Tunisie: Le débat sur la "Colibe" est-il vraiment la priorité du moment ?

Tunisie: Le débat sur la "Colibe" est-il vraiment la priorité du moment ?

Depuis quelque temps, le Rapport de la commission des libertés individuelles et de l'égalité, communément appelé "Colibe", est au centre de toutes les controverses. Il exacerbe les passions et les tensions entre les membres de la commission et les associations à vocation religieuse. 

Les défenseurs et membres du Rapport, eux, continuent de soutenir mordicus que le fameux rapport de la "Colibe" n'est pas orientée contre l'Islam mais contre une fausse interprétation de notre religion…. Ils vont jusqu'à accuser certaines parties de colporter des rumeurs et des mensonges pour saper le « travail profond » de la commission.

Les associations à vocation religieuse, quant à elles, sont montées au créneau pour dénoncer et fustiger ce rapport portant , selon eux, atteinte à nos valeurs islamiques. Il est vrai que certaines recommandations de ce fameux rapport ont de quoi laisser pantois: égalité dans l’héritage, annulation de l’obligation de la dot dans le mariage et le délai de viduité, égalité dans  le choix du nom de famille, abrogation de la peine de mort et incrimination de l’incitation au suicide...et la liste continue.

Du côté des imams, des prédicateurs et autres membres de la société civile, c'est la grogne et la frustration. Des manifestations de colère ont été organisées vendredi dernier un peu partout sur le territoire national.

A Gafsa, une marche contre le Rapport a été organisée à l'appel de la "Coordination nationale de défense du Coran, de la Constitution et du développement équitable". Le président de la coordination, Mohamed Ali Brahmi, a indiqué que le mouvement a été organisé pour exprimer le refus de ce projet tout en appelant le chef de l'Etat à retirer le rapport pour protéger le pays de la fitna et de l'extrémisme. Et considère que le projet traite de questions “qui n’ont rien à voir avec la culture du peuple tunisien et vise à tordre le cou à la Constitution en imposant ces idées”.

Des marches similaires ont été organisées à Sfax et à Tunis par l'association de la "Khataba et les sciences de la charia", le parti "Al Mahabba", "l'association des orateurs et de la charia"... Toutes dénoncent le danger d'un rapport qui interprète  avec légèreté la pensée islamique et appellent à protéger les croyances sacrées et à annuler immédiatement ces ridicules recommandations qui sapent les préceptes fondamentaux de l'Islam. 

Dans le camp en face, celui de ceux qui soutiennent le rapport et appellent à l’application de ces recommandations, on s’organise aussi pour se faire entendre. Une manifestation est même prévue le 13 août, à l’occasion de la journée de la femme sous le slogan « Nssa Tounes Nsaa Wnoss ».  

Entretemps, les recommandations du rapport enflamment la toile et divisent les Tunisiens. Et malheureusement le niveau des débats est tombé très bas avec des accusations d'un camp à l’autre.

Ceux qui sont contre le rapport sont traités de rétrogrades, d’obscurantistes, d’extrémistes et même de Daechiens. Et dans ce cadre, ce sont les femmes qui refusent l’application de son contenu  et qui sont les premières cibles de ceux qui se présentent comme laïcs ou modernistes.   

Alors que ceux qui soutiennent le rapport sont traités de mécréants, de vendus et de traitres qui servent les intérêts de l’Occident en Tunisie et veulent éradiquer l’Islam du pays pour déraciner la Tunisie de ses origines.

Devant cette situation, et dans l’attente de son discours du 13 août, le président Essebsi est désormais entre deux feux. Se contentant juste de prendre acte, sans dire ni du bien ni du mal de ce rapport. Le gouvernement de son côté a pris ses distances tâchant de ne pas s'en mêler pour l'instant.

Face à tout ce tollé provoqué par le Rapport, il y a lieu de se poser un certain nombre de questions. 

Au moment où notre pays s'embourbe un peu plus, chaque jour, dans de dangereuses crises politiques, sécuritaires, économiques et sociales, le débat sur le contenu de la Colibe est-il vraiment une priorité? Au moment où les Tunisiens voient chaque jour leur pouvoir d'achat se réduire comme une peau de chagrin et leur frustration augmenter, ce débat sur la Colibe est-il vraiment une priorité? Au moment où le dinar tunisien poursuit sa dégringolade risquant de se transformer en... monnaie de singe, ce débat est-il vraiment une priorité? Au moment où le pays manque de médicaments et où ses structures de santé sont dans un état de délabrement inconcevable, ce débat est-il vraiment une priorité?   

Il est évident que, au vu de toutes ces difficultés et dans l'état actuel des choses, nos priorités sont ailleurs. Mais au lieu de s'attaquer à fond, et en priorité, aux vrais urgences du moment, l'on continue d'ergoter sur des vétilles.  

K.B.M.
 

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