Ghannouchi a-t-il intérêt à se désolidariser de son « ami » Béji ?

Ghannouchi a-t-il intérêt à se désolidariser de son « ami » Béji ?

L’allocution du chef du gouvernement Youssef Chahed a jeté un pavé dans la mare et empoisonné le climat politique déjà délétère. Sortant de sa réserve que lui confèrent ses hautes charges à la tête du gouvernement, il a réglé ses comptes à son rival Hafedh Caid Essebsi, le directeur exécutif de Nidaa Tounes qu’il a accusé d’avoir détruit le parti et à qui il a réservé ses flèches les plus acérées, en l’absence de son président de père qui se trouvait à Paris pour participer au sommet sur la Libye. Une erreur de communication, plutôt une faute, selon certains, une réaction tout à fait légitime selon d’autres eu égard aux coups tordus que ne cesse de lui porter son rival.  Mais ce faisant, il a, du coup transporté, la bataille à l’intérieur de Nidaa et assombrit davantage la situation.

Mais Chahed n’en démord pas en pensant que rester tout le temps sur la défensive fragiliserait davantage sa position. S’appuyant sur le soutien du mouvement Ennahdha qui, désormais, détient les principales cartes entre les mains, il a tenté un coup de force en voulant aller encore loin dans cette guerre larvée qui a éclaté en plein jour. Lui, le « novice » qui a été lancé, il y a deux ans, par son parrain et mentor Béji Caid Essebsi, a, depuis, repris du poil de la bête. Se trouvant sur la sellette en raison d’un bilan jugé calamiteux, il a anticipé en rendant coup pour coup à Essebsi junior, au risque de froisser le père et la famille. En ménageant l’UGTT et son secrétaire général Noureddine Tabboubi, pourtant très virulent à son égard, il a voulu éviter d’ouvrir plus d’un front à la fois.

Toutefois, il n’a pas assez de cartes entre les mains, même s’il a réussi à diviser ce qui reste de son parti et notamment son groupe parlementaire. Et obtenir l’adhésion d’autres députés appartenant surtout au groupe Al Horra et au groupe national. Le soutien du mouvement Ennahdha n’est pas assuré, si l’on se rappelle son comportement vis-à-vis d’Habib Essid. Certes, en se déclarant opposé à un changement du gouvernement, prônant la stabilité, le mouvement de Rached Gahnouchi a marqué des points tant au niveau national qu’international. Il est même apparu dans l’étoffe d’un parti beaucoup plus soucieux des intérêts du pays que son allié Nidaa tounes. Mais, la politique a ses raisons que la raison ignore. Seuls les intérêts comptent.  Nous savons comment se comportent les hommes politiques de chez nous et nous savons ce que valent leurs promesses et leurs engagements. Et nous savons également que les alliances se font et se défont, parfois, au gré des humeurs. Nidaa Tounes qui, en 2013 était plus dangereux que les salafistes, est devenu, une année après, le « fidèle allié ».  Béji Caid Essebsi qui était infréquentable, est, depuis 2014, « l’ami intime » de Rached Ghannouchi. Et les « nahdhaouis » n’ont qu’à bien se tenir, se ranger sans piper mot derrière leur chef à qui ils ont délégué tous les pouvoirs.

Pour le moment on ne connait pas encore la position du président de la république, ni sa réaction après l’offense faite à son fils. Mais l’on connait sa stratégie quand il veut se débarrasser de quelqu’un. Il a souvent recours à une tierce partie pour asséner le coup de grâce. Il se trouve dans une position intenable. S’il annonce la fin de mission pour Youssef Chahed, même dans le cadre du Document de Carthage 2, il se discréditera lui-même, car il s’agit en fait d’un aveu d’échec personnel. D’autant qu’il a déjà annoncé que le changement du gouvernement n’est pas de son ressort. Faute de démission volontaire du chef du gouvernement et son refus de solliciter un vote de confiance à l’ARP, la seule alternative qui reste est le retrait de confiance conformément à l’article 97 de la Constitution. Or, Nidaa Tounes, s’il peut obtenir la signature de 73 députés pour déposer une demande auprès du président de l’assemblée, il ne pourra pas avoir les 109 voix nécessaires pour désavouer le gouvernement, sans le soutien du groupe parlementaire d’Ennahdha. Mis sous pression par son fils qui veut réparer son honneur bafoué par Chahed et devant l’aggravation de la crise, Béji Caid Essebsi n’a plus d’autre choix que de se retourner vers son allié Rached Ghannouchi pour finir le boulot. Mais à quel prix ?

Dans cette situation, on voit mal Ghannouchi laisser tomber son ami. Le deal engagé en août 2013 dans un hôtel parisien sera alors nul et non avenu. Avec tous les risques encourus. Se trouvant en position de force, le président d’Ennahdha pourrait alors « monnayer » son ralliement. Le scénario possible serait de souffler le nom du futur remplaçant de Youssef Chahed à la primature, maintenir ses ministres dans leurs postes et consolider sa présence dans le gouvernement.  Et obtenir la présidence de la municipalité de Tunis pour sa candidate Souad Abderrahim. Cela permettrait à Ennahdha de renforcer son emprise sur les rouages du pays, en prévision des échéances de 2019. Face à la nouvelle fragmentation qui menace Nidaa Tounes englué de plus en plus dans des querelles fratricides, le mouvement de Rached Ghannouchi pourrait alors agir sur tout le processus, conformément à sa stratégie adoptée à la suite de son échec dans les législatives d’octobre 2014.

B.O 

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