Le tourisme en deuil: Décès du "Kroumirien" Nebil Ben Abdallah

Le tourisme en deuil: Décès du "Kroumirien" Nebil Ben Abdallah

L’hôtelier Nebil Ben Abdallah, vient de tirer sa révérence, ce lundi matin,  à l’âge de 77 ans. Qualifié de "Kroumirien", pour son choix de s'installer à Ain Draham, il demeure une « figure de proue » du tourisme tunisien.

Nebil, un fervent supporter de l’Espérance de Tunis, était, également un sportif mordu et il assumé des responsabilités au sein de la Ligue tunisienne de football.

Dans son livre "Figures de proue du Tourisme Tunisien", publié en 2006, notre confrère Mohamed Bergaoui lui a dressé un portrait que nous reproduisons avec sa permission.

Comment un tunisois peut-il devenir un inconditionnel de la kroumirie, un passionné du nord-ouest et plus précisément d’Aïn Draham?

Nebil Ben Abdallah, de père tunisois et de mère monastirienne, en sait quelque chose. Lui qui a passé son enfance et sa prime jeunesse entre Radés où il est né le 14 janvier 1946, et Monastir, n’était pas prêt à quitter ces lieux toujours chers à son cœur et si proches de son esprit. Pourtant, il les a quittés en acceptant d’échanger des plages de sable fin pour des forêts luxuriantes, les odeurs des plages iodées pour les exhalaisons de végétations sauvages et de jardins en fleur. Mais les bains de lumière inondant les plages sont, quasiment les mêmes que ceux baignant les forêts des kroumirs.

Cet amour des forêts lui venait des Vosges où il avait passé un stage de formation en hôtellerie. Ce fut, raconte-t-il, un véritable coup de foudre. ‘’En 1965, je partais pour des études au Lycée hôtelier de Strasbourg, poursuit-il, précisant que l’Office National du Tourisme Tunisien –ONTT- était à la recherche d’étudiants désireux de faire carrière dans le secteur touristique. Pour moi, c’était une véritable aubaine parce que je voulais quelque chose de nouveau.

Cette formation était suivie d’un stage qu’il effectua, au cours de l’été 1966, au ‘’Normandie Hôtel’’, à Deauville. C’était précisément dans cette ville qu’il avait appris les ficelles du métier. C’était également dans cette ville qu’il avait fait la connaissance de plusieurs artistes français dont Eddy Constantine, Johnny Hallyday, Claude François, Annie Cordy. Tout ce beau monde et plusieurs autres étaient les fidèles clients du restaurant unique en son genre comptant pas moins de 400 couverts.

De retour à Tunis en 1967, Nebil Ben Abdallah ramenait avec lui non seulement des connaissances qui allaient lui permettre de se frayer un chemin dans ce nouveau secteur mais également et surtout cet amour infini pour ces forêts vierges des Vosges. Ces images, comme un doux rêve, allaient le poursuivre sa carrière durant et ces odeurs subtiles l’habiter comme un souvenir opiniâtre qui refera surface à la rencontre de la Kroumirie. Il n’en savait rien et poursuivait stage sur stage.

Le premier, il l’effectua au ‘’Sousse Palace’’, hôtel pimpant neuf, faisant la fierté de la perle du Sahel qui se dota de sa première tour. Le directeur de l’hôtel était un italien dénommé Grandinetti, se rappelle Nebil Ben Abdallah. Sa force résidait dans la commercialisation et il exerçait une grande fascination sur tout le personnel hôtelier par ses dons d’assurer un très bon booking de l’hôtel. Pour lui la commercialisation était comme un tour de magie qu’il réussissait parfaitement bien.

Malheureusement l’apprentissage du jeune Ben Abdallah devait s’achever plus tôt que prévu. Une offre alléchante du gouverneur du Kef de prendre en charge les ‘’gîtes d’étapes’’, ces petites unités laissées par les colons et qu’on voulait exploiter à bon escient. En 1968, il est Directeur général de la société touristique et immobilière du Kef comptant quelques petites unités dont ‘’LA Source’’ et ‘’Le Massinissa’’, au Kef, ‘’Le Makhtaris’’, à Makhtar, etc.

A 24 ans, Nebil Ben Abdallah était tout content de ses nouvelles fonctions. Il le sera davantage lorsque Driss Guiga, alors Commissaire Général au Tourisme le nomma, en août 1968, à la société Tunisienne des eaux minérales –SOSTEM- avec pour fonction de s’occuper de la nouvelle station hôtelière et de la direction technique des hôtels ‘’Les Chênes’’, ‘’Les fougères’’, et ‘’Le Beau Séjour’’.

Cette étape dans la vie professionnelle de Nebil Ben Abdallah marqua un véritable tournant car elle faisait naître les réminiscences d’un passé proche, celui des trois années passées dans les Vosges, à Strasbourg. Ravi, enchanté et émerveillé par ses nouvelles fonctions, Nebil Ben Abdallah, à la voix grave et enjouée, au geste théâtral et attachant qui cadre bien avec sa grande taille, exultait. Et c’est avec beaucoup de nostalgie qu’il se rappelle de cette époque.

Le rapprochement entre les Vosges et Aïn Draham est vite fait. L’été, elle lui rappelait les Vosges et l’hiver le Val d’Isère, la ville qui avait vu naître Jean Claude Killy, le sportif aux 5 médailles des jeux olympiques de 1968, se rappelle-t-il, ajoutant amusé que la ressemblance est saisissante mais que Aïn Draham a l’avantage de se trouver en Tunisie. Cette ville, fort appréciée des colons, poursuit-il, comptait à elle seule, beaucoup plus de lits hôteliers que n’importe quelle autre région du pays. Faisons le décompte, suggère-t-il : ‘’Les Chênes’’, ‘’Les Fougères’’, ‘’Les Hortensias’’, ‘’Les Sources’’, ‘’Hôtel des familles’’, ‘’Les Kroumirs’’ et ‘’Le beau séjour’’. Géré jusqu’en 1969 par son propriétaire Mme Vieu, cette unité avait la réputation d’être ‘’la meilleure table de Tunisie’’.

Nebil Ben Abdallah n’oubliera pas de si tôt le fameux rendez-vous des chasseurs qui venaient en groupe, accompagnés d’une meute de chiens de chasse sans oublier le fameux son perçant du clairon. Une véritable kermesse à laquelle tout le monde participait à cœur joie donnant ainsi au produit de chasse ses lettres de noblesse et le confirmant comme produit à part entière dans la nouvelle Tunisie touristique qui se profilait. A ce produit venait s’ajouter un autre non moins important. Il s’agit du tourisme thermal lancé sous la houlette du Dr. Zouheir Kallal, plus connu sous le nom de Dr. Hakim. Aux adeptes de la chasse vinrent s’ajouter les curistes de plus en plus nombreux. La vocation de la région était toute trouvée et sa réputation faite.

En 1970, Nebil Ben Abdallah devait tenter une nouvelle expérience. De Aïn Draham à l’Italie où, en compagnie d’un ami Mohamed Kriâa, il ouvre le restaurant ‘’Sidi Bou Saïd’’ à Ostia et le ‘’Dido’’, à Rome. Très vite le restaurant connut un grand succès auprès des Italiens mais ses promoteurs devaient déchanter au bout de deux années. Les brigades rouges, explique Nebil Ben Abdallah, soufflaient le chaud et le froid tant et si bien que l’atmosphère devenait irrespirable. C’est tout dire.

En 1972, retour à la case départ c’est-à-dire à l’ONTT et plus précisément à la Direction qui commençait à prendre de l’importance, eu égard à la nouvelle dimension économique que prenait le secteur touristique. Après un stage pédagogique d’une année à Paris, il enseigna à l’école hôtelière de Sidi Drif avant de partir pour Monastir, en 1975, ouvrir la première école hôtelière de la ville dont la vocation touristique se confirmait d’année en année. Des souvenirs de jeunesse le rattachaient à cette ville côtière. Il aimait par-dessus tout se promener dans cette attachante promenade au bord de la plage qu’on appelait et qu’on appelle toujours ‘’El Karayia’’ allant de la place 3 août aux pieds du majestueux Ribat.

Cette nouvelle situation n’était pas pour lui déplaire. Mais en homme de terrain et ne pouvant être que son propre patron, Nebil Ben Abdallah désirait en son for intérieur revenir à son lieu de prédilection : ‘’Aïn Draham’’, aux Vosges Tunisiennes, pour reprendre ce terme qu’il ne cesse d’utiliser, alliant ainsi souvenirs et présent et reliant, pour son propre plaisir, deux mondes différents.

Il y retourna, en 1977, en louant, en gérance libre, l’hôtel ‘’Les Chênes’’ auquel, il redonna vie en relançant pour son plaisir et le plaisir de ses clients le tourisme de chasse à un moment où la Tunisie touristique cherchait à diversifier son produit.

Ayant eu vent de la vente de l’hôtel ‘’Bellevue’’, en 1985, il n’hésita pas une seconde. Il commença par créer la ‘’Société Touristique de Kroumirie’’, entreprit toutes les démarches, établit son schéma de financement et obtint son crédit bancaire, engageant les travaux la même année. Coût total du projet : 2,813 millions de dinars pour une capacité de 150 lits, soit un coût de 18,7 mille dinars le lit, ce qui constitue en lui-même une performance. Un réel effort de maîtrise du coût sans pour autant porter atteinte à la qualité du bâti de cette coquette unité 3 étoiles : ‘’Le Royal Rihana Hôtel’’.

Heureux qui comme Nebil Ben Abdallah réalisait deux rêves. Le premier en revenant à ce monde qu’il chérissait et chérit toujours, le monde des forêts et des fauves et le second en devenant son propre patron. Il est seul maître à bord. Se donnant pleinement à son travail, il s’est vite fait une réputation de bon gestionnaire et de patron avisé. Ses clients, qu’il considère comme des amis, sont devenus au fil des années des fidèles du ‘’Royal Rihana’’, cette petite unité solidement flanquée sur l’une des montagnes de la Kroumirie et s’intégrant parfaitement dans son environnement fait d’arbres sauvages, de rocs et de fauves.

Nébil Ben Abdallah qui aime se définir comme étant ‘’le doyen des investisseurs dans une région à l’époque tragiquement enclavée’’, se trouve dans son élément. Et c’est avec un plaisir renouvelé qu’il accompagne ses clients et non moins amis dans les randonnées équestres et pédestres qu’il organisait à leur intention, un nouveau produit dont il s’est fait l’initiateur. Lui qui connaît tous les coins et recoins de cette forêt jadis inhospitalière, s’est fait un point d’honneur d’accompagner la quasi-totalité des groupes de chasseurs de sangliers et autres lapins sauvages. Parmi ses clients les plus fidèles, il cite Gaston Deferre, ministre d’état, ministre de l’Intérieur du premier gouvernement socialiste français et François de Grossouvre, ami de François Mitterrand et son conseiller à l’Elysée.

Homme de communication, combatif et disposant d’une longue expérience dans ce domaine désormais le sien, il n’a de cesse de conseiller ses collègues, de les aider à se frayer un chemin dans un secteur auquel les temps nouveaux ont asséné un coup très dur. Et ce n’est nullement par hasard que Nébil Ben Abdallah se trouve depuis plusieurs mandats (jusqu’en 2005) à la tête de la Fédération Régionale de l’hôtellerie pour la région du Nord-Ouest englobant principalement Bizerte, Tabarka et bien sûr Aïn Draham.

Votre commentaire