Saïed ou la politique d’ « un pas en avant, deux pas en arrière ! »

Saïed ou la politique d’ « un pas en avant, deux pas en arrière ! »

Le président de la République Kaïs Saïed alterne le chaud et le froid. Deux jours après avoir brandi son projet de « conciliation pénale » que tout le monde attend de pied ferme « plus que jamais » (lui-même dixit) et les institutions qui lui seront attachées, ces fameuses sociétés « ahlia » (terme intraduisible sauf à le prendre au sens d’entreprises citoyennes ou civiles) et qui essaimeront dans toutes les délégations (Un Etat parallèle en résumé), le voilà qu’il fait preuve de réalisme en estimant que la loi n°38 est inapplicable.

Remettant les pieds sur terre et les pendules à l'heure, il a déclaré que cette loi portant mesures dérogatoires pour le recrutement dans la fonction publique de diplômés du supérieur au chômage depuis plus de dix ans n’a été conçue que pour vendre de l’illusion à des jeunes privés d’emploi pour une longue période.

Mais à regarder de près quelle différence entre ce projet de conciliation pénale sur lequel il bâtit des espoirs de transformer le pays et d’offrir un travail à tout demandeur et la loi contestée d’emploi pour les chômeurs de longue durée. Le premier comme le second sont nés d’un seul et même esprit, celui d’un populisme à tout crin qui se fonde sur l’illusion d’une mauvaise « bonne idée », celle consistant à garantir des revenus du genre « clou dans le mur », une formule imagée que seuls les Tunisiens comprennent et dont la finalité est de s’assurer d’un emploi irrévocable procurant un salaire permanent des caisses de l’Etat, sans gros effort si possible.

Kaïs Saïed nous promet un décret-loi portant sa signature sur cette fameuse « conciliation pénale ». Selon ce que l’on sait, les plus gros corrupteurs (avant et après la révolution du 17 décembre, date clé du soulèvement de l’hiver 2010-2011), prendront en charge des projets (l’on ne sait s’il s’agit de projets d’infrastructure ou des projets productifs) dans les délégations les plus démunies et ainsi de suite.

Des questions légitimes se posent : où trouver l’argent détourné et comment faire pour le récupérer et quel rôle jouera la justice à cette fin. Si la justice transitionnelle n’a pu rien faire, comment la justice ordinaire le pourrait-elle d’ailleurs ? Les corrupteurs s’ils existent, ils doivent être sanctionnés par la justice et punis pour les crimes qu’ils ont commis. S’ils doivent payer des amendes c’est à l’Etat qu’ils sont redevables et non à des régions. L’Etat étant un et indivisible comment faire pour que des sommes d’argent soient réservées à une région plus qu’à une autre sur la base du degré de corruptibilité de personnes physiques appartenant à une même et seule communauté nationale.

Tant de questions auxquelles on doit porter des réponses. Mais à première vue, il s’agit d’un projet tout aussi illusoire et utopique que celui des mesures dérogatoires de la loi n°38 que Kaïs Saïed avait d’ailleurs promulguée en août 2020 sans trouver la moindre faille pour en contester la constitutionnalité puisque le texte jugé maintenant inapplicable dérogeait à un principe de base celui de l’égalité des citoyens devant la loi du fait qu’il reconnaissait des droits à une certaine catégorie (les diplômés au chômage depuis plus de dix ans). Il aurait été facile au président de la République de retoquer cette loi à l’évidence inconstitutionnelle, ce qu’il n’a pas manqué de faire plus tard, mais il ne l’a pas fait par pur populisme.

Ce ne sont pas seulement ces diplômés de longue durée qui ont reçu la nouvelle interprétation de Kaïs Saïed de cette loi, devenue inapplicable comme un gifle implacable, mais ce sont surtout les initiateurs de ce texte de loi à l’Assemblée (dont les attributions ont été suspendues le 25 juillet dernier) et particulièrement les membres du groupe démocrate rassemblant les élus du Courant démocrate (Attayar) et ceux du Mouvement du Peuple (Harakat Echaâb). Selon certaines sources, c’était Kaïs Saïed le candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2019 qui avait suggéré aux coordinations des diplômés chômeurs de longue durée dont il avait reçu les membres chez lui à Mnihla de s’adresser à l’ARP pour arracher un texte de loi qui permettra de leur donner satisfaction.

S’il est probable que le Courant démocrate va observer un silence gêné, puisqu’il a quitté le bateau des thuriféraires de Kaïs Saïed, on est curieux de savoir comment va réagir le Mouvement Echaâb qui soutient mordicus la démarche engagée par le chef de l’Etat depuis le 25 juillet et qui fait partie des rares mouvements partisans à n’avoir pas changé d’avis.
La position de Kaïs Saïed vis-à-vis de la loi N°38 est certes frappée au coin du bon sens, mais il doit maintenant faire face au tollé que ne manquera pas de susciter cette volte-face aussi radicale qu’inattendue.

Il doit néanmoins en tirer des leçons. La première et la plus importante d’entre elles est que le populisme ne peut pas mener à loin et qu’il finit toujours par se heurter à la réalité qui elle est implacable. D’ailleurs à la première épreuve, il risque de voler en éclats. Le problème encore insoluble des déchets à Sfax et le refus des habitants d’Agareb d’accepter la réouverture du dépotoir pour l’enfouissement des déchets de la grande ville dans leur zone rurale est là pour le rappeler.

L’homme d’Etat, l’homme responsable tout court n’est pas investi des fonctions de diriger la communauté pour répondre au slogan : ce que le peuple veut, le responsable doit le faire. Il est appelé à faire des choix et à mettre en œuvre une politique qui n’est pas forcément celle à laquelle tout le monde adhère mais elle est celle qui tient compte des intérêts de la communauté dans son ensemble. En politique d’ailleurs ce n’est pas la meilleure solution qui soit la bonne, elle est plutôt celle du moindre mal. Puisqu’elle doit prendre en compte des intérêts divers et forcément contradictoires.

RBR

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