Ministère de la Culture, inventaire de l’exercice de son Excellence

Ministère de la Culture, inventaire de l’exercice de son Excellence

Mon inventaire se rapportant à l’exercice de son Excellence Mohamed Zinelabidine à la tête du ministère de la Culture, qui va dépasser les trois ans, se limiterais à cinq dossiers que je croix bien connaitre.   La mésaventure de la Muqaddima d’Ibn Khaldoun, la Bibliothèque dite numérique de Sfax, la manifestation Tunis capitale de la culture islamique 2019, la gabegie dont souffrent les caisses de subventions culturelles, et je finirais avec les projets de son Excellence onéreux, mais coquilles vides.

La mésaventure d’Ibn Khaldoun 

 Notre auguste ministère de la Culture s’était pris du désir d’inscrire au nom de la Tunisie la Muqaddima d’Ibn Khadloun sur le Registre de la Mémoire du monde de l’UNESCO. Son dossier mal-fignolé n’excéda pas le statut d’un coup d’épée dans l’eau. Il ignorait que la soumission d'une candidature n’est que le début d'un long processus de validation qui commence par le remplissage d’un formulaire standardisé pour tous pays, le Comité du patrimoine mondial qui se réunit en principe une fois à l’année statuera sur les demandes formulées par les différents pays ayant déposé une ou plusieurs candidatures ; l’acceptation du dossier n’a jamais été automatique. 
Son Excellence voulait forcer le destin, il organisa maladroitement, le 12 décembre 2017, lors d’un mauvais happening tenu à l’Institut national du patrimoine, une cérémonie consacrée à la signature de ce que son Excellence et ses camarades ont baptisé l’appel de Tunis pour inscrire la Muqaddima d’Ibn Khaldoun sur le Registre Mémoire du monde. Toutes ces signatures, se comptent-elles par milliers, ce qui n’est pas le cas, ne valent rien si le dossier est mal fignolé, ce qui est, précisément, le cas.
Son Excellence, dans l’incapacité de joindre au dossier présenté à l’UNESCO une copie de la Muqaddima ayant une valeur historique conservée dans le lieu idoine, en l’occurrence la Bibliothèque nationale, puisqu’elle n’en possède pas, le dossier n’aura aucune chance d’aboutir.  Tout le tintamarre fait autour de cette ineptie est à mettre sur le compte des agitations sans lendemain dont son Excellence s’etait fait le spécialiste.  

Libation des deniers publics dans un projet stupide

Trente milliards de millimes, trente millions de dinars pour un smartphone ; c’est le prix que l’État aurait dû payer si nous n’avions pas mené, tambours battants, une campagne tous azimuts contre un projet farfelu, défendu par son Excellence le ministre de la Culture Mohamed Zinelabidine, en l’occurrence ladite Bibliothèque numérique de Sfax qui devrait s’arroger le bâtiment de l’historique église catholique. Il voulait transformer un temple du sacré en un temple de la libation des deniers publics. 
Tout smartphone, toute tablette, tout ordinateur est une bibliothèque numérique en soi et en puissance ; à quoi bon, donc, le ministère de la Culture s’obstine-t-il à faire saigner le Trésor public d’une somme astronomique investie dans un projet dont la rentabilité est nulle ; alors, qu’avec ces 18 milliards de millimes investis dans cette église, nous devrons, normalement, avoir un condensé technologique au mètre carré qui surpasse tout ce que l’humanité ait conçu jusqu’à maintenant. 
Dans tous les cas, le projet, selon les statistiques du ministère de la Culture, s’est arrêté à 12 % des travaux programmés. Donc l’État a déjà investi 2,16 millions de dinars dans ce satané projet ; je convie tout observateur à jeter un petit coup d’œil sur les travaux qui ont coûté cette somme astronomique, puis on parlera.
Le martyr de la ville continu encore. En effet, L’État a alloué à Sfax et à sa région dans le cadre de la non regrettée manifestation Sfax capitale de la culture arabe 2016 une enveloppe initiale de 9,5 millions de dinars gérée par le ministère de la Culture sur le budget de 2016 ; le 26 mai 2016, le Conseil des ministres décida de rehausser la subvention à ladite manifestation à 30 millions de dinars, le 2 juin 2016, le ministre des Finances annonça la bonne nouvelle. 

Les deux sommes, continuité de l’État oblige, sont devenues de jure et de fait assignées au bénéfice de la culture à Sfax, tout retranchement fait à l’une des deux sommes sera mis au compte de la méprise ; tout peut mentir sauf l’État. Il paraît que le comité directeur de la manifestation Sfax capitale de la culture arabe 2016 a dépensé 4,5 milliards de millimes, volatilisés dans des actions festives, en majorité puériles, qui n’ont laissé que peu de traces. 
Tout le reliquat doit être mis au compte de la sauvegarde du patrimoine de la ville et il y a péril en la demeure. Sauvegarde des remparts de la ville ; Sfax sans ses remparts est une dame nue, Sfax avec ses remparts dans leur état actuel s’apparente à une dame digne et fière, néanmoins portant des habits éculés, avachis et affreux. Restauration du musée archéologique fermé à l’entrée du public depuis une décade pour des restaurations sempiternelles ; aberration incommensurable. Restauration du musée Dar Jallouli fermé aussi récemment pour cause de décrépitude avancée. Restauration de la médersa Husseiniya… 

Tunis capitale de la culture islamique 2019, dites-vous ! 

Le 21 novembre 2017, son Excellence participa au congrès de l’ISESCO à Khartoum, en intrépide homme politique, sans prendre en considération les mesures exactes de l’action qu’il va entreprendre d’un point de vue financier et logistique et fort probablement sans consulter son supérieur a demandé que Tunis soit la capitale de la culture islamique en 2019 ; faute de candidat, sa proposition fut illico presto acceptée.

L’année 2018 est passée sans que son Excellence ne nous annonce la composition du comité directeur de cette manifestation, ni la planche budgétaire qui lui a été allouée, ni les actions dont bénéficiera la ville de Tunis spécialement sa médina, ni le programme des activités qui y seront organisées. L’année 2019 passe sans que cet écran de fumée ne se dissipe. J’ai pris l’initiative de lui adresser une demande d’accès à l’information concernant la somme allouée à la manifestation absente du budget du ministère pour les exercices 2018 et 2019. Sa réponse fut que l’État n’a pas prévu une enveloppe spécifique pour cette manifestation ; néanmoins, il lui consacrerait un crédit tiré du chapitre manifestations équivalent à 3 millions de dinars. La question qui se pose est : qu’a-t-on fait avec cette somme, notre visibilité s’y rapportant est brumeuse. 

Le 17 décembre 2019, son Excellence en catimini, en présence de quelques officiels tunisiens et quelques accrédités en Tunisie à qui s’ajoute quelques initiés clôtura les festivités de « Tunis, capitale de la culture islamique 2019 ». Dans son discours, relaté par la TAP, son Excellence n’a pas évoqué le moindre bénéfice dont Tunis et a fortiori la Tunisie aurait capitalisé soit en notoriété soit en publication s’y rapportant, soit en monuments l’immortalisant, etc. Toujours est-il que dans ce type de cérémonie apprêtée on n’oublie pas de s’échanger les congratulations mutuelles, les décorations, les attestations de réussites ; quoi, toutes les futilités cérémoniales, mais ô combien onéreuses ! 

Prodigalité pour le spectacle, parcimonie pour le patrimoine

 Les universitaires qui ont été mandatés ministres de la Culture ont tous failli à leur mission, singulièrement ceux venus de la sphère musicale, ils n’avaient de yeux que pour les arts du spectacle et pour le cinéma ; le patrimoine, parent pauvre, n’avait droit qu’à des sommes dérisoires. Résultat, la décrépitude à vue d’œil de nos joyaux séculaires ; les remparts historiques des médinas de Sfax, Kairouan, Monastir en sont les meilleurs exemples. À cela s’ajoutent les musées qui se ferment pour restaurations qui s’éternisent. 
Que dire de la malédiction qui touche aux vestiges antiques devenus ouverts à tout vent ; chaque semaine, on entend la confiscation de trésors de monnaies, d’amphores, de statues antiques… les mosaïques sont délaissées à découvert, presque des mines à ciel ouvert pour tout braqueur impromptu de notre patrimoine… 

Étant que son Excellence s’obstine à dilapider les deniers publics dans les projets volatiles ne laissant aucune trace réelle ; moi-même à travers une demande d’accès à l’information je lui ai présenté une requête liée aux subventions allouées par le Fonds d’encouragement à la création littéraire et artistique.

 L’INAI, l’une des plus efficientes instances nationales créées après 2014 a statué sur ma requête par la décision 139/2018, Elle comporte deux éléments : le premier impose à son Excellence de me procurer une copie du rapport du ministère concernant la justification, pour chaque projet, des motifs qui ont présidé pour qu’il soit subventionné par ce Fonds ; le deuxième de me procurer une copie des pièces qui justifient que le projet a été exécuté. Nous en attendons toujours !

La décision est téléchargeable à l’adresse suivante :

http://www.inai.tn/wp-content/uploads/2019/08/0139-2018-nb1.pdf

Le cinéma, le Pantagruel des interventions du ministère, trouve deux brèches pour s’arroger le plus gros lot des subventions de notre argent public. Néanmoins, quelques interrogations s’imposent.
Qui a vu les films subventionnés sur l’exercice de 2015 du Fonds d’encouragement à la création littéraire et artistique : « le mur du savoir », d’Abdelhamid Larguech, « La Rachidia » de Mokhtar Lajimi , « Sfax entre la mémoire et l’histoire » d’Abdelkader Jerbi ? qui a regardé les films subventionnés sur l’exercice de 2016 tels « le portefaix » de Mourad Elabed, « La margelle du puits » de Chiraz Bouzidi ? Tous ces films ont bénéficié d’une subvention tournant autour de 100000 dinars ; le record a été battu par le film intitulé « Sfax, la médina » de Mohamed Ben Mahmoud qui a encaissé 660000 dinars. Sfax a été l’objet de deux films dont on ignore s’ils ont été projetés et à quelle occasion !

Les films subventionnés par le Centre national du cinéma et de l'image aux titres des années 2016 - 2017- 2018 dont le nombre a été établi à 66 films répartis entre films courts, longs-métrages, documentaires courts, documentaires longs, avec des subventions allouées à la réécriture ; ont coûté la somme totale de 12 475 000 dinars. Avec cette somme nous attendions un affermissement de la soft power du pays ; vœu pieux !

Programmes coûteux pour un bénéfice nébuleux

Finalement, son excellence ne cesse de se targuer des trois programmes qui lui tiennent le plus au cœur, les programmes dits « Cités des arts », « Cités des civilisations », et « Cités des lettres et du livre ». Ce sont des programmes destinés, en principe, à la réanimation de la vie culturelle dans les régions. En fait, deux réalités se sont greffées l’une sur l’autre. 
La première celles des activités quotidiennes dont les Commissions régionales de culture et du patrimoine se sont aguerries à programmer et à mener jusqu’au bout malgré les moyens dérisoires dont elles disposent.

La seconde est liée aux déplacements de son Excellence ; ce sont des activités à caractère adventice. Elles n’avaient de rôle que de permettre à son Excellence d’inaugurer une placette par ici, qui redeviendra aussitôt friche comme elle l’était auparavant ; d’étrenner un petit événement par-là, de dévoiler la plaque commémorative à caractère présidentiel pour un petit projet plus loin…   
Programmes difformes, sans queue ni tête, bénéficiant de planches budgétaires énormes se sont révélés des programmes sans contreparties tangibles. En effet, le programme le plus ancien et le plus représentatif qu’est celui dit « Cités des arts » a coûté aux contribuables tunisiens : 73 millions de dinars en 2017, 98 millions de dinars en 2018 et coûtera 100 millions de dinars. Question simplissime qui se souvient d’un seul projet de valeur pour ces 271 millions de dinars dépensés ?

Ceux qui nous font prévaloir la cité de la Culture comme étant son projet se trompent royalement. C’est un projet de l’État tunisien décidé et débuté au temps de Ben Ali, qui par un pur hasard de circonstances a ouvert ses portes pendant son ministère ; toujours est-il qu’il a phagocyté, pendant une décennie, le plus gros lot destiné à l’infrastructure culturelle, aux dépens de ceux alloués aux régions. 
J’adresse mes vifs remerciements à Youssef Chahed qui a permis de rehausser la part du ministère de la Culture à 1 % du Budget de l’État ce qui permettra au nouveau ministre de la Culture de travailler avec une certaine aisance. Néanmoins, je lui adresse mes vives critiques pour le choix de son Excellence Mohamed Zinelabidine comme ministre de la Culture.

Tout un chacun « peut dire tout ça pour ça » ; le ça, ici, est le ça freudien. Lamentable ! la Tunisie post-révolutionnaire a remis en selle un rescapé de l’ère Ben Ali pour qu’il nous torture par son exercice quotidien du miroir mon beau miroir, en sus ces actions futiles nous ont coûté la prunelle des yeux ! 

A votre attention Monsieur le nouveau chef de Gouvernement, si vous mettiez quelqu’un à la tête du ministère de la Culture qui reproduit le partant, c’est que vous teniez ce département pour une excroissance inutile ; ce n’est pas dommageable, c’est gravissime.     

Ali Bouaziz
Directeur du site Ibn Khaldoun
https://sites.google.com/site/ibnkhaldun21/

 

Cérémonie de signature du dit appel de Tunis pour l’inscription de la Muqaddima d’ibn Khaldoun sur le Registre Mémoire du Monde de l’UNESCO. On y voit les initiateurs de l’appel : Adelhamid Largueche, Mohamed Zinelabidine, Gabriel Martinez-Gros et Mohamed Hadded.
 
Photo tirée de la page Facebook du ministère des Affaires culturelles 

 
Source : ministère de la Culture

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