Projet de protection de la police et de l’armée, « rassurant » ou « dangereux» ?

Projet de protection de la police et de l’armée, « rassurant » ou « dangereux» ?

 

Le projet de loi relatif à la protection des forces de l’ordre et des forces armées en cours d’examen au sein de la commission de législation générale de l’Assemblée des représentants du peuple a été préparé par le gouvernement Habib Essid et approuvé par le Conseil des ministres du 8 avril 2015. Il a, par la suite, été transmis à l’Assemblée des représentants du peuple. A chaque fois, les syndicats sécuritaires appellent à l’accélération de son examen et son adoption par l’ARP. Depuis, il est resté dans les tiroirs jusqu’à ce que la commission s’en saisisse suite à la pression exercée par les syndicats sécuritaires qui se sont rassemblées devant l’ARP jeudi 6 juillet pour protester contre « les agressions dont ils sont victimes et réclamer une loi de protection les couvrant durant leurs missions ».

Des chiffres effarants

Les chiffres sont, en effet, effarants, voire têtus. Depuis 2011 et jusqu’à nos jours, 60 agents sécuritaires ont trouvé le mort dont 20 au cours de la seule année 2011 et 2000 autres ont été blessés suite à des agressions perpétrées contre eux par des protestataires en colère. Certains d’entre eux ont connu une mort atroce, comme c’est le cas du lieutenant, Mejdi Hajlaoui, décédé des suites de ses blessures, après que la voiture de police a été incendiée par le jet de cocktails Molotov dans la délégation de Bir El Hfay à Sidi Bouzid. Les violences contre « les dépositaires de l’autorité » s’étendent souvent pour cibler les postes de police et de la garde nationale, les voitures des sécuritaires et des fois leurs voitures particulières, lors des mouvements de protestation. t. Leurs familles ne sont pas, non plus, à l’abri de mauvaises surprises et vivent dans la peur d’être un jour ciblées par des malfrats ou des terroristes. Les syndicats accusent « une réponse pénale trop faible » du gouvernement qui affaiblit davantage l'autorité de l'Etat. Et elles appellent à la mise en place d’une loi spécifique qui criminalise les agressions contre les agents porteurs d’armes.

Le ministre de l’intérieur Hédi Majdoub, qui reste favorable à l’accélération de l’examen du projet de loi, a déploré, au cours de son audition devant la commission, la récurrence des agressions commises contre les sécuritaires. Il a expliqué que « ce projet de loi s’inscrit dans le cadre d’un processus de réforme engagé par le département depuis l’année 2011 visant à améliorer le cadre juridique réglementant le travail des forces de l’ordre à la lumière des nouveaux défis et de la situation sécuritaire délicate du pays ». 
Il s’agit, pour le ministère de tutelle de réunir « les conditions requises garantissant la protection des forces de l’ordre ». 

Même son de cloche chez son collègue de la défense Farhat Horchnai qui a indiqué que la loi réprimant les agressions contre les agents porteurs d'armes « vient combler un vide juridique » et qu’elle constituerait « un message politique envers ces corps de métier ».

La commission de la législation générale de l’Assemblée des Représentants a, également, auditionné neuf syndicats de sécurité. Mettant l’accent sur « la faiblesse des textes juridiques et la problématique au niveau de la justice », elles ont estimé que « la nature de l’action de l’agent de sécurité exige une loi spéciale à la différence des autres lois qui portent sur l’agression envers le fonctionnaire public ». L’adoption du projet de loi après son amendement « dissipera les craintes de voir l’appareil sécuritaire revenir à la situation avant la révolution de 2011 en passant des messages par le biais des différents articles ».

L’hostilité de la  société civile

Toutefois, leurs thèses ne semblent pas recueillir l’assentiment des députés dont certains ont exprimé « la crainte de voir la promulgation de la loi aboutir à des résultats contraires et la multiplication des revendications de lois spéciales par d’autres secteurs, à l’instar des juges et des agents des tribunaux ». D’autres ont évoqué la possibilité de voir cette loi « entraîner l’éparpillement du système législatif », puisque le code pénal et le code disciplinaire militaire contiennent des articles « fermes à l’encontre des agresseurs des fonctionnaires publics et autres ».

Les députés ne sont pas les seuls à émettre des objections contre le projet de loi réprimant les agressions contre les agents porteurs d'armes. Onze organisations de la société civile ont signé un communiqué commun pour exprimer leur hostilité à ce projet qui placerait, « les institutions sécuritaire et militaire au-dessus de toute critique ». Elles ont exprimé leur hostilité à ce projet depuis l’annonce de son adoption par le Conseil des ministres en avril 2015, le qualifiant de « liberticide ». « Institution de l’impunité, atteintes aux libertés de presse, d’expression et au droit à la vie, le projet de loi relatif à la répression des atteintes contre les forces armées accordera un pouvoir démesuré aux sécuritaires lit-on dans un communiqué publié par le Conseil de l’ordre des avocats.  Le bâtonnier Ameur Mehrezi pense que ce projet « représente une menace pour la vie des citoyens et leur sécurité et permettant de recourir à la force meurtrière ». En cas d’adoption, une telle loi risque de bâillonner la presse et de limiter la liberté d’expression. Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) le juge « répressif » et   exige son retrait pur et simple parce qu’il « représente une atteinte à la liberté d’expression ». Son président Néji Bghouri considère que les libertés sont menacées et que ce projet de loi constitue, en fait, un pas en arrière. Le projet de loi est « une étape dangereuse vers l’institutionnalisation de l’impunité dans le secteur sécuritaire tunisien » a estimé dans un communiqué Heba Morayef, directrice de recherche d’Amnesty International en Afrique du Nord. De son côté, Emna Guellati, directrice du bureau de Tunis de Human Rights Watch a affirmé que « le chef d’inculpation d’outrage à la police a été souvent utilisé pour intimider les citoyens qui osent se plaindre du comportement des policiers ». L'article 18 du projet de loi qui exonère les membres des forces de sécurité de la responsabilité pénale en cas de blessure ou de mort d’un manifestant est le plus décrié. Il institue l’impunité pour les agents de l’ordre et les militaires au cas où un citoyen est blessé ou tombe sous leurs balles.

Un métier à hauts risques

Le métier de sécuritaire est un métier à hauts risques. Un policier est appelé à assurer la sécurité des personnes, des biens et des institutions. Il lutte contre la drogue, la criminalité et la grande délinquance. Il assure le maintien de l’ordre, notamment pendant les grandes manifestations sportives et autres. C’est pourquoi, il est souvent exposé à plusieurs menaces et à toutes sortes d’agressions dans la traque des flagrants délits et la chasse aux délinquants et autre criminels et contrebandiers. Comme il est souvent la cible d’attaques de la part des protestataires. La dégradation des rapports de la police avec les citoyens s’ajoute aux mauvaises conditions de travail, ce qui rend difficile l’exercice de ce métier.  Le malaise qu’expriment souvent les sécuritaires, fait que pour la plupart d’entre eux, la motivation professionnelle se trouve en baisse.

La sécurisation des sécuritaires, passe, avant tout, par l’amélioration des conditions de travail, la revalorisation de leurs indemnités et la mise à leur disposition des moyens nécessaires pour face à toutes les menaces et tous les dangers. Une loi spéciale suffira-t-elle à assurer leur protection ?

B.OUESLATI

 

 

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