Monsieur le Président, étaler notre linge sale hors de nos murs n’est pas une bonne idée

 Monsieur le Président, étaler notre linge sale hors de nos murs n’est pas une bonne idée

 

En visite d’amitié et de travail en France, le président de la République Kaïs Saïed a eu l’accueil qu’il mérite et même plus que ne doit le pays hôte à son illustre visiteur.

Que le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian se déplace à l’aéroport Le Bourget pour accueillir le chef de l’Etat tunisien est un signe qui ne trompe sur l’attention qu’accorde la France à ses relations avec la Tunisie. Surtout s’agissant de son approche du règlement de la crise libyenne étant non seulement le pays le plus proche mais aussi en raison des affinités multiples et variées qui font de la Tunisie et de la Libye un même et seul peuple dans deux pays séparés.

En choisissant la France comme premier pays où il se rend en dehors du Maghreb et du monde arabe, Kaïs Saïed se situe dans la lignée de ses prédécesseurs et inscrit son action dans les constantes de la diplomatie tunisienne depuis l’indépendance. Il aurait pu se rendre à Bruxelles, pour mettre en exergue les rapports avec l’Union Européenne ou à Berlin pour donner une visibilité à la relation avec l’Allemagne, un pays qui a pris à bras-le-corps la révolution tunisienne dès 2011.

La visite à Paris s’est déroulée à son premier jour, celui consacré aux entretiens bilatéraux dans les meilleures conditions possibles. Le chef de l’Etat tunisien a eu les mots justes sur les rapports bilatéraux en souhaitant que cette visite soit « une nouvelle occasion pour réfléchir à des mécanismes et des démarches pour ouvrir des horizons beaucoup plus vastes. Pour une coopération qui dépasse le passé, le passé proche et le passé lointain ».

On ne peut mieux dire pour tracer des perspectives qui vont au-delà d’un soutien financier, jamais satisfaisant, d’un commerce guère équilibré et d’échanges humains restrictifs, comme d’ailleurs de demandes d’excuses pour le passé colonial pas du tout reluisant qui ne peuvent qu’ouvrir des plaies qu’on croyait cicatrisées.

Sur la question libyenne, Kaïs Saïed a été clair et précis et on ne peut que s’en féliciter. Alors que son homologue voulait l’engager dans un terrain glissant en parlant de « jeu dangereux de la Turquie », le président tunisien ne s’en est pas laissé conter. Même si pour lui, le gouvernement en place à Tripoli (celui d’al Sarraj) est né de la légalité internationale, cela ne peut se poursuivre indéfiniment. Il s’agit d’une légitimité et d’une légalité temporaires qui doivent être remplacées par une nouvelle légalité, une nouvelle légitimé qui naissent de la volonté du peuple Libyen ».

Cette approche ne semble pas avoir les faveurs de factions libyennes surtout celles proches du Gouvernement d’entente nationale dès lors que Saïed veut introduire les tribus libyennes dans la donne à l’image de la Loya Jirga en Afghanistan. Mais la voie d’un re-légitimation par les urnes demeure incontournable.

En marquant haut et fort que La Tunisie est l’un des pays qui souffrent le plus de la crise libyenne, Saïed n’a pas mâché ses mots pour affirmer avec la même force que Tunisie n’accepte pas la partition de la Libye, une partition (qui) représente un danger pour toute la région ». « Nous sommes en faveur d’une solution Libyenne et nous sommes en faveur d’un cessez le feu immédiat, de non-ingérence de n’importe quel pays étranger bien évidemment » a-t-il encore dit en soulignant que la position tunisienne est le fruit de notre concertation permanente avec l’Algérie.

Ceux qui attendaient atermoiements, confusion, dévoiement ou pire dérapages en sont pour leurs frais. Pour la partie officielle de la visite, c’est un sans-faute. Bien mieux, on ne peut que décerner à Kaïs Saïed non un satisfécit, car il mérite mieux mais bien un tableau d’honneur. D’autant que le chef de l’Etat français a mis les petits plats dans les grands pour organiser un diner d’Etat en l’honneur de son hôte, ce qui n’est pas requis s’agissant d’une visite d’amitié et de travail.

Du fait de la présence de la Première Dame de France Brigitte Macron, on a seulement déploré l’absence de l’épouse du président Saïed, Mme Ichraf Chebil.

C’est la partie officieuse de la visite qui laisse à désirer. Accorder deux interviews dans les deux langues à une même chaine n’a pas été une bonne idée. France 24 est une chaine publique française agissant sous le regard du Quai d’Orsay et son auditoire se trouve surtout hors de France. Pour passer le message de la Tunisie, il aurait été plus approprié de réserver une des interviews à une chaine généraliste française, TF1 ou sa filiale LCI par exemple.

De plus il aurait été plus sage de focaliser l’interview sur les questions liées à la coopération bilatérale et aux sujets de politique internationale. Un chef d’Etat n’évoque jamais les problèmes domestiques à l’extérieur du pays. On n’étale pas le linge sale en dehors du pays. C’est un principe intangible et on a vu des chefs d’Etat piquer une colère lorsqu’on leur pose des questions de politique intérieure lorsqu’ils sont à l’étranger, même si ces questions émanent de journalistes locaux.

Il était en effet inapproprié que le Chef de l’Etat dise qu’il ne se laisse pas marcher sur les pieds, s’agissant du parti Ennahdha et surtout de qualifier de « faute », une attitude du président du Parlement et chef de ce même parti quand bien même cela était le cas.

Kaïs Saïed n’aurait pas dû, non plus dire que l’obligation de réserve le contraignait de ne rien dire de ce qu’il parvenait à ses oreilles. S’agirait-il de conjuration, de complot ou d’ingérences extérieures? On se perdrait en conjectures mais on ne saurait pas plus.

Est-il bien raisonnable que le président de la République aille jusque-là. Il n’est pas non plus un politologue ou analyste politique pour se laisser aller à des supputations en ce qui concerne les alliances au sein de la coalition gouvernementale. Il n’a pas à s’ingérer dans des tiraillements politiciens lui qui est censé représenter l’union de la nation.

On lui pardonnerait peut être d’annoncer qu’il envisage de présenter un projet de loi pour amender la loi électorale en vue d’introduire le scrutin uninominal à deux tours que les Français pratiquent depuis 1958 et qui est à l’origine de la stabilité de la Vème République. Mais il doit en donner la primeur aux Tunisiens. Comme d’ailleurs la révision du régime politique à travers un amendement de la Constitution comme il en exprime le vœu, mais en nous disant comment il compte procéder pour mettre ses idées en application.

Enfin on ne peut passer sous silence l’anarchie qui a accompagné une discussion musclée entre Kais Saied et un manifestant devant l’ambassade tunisienne sise Rue Barbet de Jouy à Paris. Les Tunisiens n’ont pas accepté pas que le symbole de la nation ait été malmené alors qu’il a marqué sa bonne volonté en allant à la rencontre des protestataires contre le traitement réservé par les forces de l’ordre aux sit-inneurs d’el Kamour dans le gouvernorat de Tataouine.

Les vidéos postées sur les réseaux à propos de cet incident ont choqué les Tunisiens car elles ont transporté sur une terre étrangère une tension qui ne cesse de monter dans le pays. Les événements d’El Kamour n’en sont qu’une manifestation violente.

La visite de Kaïs Saïed en France a été opportune sans aucun doute. Sa moisson a-t-elle été à la mesure des espoirs qu’elle a fait naitre ? On peut le croire au vu des engagements financiers annoncés par la France et des projets qui font rêver telle cette ligne TGV reliant le nord à l’extrême sud du pays.

Mais elle aurait mieux gagné si elle a évité l’étalage du linge sale auquel elle a donné lieu et qui risque de rester comme un arrière-goût amer dont on voudrait se défaire au plus vite.

RBR

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