Immigration en masse de musiciens. Radioscopie d'un fait

Immigration en masse de musiciens. Radioscopie d'un fait

En Tunisie, il n'y a pas de place pour les personnes intègres, proactives et qui peuvent représenter une valeur ajoutée on dirait. Elles y sont généralement frustrées, sous payées, non valorisées et refoulées. A la première occasion, elles s'expatrient en laissant l'inaptocratie, le népotisme et la mauvaise gouvernance sévir.
Il est devenu quasi suicidaire de camper "at home" quand on peut partir ailleurs.

Durant cette dernière décennie, les oreilles de nos jeunes musiciens, et moins jeunes d'ailleurs, sont fixées sur les pays du Golfe dont en particulier les Emirats Arabes Unis et le Qatar d'où parviennent les chants des sirènes. La raison est que dans notre pays, il leur suffit de passer quelques années "en professionnels" pour perdre toute illusion.

Au Ministère des Affaires Culturelles, considéré comme Ministère de tutelle, la musique y est en "dodo majeur".
On y fait semblant d'y croire, mais en réalité, il n'y a rien de vrai. Ni stratégie, ni politique, ni rien de probant. Que de l'administratif et du faire semblant. Il est vrai que ce Ministère gère des conservatoires et des orchestres, organise des journées musicales et des festivals, finance des caisses d'aide à la production et en son sein même une direction de la musique. Soit, mais le "rendement est non satisfaisant", et comment !
Depuis la révolution, la situation du secteur culturel, déjà précaire, s'est enlisée davantage et maintenant on a atteint le fond. En fait, on y fait "du bruit pour rien" à telle enseigne que c'est devenu désespérant et ainsi, les jeunes et moins jeunes musiciens - même qui arrivent à bien se débrouiller - préfèrent s'expatrier pour assurer un avenir désormais irréalisable en notre pays, et pourtant.....
A l'indépendance, à Tunis il y avait la Rachida, l'Orchestre Municipal de Musique Arabe (fondé en 1954) et l'Orchestre Symphonique de Tunis. Les deux derniers étaient gérés et financés par la Municipalité de Tunis. Parmi les premières réalisations de l'indépendance fut la création de la Radio Nationale et son orchestre musical.
A la création du Secrétariat d'État à la Culture (devenu plus tard Ministère) en 1961 , on lui rattacha l'orchestre symphonique, le Conservatoire National de Musique et de Dance et le financement de la Rachidia. Ce Ministère commence par créer une Troupe Nationale des Arts Populaires. Dans les années 80, la Troupe Nationale de Musique voit le jour et de concert avec l'établissement de la radiotélévision tunisienne, le festival de la chanson tunisienne. De même, pendant cette période, l'Institut Supérieur de Musique de Tunis est fondé, sous double tutelle des Ministères de la Culture et de l'Enseignement Supérieur. Jusque-là, toutes ces structures, avec des moyens modestes voire précaires, étaient productives. Tous les orchestres étaient actifs et contribuaient à la production et à la création musicale avec une effervescence remarquable et une dynamique due à une synergie ininterrompue entre différentes structures : variétés télévisées, radios, service musical de la radio nationale, concerts, festivals...en plus des initiatives privées. Les musiciens avaient des opportunités de travail renouvelées, diverses et variées et la musique tunisienne, bien qu'à l'image du pays "en voie de développement", avait un public, une identité et jouait un rôle dans l'animation de la vie du citoyen.

Depuis quelques temps, l'inertie a commencé à s'installer, l'anarchie et l'inaptocratie ont pris de l'ampleur...
Depuis la révolution pas moins de huit Ministres ont dirigé le Ministère de la Culture et certains y ont procédé à un remu ménage rien que pour placer des personnes de leur choix "acquises, fidèles et garanties" à la tête de directions et maîtriser ainsi les rouages de la gestion du Ministère. Ces personnes n'avaient de soucis que d'être "à la hauteur de la confiance de leur Ministre" et garantir ainsi les avantages de leurs fonctions et se maintenir en place. Des nègres en quelques sortes qui ont généré des "inaptes" puisqu'en matière de compétences, "ils n'ont rien de plus que les autres". Pour preuve, non seulement leur passage n'a servi à rien ou presque, mais il a empiré la donne. Le secteur de la musique à titre d'exemple en dit trop.
À part la troupe nationale de musique qui arrive à tirer son épingle du jeu (grâce à l'ambition démesurée de son chef toutefois, compétent), la Rachidia n'apparaît plus sur les radars, on ne sait plus à quoi ressemble l'intrigant Orchestre Symphonique qui donne l'impression de fonctionner en catimini et de se produire en cachette et la Troupe des Arts Populaires n'est plus! Chaque directeur d'orchestre s'y comporte comme chez lui. Il n'y a que des intrigues, du gaspillage, du copinage et du népotisme.
"L'Opéra de Tunis" - au sein de la Cité de la Culture - qui chapeaute ces différents orchestres n'a pas l'air de se soucier de la promotion des concerts, de la communication et de la publicité. On produit du réchauffé et on ne se doute guère de l'investissement dans les créations nouvelles. On dirait qu'il s'agit de vases clos où des clans se sont tout approprié. Tout individu, initiative ou idée étrangers aux diktats des clans est intrus. Ils sont phagocytés de suite. Ces structures n'ont de national en fait que le nom !

En même temps, avec des procédés douteux et inefficaces, le Ministère continue à financer soi-disant la production, seulement on ne voit rien apparaître ! Ni suivi et ni évaluation !
En quoi consiste le retour sur investissement ? Combien de produits musicaux découvre-t-on par année et de quelle qualité ? Faut-il s'étonner alors que les festivals n'ont plus de culturel que le nom -dont le plus important, celui de Carthage-, que la racaille musicale locale et d'ailleurs inonde nos médias audiovisuels et nos scènes et que les jeunes de la corporation prennent le large ?

Voilà la résultante d'une décennie d'un pouvoir qui a mis le pays à genoux et anéanti tout espoir. Déjà qu'avant ce n'était pas la joie, avec la révolution on avait cru que le phénix allait renaître de ses cendres, en vain. En réalité c'est tout un peuple qui est immolé ... par tant de désespoir !
 

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