Le gouvernement Fakhfakh, une lecture et des enseignements

Le gouvernement Fakhfakh, une lecture et des enseignements

 

Elyès Fakhfakh a dévoilé mercredi à moins de deux heures de l’expiration du délai constitutionnel la composition de son gouvernement. La lettre devant être adressée par le président de la République au président du Parlement était fin prête pour que l’on respecte les délais requis.

Une première lecture de la liste permet de constater qu’avec 33 membres (y compris son chef) le gouvernement est loin d’avoir appliqué l’un des engagements du chef du gouvernement désigné. Le gouvernement n’est pas aussi resserré qu’il en a pris l’engagement. D’ailleurs au lieu de fusionner certains ministères, il a dû fractionner un ministère, celui de l’environnement et des Affaires locales pour les attribuer à deux différents partis. Le ministère de l’Industrie qui comportait l’énergie et les mines a subi le même sort.

Autre engagement non tenu. Six femmes seulement se sont trouvées dans ce nouveau gouvernement soit moins de 20% du total. Les deux seules secrétaires d’Etat sont des femmes. La nomination pour la 1ère fois d’une femme à un ministère de souveraineté, en l’occurrence Mme Thouraya Jeribi au ministère de la Justice, est une avancée certains mais ne peut satisfaire ceux qui appellent à la mise en œuvre d’une disposition constitutionnelle selon laquelle l’Etat œuvre à réaliser la parité entre l’homme et la femme (Article46).

Comme son chef, le gouvernement comporte une majorité d’indépendants par rapport aux partis dûment représentés à l’équipe Fakhfakh, ce qui constitue une victoire pour ce dernier. Le maintien des 4 ministres de souveraineté malgré les pressions de certaines composantes partisanes en est une autre.

Du reste le chef du gouvernement désigné a gardé la même configuration de son gouvernement par rapport à la première mouture refusée par le partenaire principal à savoir le Mouvement Ennahdha. Ainsi, il n’a pas accepté d’adjoindre à son équipe des représentants de Qalb Tounes comme cela lui a été réclamé.

Il lui a suffi de certains replâtrages à l’intérieur du quota accordé à ce parti qui n’a pas bougé d’un iota. Seule concession, la nomination d’un autre titulaire à la tête du ministère des technologies de la communication et de la transition numérique à la place de Lobna Jeribi jugée trop proche du chef du gouvernement. Cette dernière est néanmoins repêchée en tant que ministre chargé des grands projets nationaux. Un poste dont il faudra définir les attributions.

Pour la première fois depuis la révolution deux ministres obtiennent le titre de ministre d’Etat qui n’existe d’ailleurs pas dans la Constitution qui indique que le gouvernement est composé de ministres et de secrétaires d’Etat. Mais contrairement à l’usage ce ne sont pas les départements qui bénéficient de ce privilège mais bien des personnes.

En effet les deux concernés sont Anouar Maarouf qui est nommé ministre d’Etat aux Transports et à la logistique pour compenser, parait-il, le fait qu’il ait perdu le ministère devenu d’un coup stratégique, celui des technologies de la communication.

L’autre ministre d’Etat est Mohamed Abbou, secrétaire général du Courant démocrate nommé ministre d’Etat auprès du chef du gouvernement (ce qui est une contradiction) chargé de la fonction publique, de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption.

Deux autres secrétaires généraux de partis sont en outre nommés au gouvernement. Il s’agit de Selim Azzabi (Tahya Tounes) nommé à la tête du ministère de l’Investissement et de la coopération internationale et de Ali Hafsi( Nidaa Tounes) désigné au poste de ministre auprès du chef du gouvernement chargé de la relation avec le Parlement. Ce dernier est le seul représentant de son parti, comme du reste Mohamed Ali Toumi issu du parti Al Badil Ettounsi, nommé à la tête du ministère du Tourisme et de l’Artisanat.

Enfin trois rescapés du gouvernement sortant, Outre Anouar Maarouf muté au Transport et Logistique avec le titre de ministre d'Etat, on retrouve Ahmed Adhoum qui garde son portefeuille des Affaires religieuses et Ahmed Gaaloul promu de secrétaire d’Etat aux sports à ministre des Affaires de la Jeunesse et des Sports.

Si Elyès Fakhfakh a réussi à maintenir quasiment la même équipe que celle qu’il a présentée il y a quelques jours et à laquelle Ennahdha avait pourtant opposé son veto, il doit une fière chandelle au président de la République Kaïs Saïed qui en menaçant d’user du droit de dissolution prévu par l’article 89 de la Constitution seul applicable selon lui a douché les ardeurs du premier parti du Parlement.

Le chef de l’Etat sort comme le vainqueur incontestable du bras de fer qu’il a lancé au chef d’Ennahdha. D’ailleurs il a savouré sa victoire en déclarant que désormais il n’y a plus qu’un chef à la tête de l’Etat et qu’il n’y aura plus d’Etats dans l’Etat une allusion à peine voilée à Rached Ghannouchi.

Mais malgré les apparences, ce dernier ne sort pas affaibli. Il a su imposer son tempo puisqu’il a obtenu ce qu’il voulait. La nomination de son ancien conseiller politique Lotfi Zitoun à un ministère plein, celui des Affaires local est pour lui une victoire ainsi d’ailleurs que la promotion d’un de ses proches, Anouar Maarouf au titre de ministre d’Etat chargé du Transport et de la logistique en est une autre. La nomination de Zitoun aux affaires locales en lieu et place de Maarouf est-elle aussi une manœuvre de sa part pour contrer le projet de « pouvoir local » prôné par Saïed et pour lequel le nouveau ministre, politiquement aguerri est plus apte.

Elyès Fakhfakh est celui qui sort affaibli de cette aventure. Il a donné l’impression d’être un Premier ministre plutôt qu’un chef du gouvernement puisqu’il n’a pas fait un pas sans en référer au président de la République. Certes, il a imposé les ministres de souveraineté et peut se prévaloir d’une majorité de ministres indépendants. Reste à savoir si ces derniers le sont vraiment. Ainsi nul ne peut croire que Mongi Marzouk et Oussama Kheriji ne sont pas du moins proches d’Ennahdha.

La nomination de ses proches collaborateurs à la Kasbah sera scrutée avec la plus grande attention car il semble que chaque parti veut déléguer un des siens pour être son proche observateur des faits et gestes du chef du gouvernement.

Selon l’article 93 de la Constitution, le Chef du gouvernement préside le Conseil des ministres et en fixe l’ordre du jour. Néanmoins, si « le Président de la République préside obligatoirement le Conseil des ministres dans les domaines de la défense, des relations étrangères, de la sécurité nationale relative à la protection de l’Etat et du territoire national des menaces intérieures et extérieures, il peut assister aux autres réunions du Conseil des ministres. S’il y assiste, il préside le Conseil. » Si désormais les conseils des ministres comme le permet la Constitution se tiendront au Palais de Carthage c’est que l’on va assister à une modification en douce du caractère du régime politique.

RBR

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