Souvenirs du regretté Azouz Lasram : un grand communicateur et un défenseur acharné de son pays

Souvenirs du regretté Azouz Lasram : un grand communicateur et un défenseur acharné de son pays

 

Azouz Lasram qui vient de nous quitter pour un monde meilleur fut un grand communicateur. Formant avec son chef de cabinet Mondher Zenaïdi un duo de grande qualité, le clubiste et l’espérantiste (ils ont présidé d’ailleurs les deux grands clubs de la capitale) furent de grands communicateurs. Tous les deux avaient d’excellents rapports avec les journalistes. Ils prenaient grand soin d’eux et n’épargnaient aucun effort pour leur faciliter la tâche.

Alors que la Tunisie s’était engagée au début des années 1970 dans une expérience de libéralisation économique sous la férule du Premier ministre Hédi Nouira, C’étaient eux qui avaient lancé un magazine mensuel dédié à l’information économique. En même temps l’Agence Tunis Afrique Presse mettait en place son service économique et Social (SES) dont la responsabilité m’avait été confiée. Avec mon confrère et ami le regretté Abdelmajid Chéniour, nous étions parmi les premiers collaborateurs à ce magazine de qualité.

Ministre de l’Economie nationale Azouz Lasram avait sous sa responsabilité les secteurs de l’industrie, des mines, de l’énergie, mais aussi du commerce, de l’artisanat, du tourisme mais également, si mes souvenirs sont bons les statistiques. Sous sa tutelle se trouvait pratiquement tout ce que le pays comptait comme entreprises nationales ou institutions alors nouvellement créées telles que l’API entre autres.

Super-ministre, il restait modeste et reconnaissait qu’il suffisait que le prix du persil montât pour que sa place fut remise en question. Ainsi il nous confiait que la première chose qu’il consultait sur son bureau c’était la mercuriale c'est-à-dire les prix des légumes et des fruits. Bourguiba et Nouira suivaient la question de très près et il lui fallait leur expliquer pourquoi certains prix flambaient sans raison. D’ailleurs quand j’ai constaté la flambée des prix des piments et des tomates ces jours-ci je me suis souvenu de M. Azouz Lasram avant que je n’apprenne sa disparition. Il faisait tout pour que les prix restent à un niveau tolérable. On lui devait d’ailleurs la notion de stocks stratégiques dans les produits de base pour la régulation des prix.

Azouz Lasram était un homme de dialogue. Quand les choses se sont gâtées entre le gouvernement Nouira et l’UGTT en décembre 1977 il avait rendu son tablier ne voulant pas avec certains de ses collègues cautionner l’affrontement devenu inévitable et qui allait survenir le 26 janvier 1978. Revenu au gouvernement avec la nomination de Mohamed Mzali comme Premier ministre en 1980, il démissionna une fois encore à la fin de l’année 1983 lorsque Bourguiba décida, contre tout bon sens, de doubler le prix du pain. Il était en dehors du gouvernement quand survinrent les émeutes du pain. Il ne reviendra plus aux affaires publiques.

Azouz Lasram fut aussi un grand patriote et un défenseur acharné de son pays. Au début de sa carrière il avait servi au ministère des affaires étrangères comme ambassadeur adjoint à Paris puis comme directeur de la coopération internationale et enfin comme secrétaire général du ministère des affaires étrangères.

Ayant été à Paris comme chef de bureau de la TAP au début des années 1980, je me rappelle de son entretien avec Pierre Bérégovoy, alors ministre de l’Economie et des Finances de François Mitterrand. A l’époque la France avait l’intention d’imposer le visa aux Tunisiens et aux Maghrébins de façon générale.

Quand la question était posée officiellement Azouz Lasram avait piqué une grande colère. Ayant bien préparé son sujet car il avait été briefé par un grand ambassadeur Feu Hédi Mabrouk, il sortit une feuille de sa poche où il avait consigné les statistiques sur les Tunisiens qui visitaient la France. Alignant ces chiffres et notamment les dépenses des Tunisiens en France qui se montaient à quelques millions de Francs par mois, il avait dit à son interlocuteur : « si vous décidiez d’instaurer le visa nous appellerions nos compatriotes à ne plus venir en France, nous les encouragerions à aller ailleurs en Italie, en Espagne (à l’époque il n’y avait pas d’Union Européenne ni d’Espace Schengen) et ça sera une perte sèche pour la France ». La discussion s’arrêta là et la question n’a plus été abordée.

Que Dieu accueille le grand disparu dans sa Haute Miséricorde.

Raouf Ben Rejeb

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