Rapport de la Colibe: L’Etat-maman

Rapport de la Colibe: L’Etat-maman

La commission des Libertés individuelles et de l’égalité a soumis son rapport à la présidence de la République. Une énième réforme du code du statut personnel en perpétuel rattrapage des standards internationaux. Le texte se situe en 230 pages. Un préambule exubérant préface la panoplie d’amendements proposés. Les principes consultatifs sont rappelés avec emphase. Le grand soir, à la clé….

La première partie est consacrée aux libertés individuelles. La seconde à l’égalité. L’expertise est rendue. Le peuple tranchera. Par voie référendaire dans les meilleurs des cas, parlementaire, au pire.

Sans m’attarder sur la dissonance cognitive, issue d’innombrables contradictions, entre incantations démocratiques et monologues sectaires, entre déclamations médiatiques et incrimination réelle du débat, entre combat pour l’égalité et combat contre l’égalité,  entre boursouflure libertaire et gestapo moderniste, entre interdiction de l’interdit et interdiction tout court, entre critique de la Colibe et « quolibets »….sans m’arrêter  sur une consultation après-coup «  endogame », familiale et discriminatoire, voici mes remarques. Elles sont toutes d’ordre méthodologique.

Contradiction du principe :  

Plusieurs versets coraniques ont été présentés à l’appui des réformes de  la Colibe. Sans exégèse ni explication. Les auteurs, affirment par exemple que l’homme est libre, sur la foi de versets orphelins mais structuralement limpides : « quiconque le veut, laisse le croire – Vous avez votre religion et moi j’ai la mienne – Il n’existe pas de contrainte en religion….. ». Ce recours direct à la structure syntaxique est étrangement contraire à la doctrine des auteurs. Le professeur Majid Charfi, adepte de la sémantique « totale » s’il en est, a toujours séparé la « proposition » - unité sémantique de la « simple phrase »- unité syntaxique. Il a toujours situé son interprétation coranique entre la « proposition » et l’énoncé – ancrage contextuel. La phrase, ou le verset dans le cas d’espèce n’a donc de sens que dans une approche sémantique contextuelle.

Il n’en est rien dans ce qui a été soumis à la réfutation populaire. Le Coran est cité dans le texte, parfois de manière littérale, incongrue et impropre. On est loin de la doctrine sémantique de l’éminentissime Charfi, loin de l’interprétation contextuelle, loin du fameux déterminisme historique et très loin encore du délire collectif évitant à l’individu : le poids d’une névrose personnelle !

Le but est loin d’être le cas ! Les fins sont servies par de mauvais moyens.  Plus qu’un paradoxe, un oxymore. On se sert d’arguments rigoureusement contraires à la proposition principale. La Colibe voudrait-elle libérer l’ijtihad, l’interprétation contextuelle du Coran, par le biais de ce littéralisme syntaxique ?

Une contradiction de principe !  A clergé, clergé et demi !

Contradiction de méthode 

La Colibe  rejette l’esprit et la lettre de la chariaa. La loi islamique n’aurait jamais existé. Vrai ou faux, tel n’est pas le propos. Il découle de ce postulat négateur, un tas de propositions, dont la première et peut-être la plus importante, est qu’aucune loi morale ne peut être tirée de ce qui n’existe pas ! Aucune norme ne peut procéder du néant. Le Coran n’édicte de principes de conduite immuables, ni n’énonce des normes de transactions formelles. La Chariaa est une construction humaine, temporelle et politique.

Jusque-là les propositions se tiennent. Sauf que la Colibe, en arrive à tirer des lois morales du Coran, à lui faire édicter des principes de conduite immuables et des normes de transactions formelles ! Elle lui trouve enfin une chariaa. Celle-là même dont le déni  est son dada !

Quand elle l’a voulu, La Colibe a bien trouvé une chariaa tapie sous les versets : une chariaa successorale, énoncée dans un format syntaxique suffisant, n’exigeant aucune interprétation sémantique contextuelle….Une chariaa des amours, une autre du corps, une quatrième du divorce, de la dot, de la colonne vertébrale, du solfège…..Une chariaa pour chaque liberté individuelle ( sexuelle s’entend, parce que la Colibe n’accorde pas les mêmes attributs d’honneur à d’autres formes de libertés : économiques, sociales, politiques…..).

Que cet antagonisme de méthode soit préjudiciable à l’édifice théorique de la Colibe, passe encore, mais qu’il devienne le nœud gordien du canevas juridique proposé, là on est face à une supercherie législative, peut-être la plus grande depuis l’indépendance!

Si la chariaa n’existait pas, à quoi bon la remplacer ? Si la littérature amoureuse dans le Coran est fondamentalement historique, si ses indications matrimoniales, familiales, successorales, procèdent plus de la jurisprudence qu’elles n’établissent des lois fondamentales…..pourquoi donc vouloir en figer l’interprétation, pourquoi en faire un principe de conduite immuable : une loi fondamentale éternelle ! Le Wahhabisme à l’envers, n’en est pas moins un !  

La Colibe ne reconnaît naturellement pas la Chariaa en tant que corpus théologique, elle a simplement besoin de ses fonctions principielles. La vidant de son contenu, elle veut en garder la forme, primauté, le caractère fondamental et indémontrable, la qualité de postulat ! La Colibe ne rejette pas la chariaa en soi, elle rejette une certaine forme de chariaa : la loi fondamentale religieuse. Elle n’en fait moins une loi, à abroger, certes mais une loi quand même. La nouvelle théologie temporelle a besoin des formes absolues de la chariaa, pour imposer sa « charte » humaine des droits de l’homme : fondamentaux, indémontrables, indépassables, irréformables ! Entre Char-iaa et Char-te….Le suffixe aura duré des siècles, pour ne rien changer à la racine !!!

Contradiction d’application :

J’en viens à l’application. La Colibe défend les libertés en semant des restrictions à tout bout de champ : les libertés individuelles sont souvent définies par « élimination », selon un mode négatif : « la liberté sexuelle est de ne pas…….celle de disposer librement de son corps est de ne pas…….. ». Ce qu’on veut nous faire prendre pour des « libertés » ne sont en réalité qu’un ensemble d’interdictions, de sommations, de propositions pénales, de réprimandes ! Les libertés, les fameuses libertés pourraient même devenir  l’antithèse de ce canevas coercitif.

Dans ce qui ressemble plutôt à un nouveau gouvernement de la « terreur » juridique où il ne s’agit plus d’interdire l’interdit mais d’interdire le « licite », la Colibe n’a pas omis de mettre son grain de sel partout : aux alcôves, comme au grenier. Plus qu’un Etat providence, la colibe nous promet un Etat-maternel qui nous court derrière et nous botte les fesses à la première vaisselle cassée ! Une société « pré-sevrée » où tout est porté sur un règlement interne. Des amours, aux caprices d’une nuit ! Une société où il serait interdit d’aimer sans en informer la gendarmerie, ni de détester sans en avertir le procureur ! Où la liberté, la vraie, est interdite !!!! Colibe, Colibe, toi-même……. L’Etat n’a pas à gérer la bouderie conjugale, pas plus qu’il n’ait à empêcher un couple de traverser quelque crise : l’Etat n’a pas à interdire la psychologie, la sociologie, l’anthropologie, parce quelques chapelains de la sainte chapelle : la laïcité, en ont décidé ainsi. Un couple ça doit pouvoir gérer sa vie sexuelle dans l’intimité ! Même Zeus ne s’en mêlait pas…….Quelle horreur que cet univers concentrationnaire de la Colibe…..Quelle horreur Que cet Etat totalitaire de la Colibe ! Quelle horreur que cet homme « entièrement judiciarisé » de la Colibe….Si la Religion pesait sur tout, l’irréligion risque même de peser sur « rien »….

Péché originel des modernistes

Le réformisme tunisien changera de méthode avec l’indépendance, il ne sera plus culturel mais bien plutôt politique, mettant à contribution l’appareil coercitif de l’Etat. Sous la férule de Bourguiba et des bâtisseurs de l’Etat moderne comme en démocratie. A quelques précautions près, la promulgation du code du statut personnel en Tunisie par décret beylical, le 13 août 1956, tirait sa force de loi du fait accompli et de la peur des représailles.  Personne n’en avait débattu en amont, deux pelés un tondu en aval. Les fameuses élites detourniennes allaient à la rencontre du peuple aborigène, « quantité négligeable », « analphabète », « inculte » et « primitif » à leurs yeux….

La Colibe ne changera pas de méthode : soixante ans après le CSP, le même peuple est traité avec le même dédain, la même morgue, la même hauteur….LE CSP n’aurait rien changé. La modernisation coercitive, non plus. La dualité élite-peuple, commande encore à des réformes sommaires, verticales. Les milliers d’universitaires qui n’eurent pas l’heur de faire partie de la Colibe, seraient tous à éduquer !! Oui mais à quoi bon rééduquer de nouveau un  peuple « éternellement inéducable », éternellement « primitif » ?

Et puis si les lois ne changent jamais les hommes, à quoi bon en faire encore ? Pourquoi cette judiciarisation de l’imperfectible, ce contrat social de l’insociable «tunisien » ? Pourquoi revenir à la charge 60 ans afin de rappeler que le peuple ne changera jamais, ou alors pas suffisamment pour s’auto-déterminer ! La Colibe comme les élites destouriennes troquaient le bon vieux protectorat contre une Etat-maternel………

La énième réforme du code du statut personnel ne fait que recycler du Jules  Ferry :

« Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai! Il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures [...][Remous sur plusieurs bancs à l'extrême gauche] parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures.[...]

Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l'histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l'esclavage dans l'Amérique centrale, ils n'accomplissaient pas leur devoir d'hommes de race supérieure. Mais de nos jours, je soutiens que les nations européennes s'acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation .[...] »

Nous reprendrons pour notre part la devise d’une nation tunisienne libre et indépendante : le peuple n’a de maître que lui-même ! Il exercera son droit référendaire,  n’en déplaise à l’Etat-maman !

J.H.

 

 

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