Loi électorale: Quand Ennahdha s’applique à faire diversion !

Loi électorale: Quand Ennahdha s’applique à faire diversion !

Par Naoufel Ben Aissa

Pour beaucoup de Tunisiens, Ennahdha, composante essentielle du pouvoir politique depuis une décennie, est responsable de la détérioration de l'état général du pays et de la qualité de la vie des citoyens. Or, si ce parti a pu se maintenir au carrefour de l'échiquier politique, n'est-ce pas par la grâce de la loi électorale post-révolutionnaire concoctée - avec ses partenaires de la troïka - à sa convenance et pour servir ses desseins, selon ses détracteurs !

En effet, au nom de la liberté constitutionnelle, le code électoral actuel permet autant aux indépendants qu'aux associations de se porter candidats aux différentes échéances électorales. Or, la liberté de postuler ne devrait pas occulter la sacro-sainte loi républicaine de l’égalité des chances. Malheureusement, l'ensemble des belligérants ne sont pas soumis aux mêmes contraintes et aux mêmes exigences.

Ainsi, de par la loi, si les partis politiques se doivent de montrer à tout moment de leurs exercices patte blanche, de justifier les sources de leurs revenus, de s’abstenir de recevoir un financement étranger et de fournir des aides sociales, les associations sont libérées de ces contraintes. Quant aux indépendants, ils sont au-dessus de tout questionnement. Il est clair ainsi que l’égalité des chances est loin d’être assurée aux différents protagonistes.

Au nom de la liberté de briguer des mandats et de postuler aux élections, on a permis de telles aberrations en les éludant totalement à des fins inavouables et machiavéliques.

S’opposer à de telles pratiques ne relève nullement d’une démarche liberticide. Il ne s’agit bien évidement pas de confisquer aux citoyens la liberté de postuler aux élections ou de la restreindre. S'ils ont la conviction de porter une approche ou un programme complètement différent qui ne se recoupent pas avec celui d’aucun parti existant, les indépendants, autant que les associations, peuvent se constituer en partis politiques d'autant plus que la réglementation en vigueur le permet aisément.

Il est clair que la pratique faite actuellement de la loi électorale en vigueur ne sert que les intérêts d’Ennahdha puisqu’elle lui permet de récolter le suffrage de ses sympathisants et de décimer celui du bloc majoritaire des Tunisiens qui la rejette. C’est ainsi que perdure depuis une décennie une farce qui fait qu’une minorité des Tunisiens tient les commandes au détriment de la majorité dont l’expression du suffrage est torpillée par la légion des listes indépendantes. 

Il en résulte qu’à chaque scrutin, plus d’un million de voix exprimées contre Ennahdha passe des urnes aux poubelles. Par ailleurs, comment justifier l’incohérence totale entre un régime politique parlementaire et une marginalisation de son socle que sont les partis politiques ?

En fait, le vrai problème est justement lié aux listes électorales qui sont en train de dilapider des voix. Il s'ensuit que les citoyens sont frustrés de ne pas voir de traduction de leurs suffrages se réaliser au travers des élus ! D'autre part, nous sommes en train de voir une minorité, qui est Ennahdha - fût-elle à la hauteur de 15 ou 20% de l'ensemble des suffrages exprimés- être le leader incontesté de la scène politique. Ceux qui ne sont pas pour le parti Ennahdha, et qui sont donc les 80% restants des électeurs, se trouvent de ce fait dispersés par la pléthore de listes électorales qui sont là justement pour dilapider leurs voix.

Tout compte fait, Ennahdha trouve tout le bénéfice à ce que ce mode de scrutin et cette loi électorale continuent d'exister et à sévir.

Entre-temps, Ennahdha fait diversion en proposant une révision de la loi électorale pour imposer un palier électif. Ce palier n’est en fait qu’un leurre pour empêcher l’opinion publique de se pencher sur le vrai problème que nous venons d’évoquer. Ennahdha trouve aussi tout le bénéfice à ce que l'opinion publique, de façon sournoise, soit dirigée vers des sujets secondaires, voire nocifs.

Le fait d'imposer un pilier électoral pour être élu dans une jeune démocratie - où les partis politiques ne sont pas tout à fait arrivés à maturité - ne permettra pas l'éclosion de nouvelles forces politiques. Ceci explique que la quasi-totalité des forces politiques qui ont survécu soient nées d’avant la révolution.

C’est quoi cette démocratie "particide" qui empêche l’avènement de nouvelles forces politiques ? Sinon, comment se fait-il qu'après la révolution nous ayons assisté à l'attribution de plus de 200 autorisations de partis politiques mais dans les faits, il y en a si peu encore actifs ? De ce fait, la majorité des partis aujourd'hui représentés au Parlement, existait avant la révolution

- soit sous la forme de groupuscules à la faculté

- soit sous forme de partis pourchassés par l'ancien régime comme Ennahdha et ses satellites ou le POCT et autres partis de gauche.

- soit le RCD, désormais de retour sous différentes configurations (Nidaa, PDL, Qalb Tounes, Tahya Tounes...).

Imposer un palier est déjà de fait "particide", c'est-à-dire qu'il va tuer les partis politiques, puisqu'il va empêcher l'éclosion de nouvelles forces politiques. Pour atteindre ses buts, en usant de ruses et de manipulations de la loi électorale, Ennahdha amène les gens à regarder ailleurs pour qu'ils évitent de regarder là où est l'essentiel qui est de faire barrage aux listes électorales, surtout celles qui ne sont pas sur un pied d'égalité en termes de concurrence.

Avec cet imbroglio politico-politicien, le peuple, hébété et à bout de nerfs, se retrouve avec chaque échéance électorale bluffé et ne comprend toujours pas à quoi ont servi les élections !

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