Quand Emmanuel Macron parle d’une Tunisie que  nous ignorons !

Quand Emmanuel Macron parle d’une Tunisie que  nous ignorons !

Très attendue cette visite d’état du jeune président français Emmanuel Macron en Tunisie, elle avait, notamment, valu par les messages qu’il a distillés au cours de son discours de 53 minutes dans « ce palais du Bardo symbole de l’histoire tunisienne et en particulier sa longue histoire constitutionnelle ». Après une « visite personnelle » au Maroc, une visite « d'amitié et de travail » en Algérie, Macron a réservé une visite d’Etat à la Tunisie, comme pour ménager les susceptibilités des uns et des autres. Cette visite est la plus importante dans la hiérarchie protocolaire et se veut « le symbole de l'amitié entre les deux chefs d'État et leurs pays respectifs ». Hautement symbolique et éminemment politique, elle est généralement réservée aux hôtes.

Devant l’Assemblée des représentants réunie en séance solennelle, jeudi 1er février 2018, il a improvisé une allocution pleine « d’émotion » comme il l’a dit, où il a multiplié les bonnes appréciations et dit son émerveillement devant l’histoire  « d’un grand pays, d’une grande nation, d’un grand peuple » dans un environnement « bousculé par les temps mauvais » et son admiration pour ce que notre « pays a fait ». Il est impensable, a-t-il souligné, de ne pas « repenser la fondation de Carthage et à toutes les histoires qui s’ensuivirent », comme il est « impossible d’ignorer Kairouan capitale et grand centre religieux, l’acte fondateur qu’est l’indépendance de 1956 ».  Cette « nation éclairée » dont les citoyens semblent ignorer leurs capacités à surmonter les difficultés, est pourtant citée comme une référence dans un environnement hostile par le président d’un grand pays. La Tunisie « avait fait le choix d’éduquer son peuple de manière inédite incomparable dans tous les autres pays arabes ».  Cette Tunisie que nous ne connaissons, malheureusement, pas est pourtant hissée sur un piédestal, considérée comme « un modèle unique ». Cette Tunisie qui semble ne pas reconnaitre le mérite de ses « héros Ibn Khaldoun et Bourguiba en passant par Hached », s’embourbe de plus en plus dans des difficultés de tout ordre et n’arrive pas à s'en abstraire. Ces Tunisiens qui ont réussi à « instaurer un état civil là où beaucoup pensaient que c’était impossible, l’égalité entre hommes et femmes », sont aujourd’hui encensés, admirés, voire épiés par d’autres peuples, n’arrêtent pas de s’autoflageller. Ces Tunisiens qui ont « fait mentir ceux qui, partout dans le monde encore aujourd’hui, disent que des sociétés où l’islam est présent ne sont pas compatibles avec la démocratie » ont « par ce travail profond, construit un modèle unique », sombrent dans le pessimisme qui finirait par les décourager de vivre.

Il est évident qu’en tant de chef d’Etat hôte, il ne pouvait pas s’exprimer autrement. Son estime pour « la force d’âme du peuple » tunisien et pour « ses dirigeants » que nous dénigrons à longueur de journée, comporte certes une dose de « flatterie », mais elle n’en demeure pas moins une reconnaissance de la grandeur d’une nation. Car, il est plus évident encore que l’orateur a mesuré chaque phrase, chaque mot et que les compliments qu’il décernés à la Tunisie, à son peuple à sa société politique et sa société civile qui a été récompensée par le prestigieux « prix Nobel de la paix » et à sa jeunesse éduquée et affranchie, expriment une réelle admiration face à un « modèle inédit, unique ».

La France attraction pour les jeunes tunisiens

La visite du président français  intervient sur fond de contestations sociales en Tunisie et de grandes attentes des Tunisiens lassés par les satisfécits dont ils sont encensés et déçus par les promesses non tenues, notamment, celles  de la conférence internationale sur l’investissement tenue à Tunis fin novembre 2016 et coparrainée par la France et Qatar. Toutefois, elle vient à point nommé pour le président de la République Béji Caid Essebsi qui a déjà rencontré son homologue français à deux reprises au cours du sommet du G7 à Taormine, en Italie, en juin 2017 et à l’Elysée le 11 janvier. Le courant est vite passé entre les deux hommes malgré l’écart d’âge entre eux qui « ne semble pas faire obstacle au processus de rapprochement de la France et de la Tunisie ».

La France compte la plus forte communauté tunisienne sur ses terres, soit plus de 800.000 personnes. Elle compte également le plus grand nombre d’étudiants tunisiens à l’étranger et qui forment, depuis plusieurs décennies, une composante importante de la population étrangère de l’enseignement supérieur en France. Ils sont entre 15.000 et 16.000(sans compter les binationaux) qui sont inscrits dans l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur et constituent plus de 5% de la population étrangère des établissements supérieurs en France. Ils arrivent derrière les Marocains et les Algériens. Depuis 2000, le nombre des Tunisiens dans l’enseignement supérieur a progressé de 55% et la France constitue le premier pays d’accueil des étudiants tunisiens poursuivant leurs études en dehors de leur pays. Ils représentent près de 60% de l’ensemble des étudiants tunisiens inscrits dans les différentes universités étrangères dans plus de 60 pays. Selon une étude monographique réalisée conjointement par l’Observatoire national de la jeunesse et l’Observatoire français de la vie étudiante en 2009, « la France continue à mobiliser les espoirs et les attentes » des jeunes étudiants tunisiens. Toutefois, la plupart d’entre eux ne pensent pas rentrer, une fois le diplôme en poche.  Ce retour semble, en effet, « conditionné essentiellement par les perspectives que leur offre leur Pays ». Or, il se trouve que les conditions ne sont pas réunies pour favoriser ce retour. Bien pis, on assiste à un départ de plus en plus accentué de jeunes médecins, ingénieurs, pharmaciens, chercheurs et enseignants universitaires en Europe notamment, et en particulier en France. Même si le phénomène n'est pas nouveau, il faut reconnaître qu'il a pris ces derniers temps des proportions inquiétantes. Cet exode massif, aux allures de véritable hémorragie, n'est pas près de s'arrêter.

La Tunisie, qui n’a jamais souffert de ce complexe de « colonisé », souhaite que la France comprenne mieux ses problèmes. Macron  a martelé que « la réussite de la Tunisie défendant les valeurs qui sont les siennes, démocratiques, de liberté de conscience, d'égalité entre les hommes et les femmes, c'est aussi notre bataille ». Il a même ajouté à l’adresse de son homologue Béji Caid Essebsi que « si vous échouez, nous échouerons le même jour ou le jour d'après ». Voilà qui est dit.  Encore faut-il que les paroles soient suivies d’effets et que cette visite se solde par la mise en place d’un « partenariat stratégique d’exception longtemps promis, mais jamais réalisé ».

B.O

 

 

 

 

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