Les trois guerres de Youssef Chahed : un pari pour la survie

Les  trois guerres de Youssef Chahed : un pari pour la survie

 

Youssef Chahed, le Chef de gouvernement d’union nationale s’est-il converti en chef de guerre. Même s’il n’a pas encore revêtu le treillis de circonstance, c’est ce qu’il n’a cessé de répéter. Chef de guerre contre le terrorisme, ça il l’a hérité de ses prédécesseurs. L’ex-chef de gouvernement Habib Essid a eu à pâtir plus qu’aucun autre de ce fléau puisqu’au cours de son mandat la Tunisie a eu à faire face à trois attentats meurtriers qui ont mis le pays à genoux en ciblant un de ses secteurs-clés le tourisme. Mais c’est à lui aussi qu’on doit la plus grande victoire, au cours de laquelle les forces du mal ont été stoppées net aux portes de Ben Guerdane un certain 7 mars 2016. Ce fut un véritable tournant dans cette guerre. Même si d’autres actions de moindre importance ont été ou peuvent être enregistrées, ce n’est désormais que du terrorisme résiduel.

Dans ce cas, Youssef Chahed le chef de guerre contre le terrorisme est dans une situation plus confortable. Il sait qu’il peut compter sur les forces militaires et sécuritaires fortement mobilisées. La vigilance doit être naturellement de mise et aucun relâchement même le plus infime ne peut être toléré. Notre pays n’étant pas habitué à ce phénomène, il a fallu du temps et des moyens pour conduire victorieusement la bataille. Désormais rien ne s’oppose à ce que l’estocade finale soit donnée à ce fléau. N’oublions pas, néanmoins que le danger risque de venir de l’extérieur, soit du voisinage immédiat encore en proie au terrorisme daechien, soit de plus loin avec le retour des « djihadistes » rentrant des zones de conflit d’où ils ont été ou vont être expulsés après une cinglante défaite qui ne fait plus de doute.

En mai dernier, le chef du gouvernement s’est lancé dans une autre bataille autrement plus dangereuse, car tellement insidieuse. C’est la guerre contre la corruption, la contrebande et les malversations multiples et variées. Ces maux se sont répandus d’une façon exponentielle et ont commencé à ronger le pays, handicapant ses capacités à assurer son développement et son essor, outre ses effets néfastes sur les équilibres fragiles d’une société en pleine mutation. En déclenchant cette guerre, il a bien expliqué que pour lui, il n’y a d’alternative qu’entre l’Etat et le « fasad » terme générique de tous les maux ci-dessus cités, or lui, il a choisi l’Etat.

En recourant au décret du 26 janvier 1978 relatif à l’état d’urgence, il a pris conscience dès le départ des difficultés de l’exercice. Certes de « gros poissons » ont été mis hors d’état de nuire et leurs biens indûment acquis ont été confisqués. Mais jusqu’ici, en dehors de contrebandiers notoires, peu de gens agissant dans d’autres secteurs ont été inquiétés. Alors que l’on sait, que ce fléau touche à tous les domaines d’activité et que tel un cancer il a métastasé partout, on n’a pas vu beaucoup de responsables politiques, des hommes de médias, ou des personnes connues, traînés devant les tribunaux pour des suspicions qu’on continue pourtant à leur accoler.

Guerre « en marge de la légalité » et peu ou prou « sélective », il n’en a pas fallu beaucoup pour que les reproches fusent. Surtout que les deux grands partis politiques Ennahdha et Nidaa Tounés, tout en affichant un « soutien sans faille » à cette guerre n’ont rien fait pour lui faciliter la tâche. Craignent-ils que certains de leurs proches y soient trempés. C’est d’ailleurs, cette dernière allégation que l’opinion publique privilégie.

Du reste, on sent qu’un coup de frein a été donné à cette guerre, alors que Youssef Chahed ne cesse de réitérer que sa volonté est d’aller jusqu’au bout. Il faut dire que cette guerre a été accueillie avec ferveur par l’opinion publique qui y a vu enfin une manifestation de la détermination des autorités à mettre un terme à un fléau qui est devenu le mal absolu dans le pays.

C’est d’ailleurs à la faveur de cette guerre que la popularité de Youssef Chahed a pris son véritable envol. Les Tunisiens lui savent gré d’avoir enfin osé s’attaquer aux origines du mal. Certes, ils peuvent paraître déçus que ça n’aille pas plus loin, mais rien que pour cela, ils lui restent reconnaissants. Ils savent tout le mal qu’il se donne car ils sont conscients qu’on ne lui facilite pas la tâche, surtout du côté des partis politiques de la majorité.

En déclenchant sa troisième guerre contre la spéculation et la hausse immodérée des prix, Youssef Chahed cherche-t-il à reprendre la main à la lumière des résultats plutôt décevants au regard de l’opinion publique de la guerre contre le fameux « fassed ». On peut le penser. En se rendant à l’aube au marché de gros de Bir Kassaa et en ouvrant le feu contre les spéculateurs de tout acabit qui jouent avec «le panier de la ménagère » c'est-à-dire avec les prix des légumes et fruits qui font l’essentiel de l’alimentation des classes défavorisées et moyennes, le chef du gouvernement mène certainement une action de salubrité publique.

Les Tunisiens ne peuvent que lui témoigner leur soutien. Mais là aussi il s’agit d’une action de longue haleine qui ne peut être remportée qu’au prix d’efforts continus et persévérant. Youssef Chahed peut se prévaloir d’avoir osé ouvrir les batailles qui vaillent la peine d’être menés. Devant le soutien calculé ou timoré que lui manifeste la classe politique, particulièrement les grands politiques de la majorité quand bien même il conduit un gouvernement d’union nationale-ce qui est un paradoxe-, les trois guerres qu’il mène, avec plus moins de bonheur, et la popularité qu’elles lui assurent auprès de l’opinion publique peuvent-elles pallier le peu de soutien politique dont il bénéficie.

Au moment où des scénarios sont échafaudés pour raccourcir autant que faire se peut la durée de vie du gouvernement dont le Chef se trouve sur un siège éjectable, ces guerres sont peut être son pari pour la survie.

RBR

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