Le Nord-Ouest n’a pas besoin de vos compassions, messieurs les gouvernants !

Le Nord-Ouest n’a pas besoin de vos compassions, messieurs les gouvernants !

C’est pendant les catastrophes que l’on se rappelle de cette région du Nord-Ouest, l’éternelle oubliée. Le terrible accident qui s’est produit ce dimanche 1er décembre 2019 sur la route reliant Amdoun à Ain Drahem et qui a fait 24 victimes, tous des jeunes entre 20 et 30 ans, a encore une fois réveillé certaines consciences jusque-là en état d’hypnose. Le Président de la république Kais Saied s’est rendu sur les lieux accompagné du chef du gouvernement Youssef Chahed qui a interrompu sa visite à Tozeur. De son côté, le président du parlement Rached Ghannouchi a appelé les députés de Béja, Jendouba et Kef (il a oublié Siliana qui fait partie du Nord-Ouest), à une réunion urgente pour se pencher sur les problèmes de la région et proposer des solutions au gouvernement.

Dire que le Nord-Ouest a longtemps souffert d’une marginalisation systématique durant les dernières décennies est une simple lapalissade. Pourtant, la région qui regroupe quatre gouvernorats, le Kef, Jendouba, Béja et Siliana est dotée de plusieurs atouts et richesses naturelles. Elle présente des caractéristiques communes qui permettent de faire « une synthèse logique et cohérente des situations existantes dans les 4 gouvernorats et surtout, d’approcher de manière efficace un développement intégré au niveau de l’ensemble de la région ». Couvrant une superficie d’un peu plus de 16.000 kms2, soit environ 10% de la superficie totale du pays, il assure plus de la moitié (60%) de la production céréalière nationale, renferme 75 % des réserves d’eau et dispose de 40% de des ressources forestières du pays. Des richesses naturelles qui font de la région, « le château d’eau, le grenier et le poumon de la Tunisie ». Son sol a recelé, jusqu’à un passé récent, des richesses considérables en zinc, phosphate, plomb, fer, barytine. Plusieurs sites miniers, maintenant fermés, notamment dans le gouvernorat du Kef, ont longtemps constitué de véritables recours pour une population à la recherche d’emplois stables. La proximité de la forêt et de la mer, Ain Draham et Tabarka notamment, et une archéologie qui témoigne d’une histoire fort ancienne, numide, carthaginoise et romaine devaient assurer à la région un avenir touristique prometteur. Des noms comme Sicca Vénéria(Le Kef), Bulla Regia, Mactaris (Maktar), Dougga, de son nom antique Thugga, la table de Jugurtha (Kalaat Senam)… qui témoignent de la présence d’anciennes civilisations, sont peu connus et très peu visités.

La population la plus paupérisée

En même temps, de toutes les régions de la Tunisie, le Nord-Ouest est la région où la population a été la plus paupérisée et la plus déracinée. En 1980, la population des quatre gouvernorats représentait 16% de la population totale du pays. Trente ans après, en 2010, elle ne représente plus que 8%, soit 1.220.000 habitants. L’explication se trouve dans l’exode massif vers les grandes métropoles, Tunis surtout, mais aussi vers l’étranger, exode qui a caractérisé la région et qui s’est accéléré tout le long des trois dernières décennies au point qu’elle connait le plus faible taux de croissance du pays avec 0.7% contre 17.1% pour le grand Tunis, par exemple.

Au lendemain de l’indépendance, la population du Nord-Ouest était à 85% rurale. C’est pourquoi la région a bénéficié, essentiellement, de trois programmes de développement: la sauvegarde du milieu écologique avec la lutte contre l’érosion et la protection des zones forestières, la mise en place de programmes de scolarisation et de santé publique et la modernisation de l’agriculture avec la transformation des anciennes fermes coloniales en coopératives de production. Côté industrie, la région n’a pratiquement bénéficié d’aucun effort, avec, seulement, la création en 1960 d’une modeste usine de sucrerie à Béja et un peu plus tard de la cimenterie de Tajerouine dans le gouvernorat du Kef.  Ce qui a, énormément, handicapé le développement industriel de la région et les quelques entreprises privées de petits formats et génératrices de peu d’emplois, n’ont pas réussi à avoir « un effet d’entrainement et de croissance régionale ». L’infrastructure de base, par ailleurs inhibitrice et paralysante parce qu’elle ne s’est pas développée de manière soutenue, a fait que les efforts d’investissement sont restés modestes eu égard aux énormes difficultés de transport, notamment, qui font que la région n’attire pas les gros investisseurs tunisiens ou étrangers. Il a fallu attendre près de 60 ans pour que le Nord-ouest soit doté d’un tronçon d’une centaine de kilomètres d’autoroute, reliant Tunis à Bouslaem, et d’un début de modernisation du réseau de transport ferroviaire.  De même, les modestes investissements sociaux se sont avérés insuffisants pour améliorer la qualité de vie des habitants et réduire un chômage de plus en plus persistant et endémique avec, actuellement,  des pics de près de 45% parmi les jeunes, un taux de pauvreté des plus élevés et une paupérisation du monde rural. La scolarisation massive n’a pas suffi à réduire les inégalités avec les autres régions et les gouvernorats du Kef, Jendouba et Siliana ont, souvent, figuré en bas du tableau de classement des résultats des examens nationaux et notamment le baccalauréat. Les compétences, même parmi les enfants de la région, rechignent, pour la plupart, à s’y installer, la privant d’un apport de développement certain.

Et c’est au gouvernement de montrer l’exemple en initiant un modèle de développement qui prenne en compte les atouts de la région et ses potentialités en ressources humaines et naturelles et leur valorisation optimale. Avec des secteurs comme l’agro alimentaire, les carrières, les mines (Sra Ouertane attend encore d’être exploitée), mais aussi le tourisme avec le pole Ain Draham-Tabarka, l’université de Jendouba créée en 2003 et censée constituer un moteur de promotion, elle peut prétendre à un nouveau modèle de développement qui pourrait se concrétiser en une véritable « stratégie de développement » s’inscrivant dans le long terme et participant d’une approche prospective et efficiente et non «d’une approche misérabiliste qui s’inscrit dans une optique de sauvetage» pour reprendre l’expression d’un enfant de la région l’ancien gouverneur de la BCT, Chadli Ayari.

B.O

 

 

 

 

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