L’ultimatum posé au Qatar : quand certains Etats se croient tout permis

L’ultimatum posé au Qatar : quand  certains Etats se croient tout permis

On peut tout penser du Qatar, y compris le pire mais quand on lit les doléances présentées par les pays adverses et qui en font des conditions auxquelles il doit se plier s’il veut échapper aux sanctions qui le frappent, on est réellement sidéré, abasourdi. Comment est-il possible que des Etats qui ont de longues traditions diplomatiques et qui ont parfois brillé dans les instances multilatérales peuvent-ils inscrire des demandes aussi peu crédibles et qui ne peuvent être satisfaites par le Qatar à moins de perdre ce que l’Etat a plus de cher, sa souveraineté sans les limites de son territoire national.

Il suffit de passer en revue ses doléances pour se rendre compte de leur inanité, de leur iniquité et qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’un ultimatum puisqu’il est d’ailleurs accompagné d’une date limite pour son application.

Pour tout résumer les Etats qui ont présenté ses doléances se croient tout permis y compris de passer outre les principes fondateurs des relations entre Etats. C’est comme si toutes les avancées faites depuis la création de l’organisation des nations unies sont effacées par un coup de baguette magique et qu’on est revenu à l’ère du tribalisme, des razzias et du non droit international.

Venons-en à ces doléances une à une :

-La première exige la réduction des relations diplomatiques avec l’Iran, et leur limitation à la coopération commerciale en prenant en compte les sanctions imposées à ce pays par les Etats unis et la communauté internationale. C’est une exigence absurde et un précédent fâcheux dans les relations entre Etats. Le Qatar a le droit d’avoir les rapports qu’il entend avec les pays tiers. S’il contrevient aux sanctions imposées par le système des Nations Unies et lui seul, il y a des instances auprès desquelles les reproches peuvent lui être adressés.

-En second lieu, on exige de Qatar la fermeture immédiate de la base militaire turque en cours de construction et la cessation de toute coopération militaire avec la Turquie. Là aussi c’est une atteinte à la souveraineté d’un Etat indépendant qui a le droit d’avoir toute coopération qu’il veut avec un pays tiers. Par les canaux diplomatiques, on peut s’assurer que le pays tiers ne mène pas des actions hostiles aux pays voisins. Puis pourquoi ne pas exiger aussi la fermeture de la Base américaine au Qatar. On voit bien qu’il s’agit d’une exigence sélective et par là-même inacceptable.

-La troisième exigence concerne la rupture par le Qatar de toutes ses relations avec les organisations terroristes, sectaires et idéologiques et en premier lieu les Frères musulmans, Daesh, Al-Qaïda, Hezbollah) et leur inscription comme organisations terroristes. A première vue, cette exigence semble légitime mais on d’abord on mêle des organisations différentes dans le même sac, car Hezbollah, parti politique libanais n’a rien avoir dans cette liste. Dans le même temps, le Qatar n’est pas le seul à avoir soutenu Daesh, Al Qaïda et les Frères musulmans. Le rendre seul responsable est une grosse manipulation. Sur cette question il faut qu’il y ait un accord entre tous les pays de la région pour mettre un terme au soutien du terrorisme.

-En quatrième lieu, le Qatar est sommé de cesser tout financement de toute personne, organisation ou groupe inscrits sur les listes du terrorisme élaborées par les quatre pays, les Etats unis ou proclamés à l’échelle internationale. Cette doléance est légitime mais comme le soutien du terrorisme elle s’adresse à tous les pays de la région et ne concerne pas uniquement le Qatar.

-La cinquième exigence est l’engagement du Qatar à livrer toutes les personnes inscrites sur les listes du terrorisme élaborées par les quatre pays, par les USA ou par les nations unies, à saisir les biens meubles ou immeubles et à ne plus donner refuge à d’autre éléments dans le futur et à donner toute information concernant les personnes expulsées . Là aussi on est une question de la plus grande importance qui ne peut pas être réglée au pied levé et pour laquelle il faut un accord entre les pays concernés qui doivent être soumis aux mêmes exigences. Ici se pose notamment la question de l’interdiction faite aux Etats de livrer leurs propres ressortissants et que seule une convention internationale est en mesure de régler.

-En sixième lieu, il est exigé du Qatar de fermer Al Jazeera et les chaînes qui en dépendent. Peut-on imaginer une exigence aussi inique. Quelques soient les reproches que l’on peut faire à Al Jazeera et elles sont nombreuses, mais exiger sa fermeture pure et simple est une aberration. Si des Etats craignent une chaîne télévisée c’est qu’il y a problème et le fait de casser le thermomètre n’assure pas la chute de la température. Cette chaîne est devenue une institution incontournable dans le monde arabe non pas par ce qu’elle fait, mais surtout par la crainte que les régimes arabes dans leur ensemble ont développée par rapport à ce qu’elle véhicule. Sa grande réussite c’est de s’être imposée dans un paysage audiovisuel arabe dont l’indigence le dispute à l’insignifiance. Même ceux qui l’ont combattu sur le plan les idées ne peuvent accepter qu’elle soit réduite au silence. On ne peut ici que rappeler cette phrase de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire.

-La septième exigence concerne la cessation de toute ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats, l’interdiction de la naturalisation des nationaux des quatre autres pays, la révocation des naturalisations accordées, la présentation des listes y afférentes, ainsi la cessation de toute relation avec les éléments hostiles à ces pays. Là au moins, il y a une doléance censée d’autant plus qu’il s’agit d’un des principes fondant les relations entre les Etats souverains. Mais que vient faire dans ce domaine, la question des naturalisations qui est un des droits régaliens des Etats souverains. D’autre part la pluralité des nationalités est devenue une réalité dans les relations inter-états que l’on ne peut plus ignorer. Revenir sur cette avancée dans les rapports entre Etats est inadmissible.

-En huitième lieu, on exige du Qatar l’indemnisation des victimes et des dommages subis par les quatre pays par suite de la politique de ce pays selon un mécanisme à mettre en place par un accord entre eux. Les quatre pays poussent le bouchon trop loin et croient qu’ils ont gagné la guerre contre le Qatar car c’est seulement en ce genre d’occasions qu’on peut exiger des réparations. Dans tous les cas, le mécanisme ne peut être mis en œuvre que sur la base du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies. Les Etats concernés doivent présenter cette exigence aux instances idoines et les appuyer par les justifications indispensables.

-Le point neuf concerne l’engagement du Qatar à être en harmonie avec son environnement du golfe et arabe sur tous les plans (militaire, politique, économique, social, sécuritaire) de quoi assurer la sécurité nationale des pays du golfe et arabe et la réactivation de l’accord de Riyad de 2013 et l’accord complémentaire de 2014. Cette exigence peut paraitre logique mais comme juger que le Qatar y satisfait. Seuls le Conseil de la coopération du Golfe pour les quatre Etats concernés et la Ligue des Etats arabes lorsqu’il s’agit de l’Egypte puissent être les instances idoines à cet effet. Mais cela doit se faire de bonne foi sinon le Qatar deviendrait un protectorat des autres Etats qui doivent lui dicter sa manière d’agir au nom du respect d’une hypothétique harmonie avec la politique du voisinage.

-La dixième exigence concerne la remise par le Qatar de toutes les bases de données relatives aux opposants qu’il aurait soutenu en y précisant toutes les formes de soutien prodigué. Une telle pratique n’est acceptable que si tous les Etats s’engagent de la même manière. Car il ne fait pas de doute que chacun a à un moment ou un autre financé ou soutenu les opposants des autres.

-Le point onze concerne la fermeture de l’ensemble des médias soutenus par le Qatar de façon directe ou indirecte. La liste non exhaustive comprend Araby21, Rassd, Al-Araby Jadid, Makmalin, Sharq, Middle East Eye. Au moins là on connaît les médias financés par le Qatar. D’autres sont sous la coupe de l’Arabie Saoudite, des Emirats, du Bahreïn et de l’Egypte, cela ne fait pas de doute. Alors tout le monde doit balayer devant sa propre porte.

Dans les points douze et treize, les pays concernés donnent un délai de dix jours pour satisfaire ces exigences, ce qui équivaut à un ultimatum et posent les termes de l’accord qui doit être établi à cet effet et qui doit comporter un mécanisme d’évaluation tous les mois au cours de la première année, tous les trimestres au cours de la seconde année, et tous les ans pendant dix ans pour la suite.

Sans préjuger des réponses que va faire le Qatar un Etat souverain on peut dire que ces exigences contreviennent aux principes fondateurs des relations inter-états. Elles sont contraires aux principes humanitaires élémentaires et aux Droits de l’homme dans leur acception le plus noble. De même qu’elle constituent un précédent dangereux dans les rapports entre voisins. Si les quatre Etats ont des reproches graves à faire au Qatar ils doivent s’adresser aux instances internationales compétentes et non pas égrener des doléances et poser un ultimatum.

Pour le petit pays comme le nôtre défendre le Qatar contre les convoitises de ses grands voisins qui veulent l’étouffer par un blocus à nul autre pareil dans l’histoire récente, c’est un peu défendre notre indépendance et notre souveraineté.

On peut aimer ou détester Qatar, lui trouver de grandes qualités ou de vilains défauts, mais ce qu’il est entrain d’endurer est proprement inacceptable.

RBR

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