est-il donc ce soutien de fond? Bien joué! Cette configuration se veut basée sur une équation gagnante dans un sens de rapport win-win comme diraient les anglo saxons.

En effet, en soutenant Youssef Chahed dans sa cabale contre Hafedh Caïd Essebsi, Ennahdha gagnerait un candidat à la présidentielle de 2019, dont le profil correspond quasi religieusement à celui tant espéré par les électeurs. Le parti islamiste s’émanciperait ainsi de son “côté obscur” lié intimement à l’islam politique tout en garantissant un pied “soumis’ à Carthage. Et Youssef Chahed détiendrait ainsi la carte gagnante pour les élections de 2019 : il aura aussi bien la machine électorale, que les fonds à profusion, conditions sine qua none pour franchir la ligne d’arrivée de pareille échéance électorale.

En concevant une alliance fortement dangereuse avec Ennahdha, Youssef Chahed deviendrait-il lui-même dangereux? Le pouvoir lui est-il monté à la tête à un point tel qu’il se dirait prêt à tirer un trait sur des principes, objet d’un furtif militantisme?

Youssef Chahed accepter-t-il d’endosser le costume d’une brebis galeuse car lâché par les siens au beau milieu de l’arène?

Tant de questions qui flottent sur des têtes bien tracassés mais clairement pas par des questions de politique et de pouvoir mais d’autres dites vitales. Que Youssef Chahed et Hafedh Caïd Essebsi s’entretuent est à mille lieu de figurer dans les priorités de la base populaire, par surcroît en ces temps de circonstances.

Un tableau dépeint si sombrement que l’on est en droit de se dire que le courage déguisé de Youssef Chahed n’est autre que le signal d’une fuite en avant.  

 

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