Opinion : En politique, l'ami d'aujourd'hui est l'ennemi de demain par Dhouha Nasri

Opinion : En politique, l'ami d'aujourd'hui est l'ennemi de demain  par   Dhouha Nasri

 

C'est drôle ce que le pouvoir rend les gens fous et surtout lorsqu'il s'agit d'une classe politique médiocre, ratée et corrompue jusqu'à la moelle. C'est drôle, ce que le vent de la politique est capable de tourner à tout moment bouleversant ainsi les rapports de force entre les différentes parties prenantes, attribuant au prisme décisionnel d'autre dimensions, et forgeant de nouvelles coalitions régies par les différentes positions prises par les acteurs et la taille du gâteau à partager. C'est drôle ce que l'ami d'hier peut se transformer aujourd'hui en un ennemi à abattre rien que parce qu’il a choisi d'exercer son droit constitutionnel et de se présenter aux élections.

C'est dans cette logique de mutation itérative de l'échiquier politique que s'inscrit le nouveau projet de loi proposé par le gouvernement visant à interdire aux personnes qui dirigent des associations de bienfaisance ou qui exploitent leurs médias à des fins propagandistes de se présenter aux élections. Lequel projet est assurément conçu sur mesure pour barrer la route à deux candidats au profil innovateur qui sont en train de conquérir le monde politique dernièrement à savoir Nabil Karoui et Olfa Terras.

Je ne porte particulièrement pas Nabil Karoui dans mon cœur. Je suis accidentellement les programmes diffusés sur sa chaîne et ses fantasmes présidentiels m'en touchent une sans faire bouger l'autre. D'ailleurs, je considère que lui et ses semblables matérialisent parfaitement tout ce que le système démocratique peut porter comme vices.

Concernant Olfa Terras, je ne la connais pas suffisamment pour pouvoir émettre un avis à son égard. Néanmoins, je considère que le fait qu'elle soit belle, riche, cultivée et un modèle de réussite à l'étranger ne devraient constituer en aucun cas pour elle un système d'immunité contre les critiques. Les Tunisiens devraient veiller à ce que toutes les candidatures aux élections qu'elles soient législatives ou présidentielles soient passées au peigne fin et ne pas céder aux chants de sirènes de la nouvelle vague des leaders politiques à la mode qui se veulent jeunes, cool, compétents et technocrates issus généralement de la société civile et porteurs d'un projet innovateur pour leurs pays qui est selon eux aux antipodes de celui de l'ancienne génération des politiciens.

Là, je reste intimement persuadée que seulement l'emballage a changé, que le fond des politiques est le même et que l'establishment est toujours là au centre de la machine décisionnelle (Macron en est un parfait exemple). Si elle veut faire de la politique et se présenter aux élections, elle n'a qu'à fonder un parti et mobiliser les Tunisiens autour d'un projet commun qui réponde aux vrais défis nationaux et éviter d'œuvrer sur le volet associatif et de la bienfaisance afin d'en faire une passerelle pour ses ambitions politiques tout en étant affranchie, de par la nature de ses activités associatives, de tous les freins réglementaires et budgétaires auxquels sont confrontés les partis politiques.

J'estime que c'est bien ça la voie la plus saine, la plus crédible et la plus transparente pour arriver aux bancs de pouvoir. Cependant ce qui m'indigne le plus dans tout ce tapage suscité par l'annonce de leur candidature c’est qu'il vient d'une classe politique qui a longtemps fait de la pourriture, de l'absence de crédibilité et de l'irresponsabilité vis à vis les électeurs sa monnaie courante.

S'agissant de deux candidats qui ne cessent de gagner du terrain grâce à leurs moyens et à leurs stratégies de communication efficaces jusqu'à maintenant (en se référant aux résultats des sondages de l'intention des votes),presque tous les partis politiques ont mobilisé leurs efforts pour imposer des barrières à l'entrée et se sont érigés en gardien du temple des valeurs démocratiques, de l'équité et de la transparence de processus électoral. Même ceux qui sont considérés historiquement comme des ennemis farouches et dont les projets politiques sont diamétralement opposés se sont trouvés dans le même camp sur ce coup-là, certainement parce qu'ils ont réalisé le poids que représente leurs deux nouveaux concurrents sur la scène.

C'est ça la politique : l’art de rendre possible l'impossible, mais hélas dans leur cas il ne s'agit pas de l'art de réaliser des miracles pour faire bouger les choses sur le plan socio-économique mais c'est plutôt pour protéger leurs châteaux de pouvoir en carton.

Le recours au média et aux activités de bienfaisance à des fins politiques est-il le monopole de Nabil Karoui et Olfa Terras ? Ceux qui jouent les vierges effarouchées concernant la question de magnats de média pour conforter leur position sur la scène politique et maintenir leur emprise sur les esprits d'une frange importante des tunisiens ? Nabil Karoui n'était-il pas l'un des soldats en première ligne de Nidaa Tounes pendant les élections de 2014 ?

Une bonne partie de ses adversaires aujourd'hui n'ont-ils pas récolté les fruits de leur présence sur sa chaîne qui a largement contribué à la fabrication de l'opinion publique il y a quatre ans de cela ? Les chaînes Zitouna, Al moutawassat n'ont-elles pas mené une campagne électorale précoce au profit d'Ennahdha et du CPR ? Ceux qui annoncent solennellement aujourd'hui leur volonté de protéger le système électoral contre les méfaits des activités de bienfaisance sur la neutralité des élections n'ont-ils pas suivi cette piste pour embellir leur image pendant les différentes campagnes électorales ?

Les aides financières, le financement occultes des associations de bienfaisance, l’achat des voix des électeurs et l'investissement dans la misère quotidienne des Tunisiens n'étaient-ils pas la colonne vertébrale de la stratégie politique et électorale d'une bonne partie des candidats ? Les autres politiciens n'ont désormais rien à envier à NK en la matière.

Toutes choses étant égales par ailleurs, il n'en demeure pas moins que cette initiative malgré sa légitimité apparente représente une dérive dangereuse dans la voie de transition démocratique déjà fragilisée comme elle exploite l'appareil législatif pour des fins purement partisanes et fait revêtir les magouilles politiques d’un caractère légal.

Elle pave la voie au retour des anciennes pratiques de l'ère de Ben Ali et vider la démocratie de son vrai sens à savoir un système politique juste, égalitaire et qui garantit le respect des droits constitutionnels pour tous les citoyens sans discrimination aucune. Doit-on ainsi faire le requin d'un état des institutions où la loi est un outil garantissant la liberté, la justice et l'égalité dans un moment où nous avons extrêmement besoin d'un bon élan politique et civil pour achever la construction démocratique et se pencher sur les réformes nécessaires?

Aussi, cela augure mal de la capacité de notre classe politique qui offre jusqu'à maintenant un spectacle désolant à sortir de la maudite sphère des conflits et des intérêts partisans et réorganiser le débat publique et le jeu électoral autour des projets et des stratégies réelles capables de sortir l'Etat de sa situation de délabrement actuelle au lieu de gaspiller les énergies et les moyens dans une guerre de règlement des comptes et de neutralisation politique.

Dhouha Nasri

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