Rached Ghannouchi est-il devenu « le plus grand commun diviseur » du pays ?

Rached Ghannouchi est-il devenu « le plus grand commun diviseur » du pays ?

Ghannouchi doit comprendre le message de la dernière plénière consacrée à son audition et en tirer les enseignements nécessaires. Et c’est à lui de chercher la meilleure voie de sortie possible. Sinon ce serait la voie de garage.

Pour la troisième fois, en peu de temps, la signature de ce qui est appelé « Pacte de stabilité et de solidarité » entre les composantes de la coalition gouvernementale, prévue vendredi 05 Juin, a été reportée sine die. La plénière des 20 heures au cours de laquelle le président de l’ARP et du mouvement Ennahdha Rached Ghannouchi a essuyé une salve de critiques des plus virulentes de la part de ses opposants, mais également de la part de ses alliés dans le gouvernement a pesé de tout son poids sur ce nouvel échec.

En effet, Ghannouchi a connu une sale nuit où il a été mis à mal sans que ses alliés ne volent à son secours. Bien pis, trois membres de la coalition gouvernementale, le Mouvement Achaab, Tahya Tounes et le groupe de la Réforme, ont voté en faveur de la motion de non-ingérence dans les affaires intérieures de la Libye, présentée par le groupe parlementaire de son ennemie jurée Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre. C’en est trop pour les députés d’Ennahdha qui ont crié à la trahison. Même son allié de circonstances au Parlement, Qalb Tounes, lui a fait faux bond. A part la coalition al Karama qui en cherchant à défendre Ghannouchi, l’a, au contraire desservi, à cause des diatribes virulentes de Makhlouf, seul son boc s’est montré soudé face à la tempête. Les députés du Courant démocrate ont voté contre la motion, non par soutien à Ennahdha, mais pace qu’elle a été présentée par le Pdl et tout projet venant de ce parti, doit-être systématiquement rejeté, quel qu’en soit le contenu. Mais, même si la motion qui a, pourtant obtenu 94 voix pour contre 68, n’a pas été adoptée faute de majorité absolue, Ghannouchi a été durement désarçonné et Ennahdha a laissé apparaître de véritables signes de faiblesse.

« Le président de tous les Tunisiens »

Rached Ghannouchi qui avait bien tenu son rôle aux côtés de Feu Béji Caid Essebsi, son allié consensuel, a cru son heure venue après la mort de ce dernier. Sachant que ses chances pour s’installer à Carthage sont réduites, il a envoyé son ami de cinquante ans Abdelfettah Mourou au purgatoire, préférant miser sur le perchoir. Ce qu’il obtenu non sans un retournement de dernière minute pour obtenir le soutien de Nabil Karoui qu’il avait réussi à rouler dans la farine.

Sa première erreur a été cette annonce malencontreuse lors de son allocution devant les députés le jour de son élection à la présidence de l’Assemblée en se présentant en tant que président de tous les Tunisiens. Ce fut le début d’un ensemble de bévues et de bourdes qui ont fâcheusement écorné son image et ébranlé la confiance en lui, y compris parmi le siens. La nomination de Habib Khedher, une personnalité clivante, mais très proche de lui, à la tête de son cabinet avec rang de ministre, une première dans les annales du parlement depuis 1956, et à qui il a remis les clés de l’ARP, a suscité de vives critiques jusqu’aux membres de la coalition. Se croyant maître du palais, il a étoffé son cabinet par des nominations partisanes et opéré des changements dans l’administration de l’Assemblée.

Un alignement aveugle

Passe sur le plan externe. Ghannouchi, qui n’a jamais occupé, auparavant, de fonctions officielles au sein de l’Etat, s’est autoproclamé maitre incontesté du pays, s’adjugeant des prérogatives qui ne sont pas le siennes, celles du président de république.  Ses allées et retour en Turquie pour rencontrer le président Erdogan, les félicitations adressées au nom du parlement tunisien au chef du gouvernement de l’accord national Libyen Fayez Sarraj, suite à la récupération, avec l’aide de l’armée turque,  d’une base militaire occupée par le chef de l’armée nationale Khalifa Haftar, sont considérées comme un empiètement sur la diplomatie officielle tunisienne et un alignement aveugle sur l’axe turco-qatari.

Usé et fatigué

A l’intérieur de son mouvement Ennahdha qu’il a « épuré » de toute voix discordante, Rached Ghannouchi n’a plus la même aura de ce chef historique, le rassembleur et fédérateur. La contestation, naguère crime de lèse-majesté, se fait de plus en plus entendre et des dirigeants historiques comme Abdelhamid Jelassi, Zoubaier Chehoudi son chef de cabinet, et tout dernièrement Abdelfettah Mourou, ont fini par quitter le mouvement. D’autres l’ont carrément appelé à démissionner de la présidence du parti pour se consacrer au parlement. Et veulent hâter l’organisation du congrès pour élire un nouveau président.

Au bout de quelques mois à la tête de l’ARP, Rached Ghannouchi n’arrive pas à imposer son empreinte. Il est apparu, plutôt sous le visage de « plus grand commun diviseur » de la scène politique nationale, voire du pays, devenant un peu trop encombrant et un lourd fardeau, y compris pour son mouvement. Et pour la coalition gouvernementale qui se trouve fragilisée en raison des dissensions qui se font jour en son sein.

A bientôt 79 ans, le 22 juin courant, l’homme apparait fatigué et usé par plus de cinquante ans de militantisme politique et religieux. Il risque de sombrer à la fin d’un parcours long et harassant. Avant lui Bourguiba, qui n’a pas su tirer sa révérence à temps a été évincé du pouvoir, par son plus proche collaborateur, Ben Ali. A son tour, ce dernier a terminé sa vie refugié en Arabie saoudite où il s’est éteint dans l’ignorance totale.

Ghannouchi doit comprendre le message de la dernière plénière consacrée à son audition et en tirer les enseignements nécessaires. Et c’est à lui de chercher la meilleure voie de sortie possible. Sinon ce serait la voie de garage.  

B.O  

 

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