La pandémie menace-t-elle l'espérance de vie des Tunisiens ?

La pandémie menace-t-elle l'espérance de vie des Tunisiens ?

Par Dhafer Malouche
Professeur de Statistique et Mathématiques appliquées
Université de Carthage I The American University in Cairo

Depuis le 1er janvier 2021, le ministère de la Santé Tunisien a rapporté 11 514 cas de décès des suites de la COVID-19. Une statistique qui permet de conclure qu’une moyenne de 60,57 décès COVID-19 a été quotidiennement recensée depuis cette date. En 2019, avant la pandémie mondiale, le taux de mortalité, mesuré par le rapport du nombre de décès de l'année à la population totale moyenne de l’année, s’élevait à 6,3 par 1000 habitants, soit une estimation de 73 677 décès, toutes causes confondues, ont été enregistrés en Tunisie.  

Aujourd’hui, le pays enregistre un nombre de décès quotidiens sans précédent depuis le début de la pandémie et la situation sanitaire semble de plus en plus hors de contrôle avec des vagues successives qui sévissent entre 60 et 90 jours. Le ministère rapporte des pics de mortalité de plus en plus élevés allant jusqu’à plus de 2 000 cas pendant le pic épidémique de chaque vague.
 
De plus, le virus continue de circuler en parallèle de la vague de chaleur et ce malgré les prévisions qui le disaient inactivé par le beau temps et beaucoup moins transmissible en été. En effet, malgré une température moyenne supérieure à 40 degrés dans la majorité des villes tunisiennes le pays traverse une vague dévastatrice avec une flambée meurtrière des cas de COVID-19 en raison de la lenteur de la vaccination. Le ministère de la santé Tunisien rapporte une moyenne, calculée sur les sept derniers jours, de plus de 140 décès COVID-19 par jour couplée à une courbe des contaminations en constante ascension. 

Avec un peu plus de 2 millions d’injections pendant 120 jours de vaccinations, le lent démarrage de la compagne vaccinale n’arrange rien. A ce jour, moins de 18% des Tunisiens ont reçu au moins une dose d'un vaccin et beaucoup ne souhaiteraient pas se faire vacciner contre ce virus. De plus, les données sur le rythme des vaccinations, montrent que les capacités du ministère de la santé peuvent difficilement dépasser l’injection de 25 000 doses par jour. La Tunisie fait moins bien que ses voisins et se fait distancer par eux.  En se comparant par exemple au Maroc, qui est trois fois plus peuplé et qui est parvenu à vacciner plus de 200 000  personnes par jour, la Tunisie est à la traîne et ne cesse de prendre du retard sur ce voisin. 

Dans ces conditions, il est très probable que la vaccination ne soit pas efficace sur le ralentissement et encore moins sur l’arrêt de la pandémie d’ici la fin de l’année. D’ailleurs, plusieurs travaux scientifiques montrent que l’immunité collective en Tunisie ne sera pas atteinte avant janvier 2023. Il est ainsi très probable que le Ministère de la santé Tunisien rapporte d’ici fin 2021 plus de 10 000 décès liés au virus. 

Face à ses bilans quotidiens qui ne cessent d’augmenter, la Tunisie franchirait en 2021 le seuil des 22 000 décès imputés à la COVID-19 et le virus se placerait comme la cause principale de décès dans le pays. En effet, le nombre total des décès en 2021, toutes causes confondues, pourrait dépasser 95 000 cas et entraîner une croissance du taux de mortalité de plus de 23% par rapport à l’année précédente, soit un taux brut de mortalité de 8,18 décès par 1000 habitants.
 
Rappelons que le taux brut de mortalité est un bon indicateur quantitatif de l’état de la santé d’une population et de la qualité de ses soins. En Tunisie, il a connu une baisse importante de 1950 jusqu’à la fin des années 1990 passant de 27,2 à 5,4 décès par 1000 habitants. Depuis 2004, on observe une stagnation autour de 6,3 décès par 1000 habitants, essentiellement liée au vieillissement de la population. 

Le taux de mortalité anticipé de 8,18 pour la fin de cette année a été déjà atteint en 1980. Le ravoir en 2021, c’est-à-dire trente ans après est préoccupant et témoignerait de la dégradation qui caractériserait des performances médicales médiocres en matière de soins ainsi que du dysfonctionnement et de la mauvaise répartition géographique du système de santé et de prévention. 

Pour Conclure, il est important de noter que le taux de mortalité est fortement corrélé à l’espérance de vie à la naissance.  En Tunisie, dans les années 1980, lorsqu’il était de 8.20 (pour mille personnes), l’espérance de vie était de 62 ans.  En 2019, le taux de mortalité a baissé à 6.3 (pour mille personnes) et l’espérance de vie est passée à 76 ans. Dans ce cas, serait-il possible qu’en 2021, avec l’augmentation anticipée du taux brut de mortalité, l’espérance de vie à la naissance baisse. L’âge étant un facteur de risque, elle serait particulièrement importante pour les personnes âgées qui sont nettement plus exposées à contracter la COVID-19 ou à en mourir à cause le leur système immunitaire moins actif. 

Un constat pessimiste et alarmant qui nous amène à nous demander si la pandémie ne ferait pas perdre aux Tunisiens quelques années d’espérance de vie. 

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