Mais que veut donc Kaïs Saïed ? Le pays n’a-t-il pas déjà assez de problèmes !

Mais que veut donc Kaïs Saïed ? Le pays n’a-t-il pas déjà assez de problèmes !

 

Deux semaines après le vote de confiance par le Parlement en faveur des onze ministres proposés par Hichem Mechichi dans le cadre du remaniement de son gouvernement, ces hauts responsables n’ont pas rejoint leur poste faute d’avoir été nommés officiellement par décret présidentiel et d’avoir prêté serment devant le président de la République comme le prévoit la Constitution. Si on se fie aux propos du président Kaïs Saïed lors de la réunion du conseil de sécurité nationale la veille de la séance de vote, le chef de l’Etat refuse de recevoir des ministres sur lesquels pèsent des soupçons de corruption ou de conflit d’intérêts.

Mais est-ce la vraie raison dans la mesure où la présidence de la République ne veut pas donner l’identité de ces ministres. Le chef du gouvernement Hichem Mechichi a écrit au président de la République pour lui demander de fixer un rendez-vous pour la prestation de serment sans recevoir de réponse. Il aurait adressé un rappel dans le même sens et il attend toujours. D’après certaines sources, le locataire de la Kasbah serait disposé à faire des concessions, sans que l’on sache s’il envisage de prendre en considération les objections du président de la République si celui-ci les exprime clairement.

Dans tous les cas le blocage ne peut pas durer plus longtemps. Car le pays étant dans une situation financière, économique et sociale critique, aggravée par la crise sanitaire née de la propagation du coronavirus dans des proportions qui restent alarmantes, malgré un début de décrue, il ne peut supporter plus longtemps ce théâtre d’ombres où on ne distingue pas celui qui a raison de celui qui a tort.

D’ailleurs cela n’a plus grande importance car il faut maintenant sortir de cette impasse qui risque si elle perdure de mettre à mal l’Etat que chacun des protagonistes dit pourtant vouloir préserver.

On ne peut évidemment disculper Hichem Mechichi qui a décidé un remaniement de son équipe après seulement quatre mois de son installation. Ce n’était vraiment raisonnable de sa part surtout que ce remaniement concerne en pleine pandémie le ministère de la Santé. Le successeur de Faouzi Mehdi sera le cinquième titulaire de ce poste depuis le début de l’épidémie. C’est fort de café, comme dirait l’autre.

Le tort du chef du gouvernement, c’est aussi d’avoir mis à la porte tous les membres du gouvernement considérés comme proches de Kaïs Saïed. Changer onze ministres d’un coup et démettre pour supprimer son département, la ministre chargée des relations avec la société civile ont été pris pour une guerre déclarée contre le président de la République. Ce que ni ce dernier, ni ses proches ne peuvent admettre quand bien même ils ne peuvent l’exprimer ainsi.

Aux yeux de Carthage, le chef du gouvernement est celui qui a mordu la main qui lui a permis d’être là où il se trouve. Si ce n’est pas de l’ingratitude cela lui ressemble fort, estime-t-on. Il a plus accordé de l’attention à ce qu’il appelle son « coussin politique » qu’à ses rapports avec le chef de l’Etat.

Alors qu’il s’est concerté avec les partis et blocs parlementaires faisant partie de la coalition gouvernementale qui le soutient, il s’est contenté d’informer le président de la République de ses intentions sans le mettre au parfum de ce qu’il compte faire.

On ne fait d’ailleurs pas mystère du fait que deux ministres investis sont sinon encartés à certains partis politiques de la coalition, du moins considérés comme très proches d’eux. Ce qui ne fait qu’accroitre le rejet de ce remaniement par Kaïs Saïed, lui qui ne tient pas en estime les partis politiques dans leur ensemble et c’est peu de le dire.

Du reste les commentaires peu amènes faits par des leaders politiques suite au refus du président de la République de fixer un rendez-vous pour la prestation de serment ont davantage crispé le locataire au lieu de le conduire à desserrer l’étau. Alors que lui se proclame l’unique chef de l’Etat, un et indivisible, le fait que l’on réduise son rôle à être symbolique comme l’a dit tout de go le leader d’Ennahdha, Rached Ghannouchi a fortement déplu à Kaïs Saïed et l’a encore déterminé à ne pas changer sa position d’un iota.

L’UGTT a-t-elle cherché à jouer l’intermédiaire en vue de trouver une issue à cette impasse politico-institutionnelle. Mais cela ne semble pas avoir été le cas surtout que l’organisation ouvrière a vite fait d’annoncer qu’elle n’a pas l’intention de jouer ce rôle tout de suite après la rencontre ayant eu lieu entre Kaïs Saïed et le secrétaire général Noureddine Taboubi, en se contentant de souligner la nécessité de se conformer à la lettre de la Constitution sans aucune interprétation possible des jurisconsultes qui se sont empressés de donner des avis, forcément, contradictoires.

Les choses s’étant compliquées depuis, la question qui se pose avec acuité est celle-là : Dans ces conditions, que veut donc le président de la République Kaïs Saïed le seul à détenir la solution entre les mains.

S’il veut marquer la prééminence de la présidence de la République dans le système politique tunisien, on peut lui dire que c’est gagné puisque c’est de lui que va venir la solution de la crise devenue une impasse.

S’il veut se prendre pour le Monsieur Propre venu sur un cheval blanc pour combattre la corruption, l’argent sale mais aussi la misère, la pauvreté et tous les fléaux de la société, on veut bien le croire s’il s’en donne les moyens et ne reste pas dans les discours creux et la phraséologie où l’emphase l’emporte sur le réel.

Certes on peut comprendre qu’il marque son attachement à la lettre de la constitution, car il a prêté un serment solennel pour la respecter, mais on est en droit de lui demander de nous éclairer sur son interprétation à lui de la Loi Fondamentale, car à défaut de Cour Constitutionnelle, c’est lui qui en est l’interprète patenté, même si par ailleurs on ne peut être arbitre et partie.

Kaïs Saïed n’a fait dans ses discours que pointer du doigt ces ennemis internes et externes dont il ne précise à aucun moment l’identité qui trament des actions malfaisantes dans des chambres noires contre la patrie dont lui est le vigilant gardien. Ce discours complotiste mâtiné d’une dose de populisme ne peut pas mener loin. L’obligation de réserve qu’il dit observer pour ne pas désigner nommément ces ennemis ne tient pas dans la mesure où c’est l’intégrité de l’Etat, son autorité et son prestige qui sont en jeu.

Dans le cas de l’espèce, à savoir le remaniement ministériel en cours, que veut Kaïs Saïed ? Suffira-t-il que Hichem Mechichi démette les trois ou quatre ministres en cause pour que le président de la République accepte le reste ? On peut en douter car il semble que le président de la République remet en cause le remaniement dans son intégralité puisqu’il considère que le fait qu’il ait été soumis au vote du Parlement n’est pas conforme à la Constitution.

Cela voudrait-il dire que dans son esprit tout remaniement ne peut se faire qu’entre le chef du gouvernement et le chef de l’Etat puisque c’est ce dernier qui le valide par le décret de nomination et la prestation de serment en sa présence. Si le Parlement a une quelconque objection à ce sujet, il peut le faire valoir par le truchement d’une motion de censure. C’est d’ailleurs ainsi que fonctionne un pays comme la France qui a un régime à la fois présidentiel et parlementaire, dans lequel le gouvernement nommé par le président de la République est responsable devant le Parlement.

Est-ce vers cette direction que Kaïs Saïed veut mener les institutions du pays.

Il se doit de le dire clairement. Le blocage n’est plus permis. Il ne peut durer éternellement

RBR

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