L'éveil d’une laïcité fondamentaliste !

 L'éveil d’une laïcité fondamentaliste !

Par Dr Mahjoub Lotfi BELHEDI (*)

Au-delà de toute surenchère possible, une mise au point s’impose : Primo, la décapitation du professeur Samuel Paty et les crimes  perpétrés á la basilique de Notre-Dame á Nice  sont incontestablement  des actes terroristes caractérisés,  barbares  á connotation intégriste, condamnables par tous les textes sacrés  sans exception.  

A ce titre, la  communauté internationale est appelée á  combattre ce fléau sanguinaire transnational dans la plus grande détermination et sérénité requise, loin de toute suspicion de collision ou instrumentalisation possible comme c'était toujours le cas !

Secundo, une lecture en profondeur des déclarations du président Macron dans lequel il  a réaffirmé que la France  ne renoncerait pas aux caricatures religieuses,  n’est possible qu'à partir d'un décryptage  de la matrice conceptuelle laïque  Française. 

Tertio, toute critique envers le concept laïque  ne doit en aucun cas  être confondue avec la sécularisation vu leurs caractères dichotomiques.

• Tout a commencé...

L’arrière plan historique des propos du président français remonta á l’ère de la révolution Française de 1789,  plus exactement entre 1792 et 1795 où la France était gouvernée par la Convention nationale. 
  
A partir de cet acte,  le processus de séparation de l’église et de l’Etat se déclencha aboutissant á une forme de « nationalisation » de l’institution catholique à la fois dans ses biens mais aussi dans sa structure et sa culture. Blasphème, sorcellerie, hérésie, disparaissent du Code pénal. 

Ce texte fondateur  décrète, notamment que « conformément à l’article VII de la Déclaration des droits de l’Homme, et à l’article CXXII de la Constitution, l’exercice d’aucun culte ne peut être troublé. II. La République n’en salarie aucun. III. Elle ne fournit aucun local, ni pour l’exercice du culte, ni pour le logement des ministres. IV. Les cérémonies de tout culte sont interdites hors de l’enceinte choisie pour leur exercice ».

Il stipule également que « tout rassemblement de citoyens pour l’exercice d’un culte quelconque est soumis à la surveillance des autorités constituées » et qu’« aucun signe particulier à un culte ne peut être placé dans un lieu public, ni extérieurement, de quelque manière que ce soit ».

• Puis confirmé...

Sans surprise, la loi de 9 - Décembre - 1905 assure la continuité d'une laïcité  typiquement Française. Dans son titre V , sous l’intitulé « Police des cultes », il est notamment précisé que « les réunions pour la célébration d’un culte… restent placées sous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public » et que « si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile ».

Ce long cheminement chronologique de la laïcité a conduit à : 

1/ Une laïcité de rupture fondée essentiellement sur le postulat   de séparation  totale entre le pouvoir temporel et  pouvoir spirituel, or le fait religieux,  qu'on le veuille ou non, interfère sur la sphère publique, 

2/ Une laïcité troublante, sujette de confusion avec le sécularisme,  alors que la laïcité prône la séparation brutale, aveugle  entre État / Religion   au nom de l’universalisme  et de la liberté  de conscience, le sécularisme privilégie la logique de coexistence entre les deux sphères tout en reconnaissant une liberté  de conscience sans heurt,

3/ Une laïcité orpheline qu'on  ne trouve nulle part sauf dans deux pays où le principe de la laïcité est inscrit dans leur constitution, en l’occurrence, la France et le Portugal. Les autres États Européens, s'ils reconnaissent la liberté de conscience, accordent une place à la religion dans leurs institutions publiques.

En effet, dans la quasi-majorité des pays de confession catholique, malgré une officielle séparation de l'État et de l'Eglise, celle-ci bénéficie d’un financement public, assimilée á une fonction de service public où elle  gère effectivement des vastes réseaux  d’hôpitaux, d'écoles et d’universités á travers le continent  européen.

Il faut rappeler á ceux qui fassent encore l’amalgame entre sécularisation et  laïcité que la Constitution grecque s'ouvre sur l'invocation de la " Trinité sainte, consubstantielle et indivisible ", en Irlande aussi, la Constitution évoque la " Très Sainte Trinité " et le " Divin Seigneur Jésus-Christ ",  en Espagne l’église catholique jouit encore d'un financement public, en Italie, les principes de catholicisme sont toujours considérés comme faisant " partie du patrimoine historique du peuple italien " et le délit de blasphème demeure. 

Aux clans protestants, même si l'État Britannique ne finance aucun culte, l'Église d'Angleterre dispose d'une représentation propre au Parlement : les deux archevêques et les vingt-quatre évêques sont membres de droit de la Chambre des lords.  En Suède, et au  Danemark l’église évangélique luthérienne est une église nationale dont le monarque  est appelé à professer le dogme luthérien.

Alors, qu’en Allemagne où se partage le legs religieux d’une manière presque équitable entre les protestants et catholiques,  les Églises protestantes et catholiques, considérées comme des " corporations de droit public ", sont donc financées par un prélèvement fiscal obligatoire. 

4/  Enfin une laïcité  d’essence fondamentaliste,   animée d'une volonté de retour aux sources, à une pureté originelle de la foi - cette fois ci sous couvert d'un corpus de valeurs républicaines endurcies - qui se trouverait dans les Ecritures – la Convention Nationale et la loi de 1905 -

Assurément,  un sécularisme  éclairé non discriminatoire garantissant la coexistence pacifique entre les différentes communautés est toujours la bienvenue, par contre,  non et mille fois non, à un rebondissement d’un  fondamentalisme á connotation laïque ! 
En tout état de cause, il ne faut jamais attiser les feux d’un incendie en jouant le jeu des islamistes intégristes ! Surtout pas !

(*) Universitaire / Chercheur en réflexion stratégique 

Votre commentaire