La titrisation au secours du budget de l'Etat tunisien ? Quelques propositions !

La titrisation au secours du budget de l'Etat tunisien ?  Quelques propositions !
 
Par le Pr Mahmoud Sami NABI (LEGI-Ecole Polytechnique de Tunisie et FSEG Nabeul)
 
Le projet de loi de finance 2017, actuellement en discussion, a été réalisé sur la base de plusieurs hypothèses en faisant face à des arbitrages difficiles. Notre économie n'a pas réussi à réaliser le taux de croissance de 2,5% initialement prévu dans la LF2016 (révisé à 1,5%). 
 
Parmi les conséquences qui en résultent, le creusement du déficit budgétaire et l'augmentation de l'endettement public. Dans ce contexte, on comprend que les marges de manœuvre du gouvernement tunisien ne cessent de se rétrécir.
 
Pour augmenter les dépenses d'investissement et essayer de stimuler l'économie, il appelle  les partenaires sociaux à une contribution exceptionnelle: 7.5% d'impôt sur les bénéfices des sociétés (générant environ 900 millions de dinars) et  le report du versement des majorations salariales prévues pour 2017 (pour économiser 1030 millions de dinars de dépenses de fonctionnement). 
 
L'exécutif essaye d'augmenter les dépenses d'équipement (environ 19% du budget projeté en 2017 contre 18% en 2016) en espérant générer les effets d'entrainement positifs et encourager l'investissement privé (domestique et étranger).
 
L'objectif étant de cibler prioritairement les grands projets s'insérant dans le cadre du plan de développement et les projets d'infrastructure pour désenclaver les régions intérieures, en projetant la réalisation d'un taux de croissance de 2,5% en 2017. 
 
Limiter la croissance des dépenses de fonctionnement est l'un des arbitrages controversés par l'UGTT.  Dans cette tribune, je propose l'utilisation de mécanismes financiers basés sur la titrisation des revenus futurs. Le but essentiel étant de désamorcer un blocage éventuel entre le gouvernement et les partenaires sociaux. 
 
1. Structure du  budget de l'Etat 
 
La structure actuelle du budget de l'Etat pour l'exercice 2017 est la suivante :
 
 
Le gouvernement tunisien essaye de  financer les investissements publics nécessaires en faveur des régions défavorisées et d'engager les dépenses pour encourager l'entrepreneuriat des jeunes...Or, son budget est de plus en plus contraint par le fardeau des dépenses de fonctionnement croissantes (budgétisés au niveau de 62.5% pour 2017 ), par le déficit chronique de plusieurs entreprises publiques et par la situation financière urgente des caisses de sécurité sociale. Ceci s'est traduit par une baisse de la part du budget de l'investissement public dans le budget de l'Etat de 24 % en 2010 à environ 19.2% projeté 2017. 
 
Le déficit budgétaire projeté pour 2017 est de 5,4% du PIB (soit 5 345 millions de dinars) contre une estimation de 5.7% (5 219 millions de dinars) en 2016. Les figures 2 et 3 illustrent l'évolution sur la période 2010-2016-LF2017 de la structure du budget de l'Etat en termes de dépenses et de ressources publiques (en millions de dinars).
 
 
La figure 3 montre l'accroissement du recours à l'endettement extérieur depuis 2010 (égalisant 6 045 MDT selon la LF2017) faisant passer le ratio dette extérieure au PIB de 24,7% en 2010 à 42.9% en 2017. L'endettement public total a grimpé de 40.7% du PIB en 2010 à environ 63% du PIB en 2016 et est projeté à 63.8% dans le projet de LF2017. 
 
Nous n'avons  pas réussi à réaliser le taux de 2,5% de croissance initialement prévu dans la LF2016 et qui a été révisé à 1,5%. Il n'est pas alors étonnant que les  recettes fiscales n'ont pas progressé comme prévu (passant de 20 600 millions de dinars selon la LF2016 à 18 835 après révision). 
 
2. Emission de Bons de Trésor à Zéro coupon adossés à l'impôt sur les revenus de 2017 et 2018
 
Le gouvernement tunisien pourrait trouver un compromis avec l'UGTT en acceptant l'augmentation des salaires en contrepartie d'une souscription obligataire à des bons de trésor  spécialement émis. La maturité des bons de trésor serait de deux ans, ce qui est financièrement équivalent à retarder l'augmentation à janvier 2017. En contrepartie, les salariés bénéficieront de cette opportunité d'investissement  et auront l'honneur de contribuer à l'effort national pour la stimulation de l'économie.  
 
En termes plus techniques et à titre d'illustration du mécanisme proposé, imaginons que l'Etat émette en janvier 2017 sur le marché domestique  1 million de bons de trésor à Zéro coupon (BTZc)  échant en janvier 2019. La valeur d'émission serait  de 875,5 dinars pour une valeur nominale de 970 DTN (soit une rémunération à un taux annualisé d'environ 5,25%). Le montant collecté par l'Etat serait de 875 millions de dinars en 2017 permettant de financer l'augmentation des salaires estimée à 1030 millions de dinars en brut. 
 
En comptant la contribution de cette augmentation à l'impôt sur les salaires à hauteur de 154.5 millions de dinars (en supposant un taux d'imposition moyen de 15% : 15% x 1030 = 154.5), la nouvelle structure du budget de l'Etat deviendrait la suivante:
 
 
Ce mécanisme : 
 
1) permettrait d'éviter un long processus de  renégociation des accords et une éventuelle tension sociale préjudiciable à l'environnement socio-économique (dans une période où on s'apprête à organiser la conférence sur l'investissement),
 
2) a le même effet financier qu'une augmentation des salaires retardée à deux ans, 
 
3) (malgré l'obligation de souscription par les fonctionnaires) il est flexible dans le sens où les BTZc peuvent être cessibles sur le marché  secondaire via le système bancaire, contribuant ainsi à améliorer la liquidité du marché monétaire. 
 
Un salarié qui garde le BTZc jusqu'à sa maturité, verra son impôt réduit en 2019 du montant de remboursement du bon du trésor souscrit. On peut donc  qualifier cette opération d'un endettement public adossé aux impôts futurs reçus en 2019. En termes de flux financiers, cela revient à financer 875,5 millions dinars d'emprunt intérieur en 2017 par une  baisse d'impôt de 970 millions de dinars en en 2019. En contrepartie, il y aurait arrêt des augmentations salariales durant 2018. 
 
3. Emission de titres financiers par la CNRPS
 
Le mécanisme précédent pourra avoir d'autres types de supports d'investissement si on souhaite éviter le recours aux BTZc générant une augmentation du niveau de l'endettement public.
 
Je l'illustre en considérant cette fois la dépense de 500 millions de dinars de paiement prévue au profit de la CNRPS. Cette dépense figure dans le budget de l'Etat parmi les 6 540 millions de dinars "Autres dépenses de fonctionnement" (figure 1). L'émission par la CNRPS de certificats d'investissement souscrits obligatoirement par les salariés et remboursable dans un an sous forme de réduction de leurs cotisations sociales futures, permettrait de réduire l'augmentation des salaires supporté par l'Etat à hauteur de 530 millions de dinars (1030 -500). La structure du budget de l'Etat serait dans ce cas comme suit :
 
4. Emission de titres financiers par Tunisie Autoroutes
 
Dans le même esprit, des montages financiers basés sur  la titrisation des revenus futurs permettrait d'alléger la pression sur les dépenses d'équipement voire à les augmenter. 
 
Notons ici (quoi que ce n'est pas l'objet de cet article que les certificats d'investissement sous forme de sukuk ont permis de financer de larges projets d'infrastructure à travers le monde. Nous pouvons lire dans le budget d'Etat de l'Australie 2016-2017  "The success of the two sukuk issuances by Government in the past two years has demonstrated the ability of our financial market to support the launch of Islamic financial products and meet their financing needs. We shall seize the opportunity to issue the third sukuk in a timely manner." En Tunisie, la loi sur les sukuk est encore en discussion et le gouvernement n'a toujours pas réussi à se financer par ces instruments (1000 millions de dinars étaient prévues en 2016). (Notons ici que l'accès à la propriété physique n'a pas lieu dans les asset based sukuk contrairement aux asset backed sukuk)...
 
Dans le projet de loi de finance, la construction d'autoroutes et de projets d'infrastructure pend une large place dans les dépenses d'équipement. Je n'ai pas les chiffres exacts mais supposons qu'un montant de 500 millions de dinars soit consacré à la construction d'autoroutes qui seront gérées par Tunisie Autoroutes. L'idée ici est de libérer ce montant des dépenses d'équipement, et d'autoriser Tunisie Autoroutes à émettre des certificats d'investissement d'un montant de 500 millions de dinars. 
 
Au lieu d'alimenter directement le budget de l'Etat, les entreprises tunisiennes s'engageront à souscrire à ces certificats d'investissement et bénéficieront de leurs rendements futurs. Au lieu d'une contribution de 950 millions dinars sans rémunération, ils financeront le budget de l'Etat à hauteur de 450 millions de dinars seulement. 
 
 
5.  Accompagner la loi de finance par un assouplissement monétaire ciblé
 
Je rappelle ici ma proposition faite en juin dernier  et consultable ici goo.gl/J8tQdf  où je propose d'orienter la politique d'assouplissement monétaire de la BCT vers des activités économiques ciblées pour stimuler l'investissement et limiter la croissance de la masse monétaire profitant aux dépenses de consommation (via le financement bancaire).
 
Mahmoud Sami Nabi (Novembre 2016) 
 

Votre commentaire