Remaniement : « les intouchables » et « les éjectables »

Remaniement : « les intouchables » et « les éjectables »

 

Le remaniement ministériel, tout le monde en parle, sauf le chef du gouvernement qui semble faire la sourde oreille aux appels qui se multiplient ces derniers temps, notamment après le déclenchement de la guerre contre la corruption. De Nidaa Tounes qui exige un remaniement en profondeur et réclame sa part à la mesure de son poids, à l’UGTT qui préfère le remplacement des membres défaillants par des compétences non partisanes, Youssef Chahed est mis sous pression et ne sait pas comment s’y prendre. Son peu d’empressement à procéder au remaniement est décrypté comme le signe qu'il n'aurait pas encore arrêté son choix, d’autant plus qu’il n’a pas tout à fait les mains libres pour modifier son équipe. Certains membres de son gouvernement sont, en effet, « intouchables » parce que protégés, notamment, par le président de la république et les deux « puissants » partis qui siègent à l’Assemblée des représentants du peuples, Ennahdha et Nidaa Tounes et qui avec près de 130 députés pourraient tout bloquer. Or, la plupart des ministres défaillants sont issus de ces deux partis.

Entre temps, les conjectures vont bon train et les médias s’adonnent à la spéculation sur les noms susceptibles d'être concernés par le remaniement tant attendu.  La liste s’allonge de jour en jour et on parle de la moitié du gouvernement qui pourrait être remerciée.

Les intouchables et « Mounkar et Nakîr »

Parmi les noms, les plus souvent cités, on trouve celui du transport. Anis Ghedira, natif de Monastir, est architecte de formation et il est gérant d’une société de promotion immobilière. Il est membre fondateur de Nidaa Tounes où il a été chargé des affaires de la jeunesse. Après avoir été secrétaire d’état à l’équipement, il a débarqué dans un ministère très lourd et très compliqué. La multiplication des accidents de train, notamment, les défaillances relevées dans la gestion des affaires du ministère, ajoutée à la situation alarmante de la compagnie nationale Tunisair, font que, pour certains observateurs, son sort est presque scellé. Or, Ghedira est bien soutenu par sa région, son parti Nidaa Tounes et son directeur exécutif Hafedh Caid Essebsi. Il devient de ce fait « intouchable » et pourrait, en tout état de cause, chuter dans un autre département, la jeunesse et le sport, par exemple.

Une autre « intouchable », c’est Selma Elloumi Rekik, la ministre du tourisme et de l’artisanat. Membre de Nidaa Tounes, dont elle est la trésorière attitrée, cette femme d’affaires venue tard à la politique n’a pas totalement échoué à la tête d’un secteur frappé de plein fouet par le terrorisme. Elle s’en sort plutôt bien et a le soutien du Père ( Béji) et du Fils( Hafedh). Sa reconduction à la tête du tourisme n’est pas exclue à moins qu’elle ne passe à l’emploi et la formation professionnelle à laquelle elle était proposée au cours des tractations ayant précédé la formation du premier gouvernement Habib Essid.

Le ministre des affaires étrangères Khemaies Jhinaoui, ancien conseiller diplomatique du président de la république ne risque pas trop. Il est le meilleur profil qui convient à ce poste pour Béji Caid Essebsi, l’ancien chef de la diplomatie de Habib Bourguiba qui garde la main sur un domaine réservé et c’est lui qui fait marcher la diplomatie. C’est pourquoi, Jhinaoui ne sera pas débarqué de ce département sensible où les réussites réalisées sont plutôt l’œuvre du président que celle de son ministre.

Les deux « anges » Mounkar et Nakîr qui accompagneront, selon la tradition sunnite, les morts dans leur tombe et leur feront subir un interrogatoire sévère, ces deux surnoms à connotation religieuse, on peut facilement deviner d’où ils viennent, sont  collés à Mehdi Ben Gharbia et son alter ego Iyed Dahmani. Les deux ministres sont très proches du chef du gouvernement. Ils sont dans le point de mire de Nidaa Tounes et d’Ennahdha qui les accusent de chuchoter tout le temps à l’oreille de leur maitre et d’influencer ses décisions. Ben Gharbia se trouve même sous le sceau d’accusations de corruption et de malversation qu’il récuse de manière catégorique. Le président d’Afek Tounes, Yassine Brahim, qui a une dent contre lui et une revanche à prendre sur celui qui l’a malmené au sein de l’ARP et dans les médias, a juré d’avoir sa peau. Mais que pèse sa voix devant le soutien dont bénéfice le ministre des relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile de La part du chef du gouvernement ?

D’autres ministres qui sont bien « assis dans leurs fauteuils » et qui collaborent bien avec le chef du gouvernement dans sa guerre contre la corruption, sont partis pour rester. Il s’agit des ministres de  la justice, Ghazi Jeribi l’un des meilleurs de tous,  Mohamed Fadhel Abdelkefi du développement, de l’investissement et de la coopération qui pourrait récupérer, également, les finances, de l’intérieur Hédi Majdoub bien que certains demandent son remplacement et des domaines de l’état et des affaires foncières Mabrouk Kourchid qui pourrait être promu ministre. Celui de la défense, Farhat Horchani qui dépend beaucoup plus du président De la république, ne risque pas, à son tour d’être inquiété.

 Les ministres d’Ennahdha qui s’accapare la plupart des départements à caractère économique, ne sauraient en aucun cas inquiétés. Le parapluie de leur Cheikh Rached Ghannocuhi et le véto de poids de leur groupe parlementaire fort de 69 membres, les protègent contre les « foudres » de Youssef Chahed. Même le plus décrié d’entre eux, Zied Ladhari, ministre du commerce et de l’industrie ne risque pas d’être démis de ses fonctions. A moins qu’il ne soit remplacée par un autre dirigeant de son mouvement et on avance le nom de Ridha Saidi, l’actuel conseiller économique auprès du chef du gouvernement.

Les éjectables et les sans soutiens

La jeune Majdouline Cherni  a été propulsée au firmament par la seule volonté du Grand Maitre Béji Caid Essebsi qui l’a adoptée au cours d’une visite au domicile de ses parents pour leur présenter ses condoléances suite à l’assassinat de leur fils le martyr Socrate. Connue pour son dynamisme et son activisme dans la société civile notamment, l’ancienne secrétaire d’état chargé du dossier des martyrs et des blessés de la révolution, ne semble pas réussir à la tête d’un département très exposé. Flanquée de deux secrétaires d’état, une première et une aberration dans ce ministère, de deux sensibilités politiques différentes, l’un Imed Jabri chargé du sport est de Nidaa Tounes, et l’autre Faten Kallel chargée de la jeunesse est d’Afek, elle n’est pas arrivée à s’imposer sur un terrain glissant. Elle a répondu à l’appel de Hafedh Caid Essebsi en rejoignant Nidaa Tounes, une manière de se prémunir contre les aléas du vent. Loin d’être intouchable, mais au cas où elle serait remplacée, elle pourrait obtenir le poste de conseiller à Carthage ou à la Kasbah.

Samir Taieb, le secrétaire général Al Massar dont le parti n’a obtenu aucun siège aux dernières législatives, a réussi par un subtil « retournement de veste » d’obtenir un département stratégique, celui de l’agricultur. Il, est critiqué de toutes parts pour son incapacité à trouver des remèdes aux maux d’un secteur malade. L’ancien « ennemi juré » d’Ennahdha dont il a obtenu la « bénédiction » lors du vote de confiance au gouvernement Youssef Chahed, devrait quitter son poste et remplacé par un de ses secrétaires d’état qui connaissent mieux le secteur que lui.

Reste les autres qui sont assis sur de sièges éjectables et qui ne disposent pas de solides soutiens.  Aussi, faut-il rappeler, dans ce sens, le limogeage sans ménagement des ministres de la justice Mohamed Salah Ben Aissa par Habib Essid, ceux des affaires religieuses Abdeljelil Ben Salem et des finances Lamia Zribi par Youssef Chahed et bien entendu Néji Jalloul qui a perdu le soutien des deux grands partis et de l’UGTT. Sans oublier Abid Briki qui, contrairement, à ce qu’on disait ne jouissait pas de beaucoup de sympathie auprès de la centrale syndicale.

Ainsi la ministre de la santé Samira Meraii est de plus en plus critiquée dans sa gestion d’un secteur stratégique et vital. Son dernier passage devant l’Assemblée de représentants du peuple ne l’a pas sauvée aux yeux de ses détracteurs. Tout comme son collègue du parti Afek Tounes Riadh Mouakher qui se trouve dans la tourmente d’accusations de malversation dont il se défend. Plusieurs secrétaires d’état sont, également, donnés partants parce qu’ils n’ont rien prouvé dans l’exercice de leurs fonctions. Sans oublier Hela Cheikhrouhou, surnommée « la ministre de la fiche » qui se perd dans les dédales d’un département  créé sur mesure pour elle.

Dans trois jours, le 20 courant, Youssef Chahed va se produire devant l’Assemblée des représentants du peuple pour s’expliquer sur « sa guerre contre la corruption ».  Certains élus l’attendent de pied ferme, y compris parmi les membres du groupe de son parti, Nidaa Tounes qui se sentent visés par cette campagne. Il sera interpellé sur l’éventuel remaniement et sera appelé à fournir des explications. Son gouvernement assez pléthorique mériterait d’être réduit en fusionnant des départements et supprimant des secrétariats d’état. Actuellement de 40 membres, l’équipe de Chahed devrait descendre au-dessous de ce nombre.

Attendons pour voir.

B.O

 

 

 

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