Mohamed Ennaceur, impassible et comme taillé dans le roc pour la fonction

Mohamed Ennaceur, impassible et comme taillé dans le roc pour la fonction

 

Pour Mohamed Ennaceur, président de l’Assemblée des représentants du peuple, l’élection du président de l’ISIE est une véritable épreuve. L’échec d’y parvenir après un second et inutile tour est mal encaissé. Pourtant l’homme égal à lui-même n’y montre rien. Il y a quelques jours, l’adoption de la loi sur la réconciliation dans le domaine administratif, dans le brouhaha général  et l’échange d’insultes entre les députés a sorti l’homme par moments de ses gonds sans pour autant le déstabiliser. Mêlant un sang-froid, so british, et un self-control déconcertant dont peu de gens peuvent se prévaloir, le patron du Palais du Bardo est comme taillé dans le roc pour la fonction. Dire que Mohamed Ennaceur est une force tranquille est un pléonasme tant la fonction fait l’homme.

Personne dans le microcosme politique n’est capable comme lui de faire preuve de la sérénité du sage africain face aux interminables palabres qu’il regarde du haut de son Perchoir avec le flegme qui sied à sa place au dessus de la mêlée. Aucun ne peut comme lui non plus  faire en sorte de ne rien entendre de cette violence verbale réelle ou latente qui peut pourtant  ne pas  passer inaperçu y compris pour   les oreilles les plus habituées aux joutes orales.  On ne peut souvent que lui savoir gré d’être aussi impassible quand d’autres se seraient enflammés pour beaucoup moins que ça. L’homme dispose de ressources infinies d’indifférence face à l’agressivité dites-vous ? Ce n’est pas  tant que ça. Certes, il en donne l’impression, mais rassurez-vous ce n’est pas de gaité de cœur. C’est un rôle qu’il a appris à jouer et ça lui va comme un gant, tant il est conforme à son état d’esprit.

Premier président du parlement monocaméral de la seconde république, il sait d’expérience que ce n’est pas une fonction facile. Alors que d’autres se croient porteurs  d’un message, lui par l’humilité qui sied si bien aux grands hommes se sent  investi d’une mission, celle d’accompagner la démocratie naissante sous la Coupole qui est sa véritable maison. Il est conscient de tous les risques et des dérapages possibles et imaginables. C’est donc armé de les affronter qu’il a accepté cette fonction comme on accepte un sacerdoce. Fort heureusement il en a les qualités et peut-on dire les défauts aussi. Celles-là et ceux-ci sont parfois les mêmes, car la patience peut être perçue comme de la perte du temps comme le flegme peut être interprété comme de la faiblesse. Mais Mohamed Ennaceur n’en a cure. Il est comme il est et ce n’est pas à cet âge qu’on va le changer.

Le visage joufflu de  poupon, les yeux pétillants, un charisme certain malgré le poids des années et un regard parfois perdu en raison des drames de la vie qui l’ont marqué,  la perte d’un enfant à la force de l’âge est de ceux-là,  donnent une prestance à l’homme droit comme un I, toujours très bien apprêté soit dans ses costumes européens impeccablement coupés soit dans ses Jebba richement brodés, veut faire honneur à sa fonction surtout qu’il se trouve être locataire d’un des plus beaux palais de la République. Paradoxalement, le second personnage de l’Etat républicain a pour bureau la salle du trône du dernier souverain husseinite.  Un lieu d’histoire où celle-ci s’écrit encore sous la plume de Mohamed Ennaceur.

Il n’est pas venu à ce poste en néophyte. C’est riche d’une longue carrière de grand commis de l’Etat et d’une expérience incomparable à son service, qu’il est propulsé à une de ses fonctions majeures. Le président de l’Assemblée des représentants du peuple a été de toutes les épopées de la génération des fondateurs de la Tunisie indépendante. Un  privilège dont il mesure la portée et l’étendue. Originaire  d’El Jem dans ce Sahel, un des berceaux des élites ayant porté le mouvement de libération nationale, il est né le 21 mars 1934 presque le même jour que le  Néo Destour, le parti de Bourguiba qui a façonné la Tunisie moderne. C’est tout naturellement qu’il a été de tous les combats pour la fondation de l’Etat républicain. Licencié de droit de Tunis, titulaire d’un doctorat en droit social de la Sorbonne, c’est essentiellement dans le ministère des affaires sociales qu’il a fait le plus clair de sa carrière. Il a d’ailleurs présidé cette administration par trois fois, de 1974 à 1977, puis de 1979 à 1985 et enfin après la révolution tout au long de l’année 2011. Initiateur du contrat social en 1977, il démissionna quelques jours avant les affrontements sanglants du 26 janvier 1978 quand il aperçut que le dialogue était  rompu entre le gouvernement et la centrale syndicale.

Le dialogue, la concertation, la conciliation, Mohamed Ennaceur en a fait son crédo pour ne pas dire le sens de sa vie. Il en a si bien réussi qu’il est devenu une icône du consensus. Quand il a fallu chercher un chef de gouvernement de compétences lors du Dialogue national piloté par le Quartet conduit par l’UGTT en 2013, il est parmi les personnalités pressenties. Il en a fallu de peu pour qu’il soit choisi pour la fonction. Mais il n’a rien perdu au change.  Car, tout de suite après, le fondateur de Nidaa Tounés, Béji Caïd Essebsi qui connaît ses qualités  lui propose de devenir vice-président de cette formation dont l’objet est de rééquilibrer le paysage politique. Il n’hésite pas à le rejoindre et lorsque BCE accède à Carthage c’est lui qui devient président intérimaire. Mais l’esprit partisan, par la force des choses sectaire et clivant  ce n’est pas son fort. Lorsque le ver de la scission s’introduit dans ce grand parti, il n’a pas d’autre alternative que de prendre ses distances d’avec ce mouvement. Surtout que sa dignité ne lui permettait pas d’accepter des coups bas. Pour lui la politique est une chose trop noble pour être rétrogradée à des manœuvres ou à des combines. Du reste sa fonction à la tête de l’ARP est trop prenante pour lui permettre de penser à autre chose.

Pour autant homme de parole, il a été élu sur les listes du Nidaa et il reste fidèle à ce parti et loyal envers sa direction. D’ailleurs il est opposé au nomadisme partisan et il n’est pas loin de le considérer comme une trahison des électeurs. Cependant il n’est pas du genre à s’attaquer frontalement à cette pratique. Il estime que c’est l’opinion publique qui finira par dissuader les élus à s’y adonner. Il fait beaucoup confiance à la société civile, aux médias et à l’opinion publique pour changer le cours des choses. L’ARP étant une maison de verre, il compte sur ces forces endogènes de la société pour que les choses changent dans le bon sens. Cependant son appartenance au Nidaa ne veut dire qu’il épouse aveuglément ses thèses. Il en est ainsi de la modification de la nature du régime. Interrogé par Soufiane Ben Farhat au cours de l’interview qu’il lui a accordée sur la chaîne nationale Watanya 1 lundi 25 septembre Mohamed Ennaceur n’a pas dit comme son interviewer le lui suggère que  cette question était prématurée. Il préfère dire que ce n’est pas le moment, ce qui n’est pas la même chose.  Car les institutions de la nouvelle république n’ont pas été toutes parachevées. La première d’entre elles étant la Cour Constitutionnelle dont l’avis est impératif en cas de révision de la Loi fondamentale.

Si Mohamed Ennaceur est un fin politique il est avant tout un homme de conciliation et de consensus. D’ailleurs quand Ben Farhat lui donne le choix entre fermeté et conciliation comme qualités indispensables  dans l’exercice de sa fonction,  c’est cette dernière qu’il choisit. Ce qui correspond évidemment à sa nature. Mais s’il est fier de son parcours d’homme public, sa plus grande fierté est d’avoir lancé il y a plus de trente ans, le Festival de la musique symphonique au Colisée d’El Jem. Personne ne croyait à l’époque que cette manifestation deviendra une des dates phares de la Musique Classique au Monde  et qu’elle contribuera à la popularité d’un art destiné aux  élites. La musique adoucit les mœurs, dit-on et la bonne musique encore plus. Toujours cette recherche de ce qui unit les hommes et les rapproche. Ce qui les concilie avec leur condition humaine.

C’est sans doute dans les gênes qu’il a ces qualités.

R.B.Rejeb

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