Kamel Letaief, un petit ange diabolique ou un gentil petit diable ? 

Kamel Letaief, un petit ange diabolique ou un gentil petit diable ? 

 

Il est partout et nulle part. Son nom est sur toutes les lèvres, mais ses apparitions sont très rares. Il est constamment cité dans les salons, les médias, les réunions publiques et même dans les hauts lieux du pouvoir, à l’intérieur de l’hémicycle.  Lui, c’est Kamel Letaief, « le lobbyiste » numéro un, le faiseur de Rois, à qui on attribue de larges pouvoirs.

Il était le conseiller de l’ombre de l’ancien président Ben Ali avec qui il s’est lié d’amitié, à partir de 1978. C’est lui qui, avec d’autres dont notamment Habib Ammar et Hédi Baccouche qui l’ont poussé à destituer le président Habib Bourguiba en prenant le pouvoir à l’aube du 7 novembre 1987. Il devient, du coup, l’homme fort du régime et son bureau sis dans la rue Beyrouth au centre-ville de Tunis, ne désemplissait pas. Heureux ceux qui pouvaient y accéder pour prendre un café avec lui et recevoir ses consignes et, parfois même, ses réprimandes et ses admonestations, qu’ils acceptaient de bon cœur !

Mais la lune de miel avec son ami Ben Ali n’a pas duré longtemps. Le mariage de ce dernier avec Leila Trabelsi auquel il s’est farouchement opposé a fini par l’éloigner du sérail. Ses amis parmi les hommes politiques qu’il a lancés ont été tout simplement éjectés. Pis, ceux qui ont répondu à son invitation pour assister à la circoncision de son fils ont été considérés comme des félons et ont été limogés sans ménagements. Mis au ban, il a même séjourné quelques jours en prison, suite à sa condamnation à un an de prison pour avoir publié, le 30 octobre 2001, une tribune dans le journal « le Monde » où il critiquait ouvertement le régime de Ben Ali et ses dérives. Il a pris ses distances avec son ami, malgré lui, mais il a continué à s’activer grâce aux liens solides qu’il a tissés avec plusieurs chancelleries et notamment l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique. Il est, d’ailleurs, considéré comme étant « l’homme des Américains » dont il a l’oreille. Il est également resté proche de l’opposition et des défenseurs des droits de l’homme.

Après le 14 janvier 2011, il s’est remis sur scelle et avant sa chute, Ben Ali lui a demandé conseil, mais c’était trop tard.  Il devient plus actif et raffermit ses liens avec son voisin et ami Béji Caid Essebsi et les membres de son gouvernement. Il tisse des réseaux au sein du ministère de l’Intérieur où, parait-il, a réussi à placer ses hommes. Il a, également, réussi à « recruter » beaucoup de journalistes et à mobiliser beaucoup d’activistes sur les réseaux sociaux. La montée de l’homme d’affaires Chafik Jarraya lui a fait de l’ombre. Ce dernier, comme il l’a déclaré, a réussi à « acheter beaucoup de journalistes » et des médias pour les utiliser contre ses adversaires dont Kamel Letaief et à infiltrer des partis politiques et surtout Nidaa Tounes où il est devenu incontournable.

L’arrestation de Chafik Jarraya a été attribué par certains à Kamel Letaief. C’en est trop, pour ne pas dire ridicule ! Certains, y compris parmi les députés, l’ont déclaré tout haut et ont appelé le chef du gouvernement à procéder à son arrestation. Le député d’Ennahdha et ancien ministre dans le gouvernement de la Troïka, Mohamed Ben Salem, s’est distingué lors du débat, le 20 juillet, consacré à l’audition du chef du gouvernement en se demandant  si Kamel Letaief était sur la liste des personnes à arrêter et il a exigé qu’il soit, du moins, « placé en résidence surveillée». Considéré comme chef de clan, il est, pour Ben Salem, « El Capo », c’est-à-dire le chef d’une mafia de narcotrafiquants !

Dans sa réponse, Youssef Chahed a récusé « cette guerre de clans ». Il a tenu à préciser que « toute personne qui dispose de dossiers liés à la corruption d’un tel ou un tel nous les remette, et si nous ne faisons rien, alors accusez-nous de sélectivité ».

Mabrouk Kourchid, le secrétaire d’Etat chargé des domaines d l’Etat et des affaires foncières, a souligné que « si quelqu’un dispose de preuves de culpabilité contre Letaïf qu’il nous les ramène. Ce que je sais, c’est que Kamel Letaïf a été victime d’opérations d’intimidation sous Ben Ali parce qu’il a ouvertement dénoncé le développement de la corruption et la clique au pouvoir ».

Son avocat Nizar Ayed  a apporté des précisons sur cette question. Il affirmé que son client a pris, dès 1991, ses distances avec le régime de Ben Ali et a été l’un des hommes qui l’ont le plus combattu. Il ne pouvait plus, de ce fait, faire du business et depuis, il a abandonné tout commerce et a vendu ses parts à ses frères. Il a expliqué que sa fortune était constituée par son père, grand entrepreneur dans les années 1940.

Kamel Letaief n’en a cure. Il assure qu’il n’a rien à se reprocher et que par conséquent, cette guerre n’est pas la sienne et qu’elle ne le concerne pas.

Est-il aussi fort à ce point, Kamel Letaief ? Dispose-t-il réellement de vrais pouvoirs occultes pour agir sur le déroulement des évènements comme il l’avait fait au cours des premières années de Ben Ali ? Appartient-il à un quelconque secte de « Francs-Maçons » sans qu’on ne le sache ou encore a-t-il infiltré les hauts lieux de pouvoir pour en influencer les décisions ? Ceux qui le connaissent de près l’innocentent de toute accusation alors que ses détracteurs lui imputent, parfois, et sans preuves, tous le maux dont souffre le pays.

Est-il un petit ange diabolique ou au contraire un gentil petit diable ? 

Brahim OUESLATI

 

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