La situation à l'est de la Méditerranée: Défis géopolitiques et géo-économiques

La situation à l'est de la Méditerranée: Défis géopolitiques et géo-économiques

Par l'Ambassadeur Nejib Hachana

L’Est de la Méditerranée est actuellement le théâtre d’un enjeu de taille de défis d’ordre géopolitique et géoéconomique qui menace sérieusement sa stabilité et celle de l’ensemble du bassin méditerranéen connu pour être havre de paix, de progrès et de prospérité pour les pays riverains et le monde. 

Cette situation se caractérise par l’existence de tensions, menaces, contre menaces et luttes ouvertes entre les pays riverains auxquels sont greffés des pays non Med. pour se tailler des zones d’influence et garantir des intérêts économiques et énergétiques sur le moyen et long terme.

Les récentes découvertes dans les zones maritimes à l’Est de la Méditerranée de Gaz naturel Offshore en quantités très importantes et au cout d’extraction très compétitif ainsi que les droits et facilités de poser les gazoducs laissent couler l’appétit des pays aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur du bassin : la donne stratégique de l’énergie et de l’indépendance en matière énergétique obligent.
 
Cette nouvelle ambiance énergétique prévalant à l’Est de la Méditerranée se produit à un moment très particulier au niveau des relations internationales et des relations entre pays.

Jadis ces relations obéillissaient à une certaine éthique tirée du droit international et de la charte des Nations Unies donnant naissance à un système multilatéral autour des Nations Unies assurant bien que mal le respect des peuples et leurs états sur la souveraineté de leurs territoires et richesses.

Depuis la première guerre du golfe (1990) et les attaques de New York du 11 septembre 2001, l’ordre international a pris un tournant : un monde dirigé par la force sans pitié, ni valeurs humaines, régi par une compétition sans merci des pays forts pour ramasser le maximum ou toute la richesse sans exclure le moyen de confisquer les richesses des autres et un monde également divisé par des alliances mouvantes, comme du sable mouvant, selon la règle au plus offrant et de manière sélective et conditionnelle.

La situation en Méditerranée de l’Est et également en Méditerranée Occidentale n’échappe pas à cette nouvelle logique en raison de la richesse prouvée en gaz naturelle : compétition, menaces, contre menaces, tensions et formations d’alliances, instabilité et risques de dérapage dans la zone méditerranéenne à l’instar de ce qui se passe en Libye faisant de cet espace une photocopie de la situation prévalant au Moyen Orient avec la guerre en Syrie ou de l’instabilité régnante et durable en Irak.

Au facteur de la richesse s’ajoute un autre non moins important et même plus grave à caractère idéologique-religieux : l’islam politique qui a élit demeure dans les pays de la rive sud de la Méditerranée et la Turquie. Ces deux facteurs vont davantage alimenter la tension et les divisions dans la région.

Deux alliances ou blocs se positionnent dans la zone pour une raison de compétition déclarée qui porte sur la main mise sur la richesse énergétique et l’autre idéologique-religieuse, latente et non dévoilée à savoir l’Islam politique. Ces deux alliances se livrent d’une part, à un véritable engagement musclé de géo économie et d’un exercice audacieux de diplomatie économique sans pitié (le gaz) et d’un combat géopolitique sur l’avenir et les chances de l’islam politique comme mode de gouvernance des pays de la rive sud, d’autre part.

Les deux Blocs :

-Egypte, Emirats Arabes Unies, Arabie Saoudite, Libye-Benghazi) appuyé par des pays hors Med. comme la France, Israël.
-Gouvernement d’Union Nationale de Tripoli, Turquie, Qatar appuyé par l’Italie.

L’Egypte qui fait partie du premier groupement s’est déjà engagé dans un important projet gazier(MED-EAST) avec Israël (suite démarrage fourniture gaz israélien à Egypte pour 20 ans destiné à être liquéfie pour être réexporté vers l’Europe par ce projet), Chypre, la Grèce et l’Italie pour ravitailler l’Europe du Sud en gaz naturel (10 milliards de mètres cubes par an grâce à un gazoduc long de 1900 km en mer pour un cout de 7 milliards de dollars.

La réunion du 18 janvier 2020 au Caire visait à transformer le forum des pays gaziers de l’Europe de l’EST en une organisation internationale vise à isoler la Turquie et réduire son influence dans la région.

Ledit projet bénéficie de l’appui des Etats Unis d’Amérique pour que l’Europe échappe à la dépendance énergétique russe et diversifier ses sources d’approvisionnement.

La Turquie qui se montre comme puissance régionale incontournable en bassin méditerranéen a vite réagi en signant deux accords avec le gouvernement d’Union Nationale libyen reconnu dont l’un porte sur la délimitation des frontières maritimes offrant à la Turquie un espace maritime très large pour l’exploration et l’exploitation du gaz naturel en Méditerranée et le président turc n’a pas manqué d’indiquer sur un ton ferme que ceux qui veulent isoler ou emprisonner la Turquie dans un coin de la Méditerranée de l’EST se trompent et rêvent.

Sur un autre plan, la Turquie a récemment inauguré avec son partenaire, la Russie, un important projet de fourniture de gaz naturel à l’Europe du sud (le Turk Stream) via la mer noire (gazoduc de 900 km), un projet qui permet à la Russie d’éviter l’Ukraine, pays aux relations tendues avec Moscou.

Cette course et la tension qui l’accompagne en Méditerranée Est pour mettre la main sur les importantes sources énergétiques prouvées et notamment en gaz naturel et le contrôle des voies maritimes ainsi que la sauvegarde des marchés d’écoulement en biens et services générateurs de richesse n’a cessé de pousser davantage des acteurs étrangers nouveaux ou à réveiller les anciennes ambitions des puissances occidentales colonisatrices, comme l’Allemagne, la France, l’Italie… , à s’immiscer davantage dans le bassin méditerranéen avec ses deux rives : l’Europe, la Russie, la Turquie et la Chine qui vient de loin depuis 2013 avec son projet « des Nouvelles Routes de la Soie ». 

Washington agit pour le moment, vu les priorités de son agenda international, par puissance interposée en Méditerranée (la Turquie et Israël) surtout en ce qui concerne le chapitre énergie :  écoulement normal pétrole et gaz.

Une des conséquences de cette course géopolitique et géoéconomique en Méditerranée de l’EST est le transfert des tensions et risques de conflits à la rive Ouest et la situation chaotique que vit la Libye en est l’exemple, outre l’intervention de l’OTAN dans ce pays en 2011. Le risque de dérapage pèse très lourd sur les pays riverains notamment la Tunisie, l’Algérie, le Maroc et les pays du Sahel en cas d’échec de la rencontre de Berlin dont il ne faut pas lever le seuil des attentes. 

Cinq importantes initiatives précédentes n’ont pas connu de suites : le plan de Ghdames en 2015, l’Initiative tripartite de Tunis-2017, l’Initiative française en2018, l’Initiative italienne en 2018 et l’Initiative de l’Union Africaine en 2019.

La rencontre de Berlin semble se situer à deux niveaux :

-Repositionner de manière forte l’Europe en Méditerranée en face des concurrents : la Russie, la Turquie et la Chine.
-Eviter à l’Allemagne un courant massif de réfugiés.

Il serait intéressant de se souvenir du premier Sommet de Berlin convoqué par l’ancien Chancelier allemand Bismarek et le Premier Ministre français Jules Ferry du 15/11/1884 au 26/02/1885 pour se partager l’Afrique en zones d’influences entre pays européens.

Ambassadeur Nejib Hachana
Vice-Président C.I.P.E.D.Tunis

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