Remaniement imminent, ministres défaillants, Chahed sous pression

Remaniement imminent, ministres défaillants, Chahed sous pression

 

Les appels au remaniement se multiplient ces derniers temps, notamment après le déclenchement de la guerre contre la corruption. Les conjectures vont bon train et les médias se sont adonnés à la spéculation sur les noms qui sont susceptibles d'être concernés par le remaniement tant attendu.  Le chef du gouvernement Youssef Chahed est mis sous pression, lui qui était, il y a quelques semaines seulement, donné partant. Des noms avaient circulé pour le remplacer à la primature. Contesté, notamment par son parti, Nidaa Tounes qui lui reproche de ne pas le consulter assez souvent et d’ignorer ses propositions de nomination dans les hautes fonctions de l’administration, il a réussi à renverser la situation en sa faveur en lançant cette vaste opération « mains propres » pour gagner « ses galons d’homme d’Etat », comme l’écrivait jeune Afrique dans sa dernière livraison (24946 du 25 juin au 1er juillet 2017). Et du coup, il a consolidé sa position à la Kasbah. Son peu d’empressement à procéder au remaniement est décrypté comme le signe qu'il n'aurait pas encore arrêté son choix, d’autant plus qu’il n’a pas tout à fait les mains libres pour modifier son équipe. Certains membres de son gouvernement sont, en effet, « intouchables » parce que protégés, notamment, par les deux « puissants » partis qui siègent à l’Assemblée des représentants du peuples, Ennahdha et Nidaa Tounes et qui avec près de 130 députés pourraient tout bloquer. Or, la plupart des ministres défaillants sont issus de ces deux partis.

Quid de l’alliance Nidaa-Ennahdha

Ces deux formations ont fait montre d’une certaine rétivité à l’égard de la guerre contre la corruption et n’ont soutenu Youssef Chahed que des bouts des lèvres. Ils se sentent même visés, vu la proximité de certains de leurs dirigeants avec « les forces du mal », aujourd’hui sous les verrous. Nidaa Tounes met la pression en exigeant un remaniement qui tiendrait compte de son poids réel en tant que premier parti issu des élections législatives d’octobre 2014 avec 86 députés, bien qu’il n’en compte plus qu’une soixantaine actuellement. Son directeur exécutif et représentant légal, Hafedh Caid Essebsi réclame « un remaniement en profondeur et une restructuration du gouvernement ». « Contrairement à ce que veulent faire croire certains quant à la domination de Nidaa Tounes, on constate une pléthore de conseillers et de ministres qui n’appartiennent pas à Nidaa », écrit-il dans un post publié dans sa page Facebook. Khaled Chouket, un autre dirigeant du parti chargé de véhiculer le message, prône pour une alliance entre Nidaa et Ennahdha qui devrait se concrétiser au sein du gouvernement. Cette alliance a, selon lui, « contribué à l’instauration de la stabilité politique dans le pays ». De son côté, Ennahdha, par la voix de son ministre Imed Hammami, n’est pas contre ce remaniement, mais à condition qu’il soit le plus restreint possible et qu’il ne touche que « les ministères vacants » et les membres « qui n’ont pas réussi dans leurs missions ». Or, Ennahdha qui s’est emparé, lors de la formation du gouvernement d’union nationale, des principaux ministères à caractère économique, à savoir l’industrie, le commerce, la technologie et l’économie numérique et l’emploi et la formation professionnelle, et contrôle près de 70% de l’économie nationale, n’entend pas sacrifier l’un des siens, quitte à le remplacer par un autre de ses dirigeants.

L’UGTT contre tout remaniement partisan

 Mais, cela ne veut nullement dire que les deux partis soient en situation de poser des conditions à Youssef Chahed. Car le gouvernement actuel dit « gouvernement d’union nationale » est le fruit du « Pacte de Carthage » signé par neuf partis et trois organisations nationales. Pour le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Tabboubi, « un remaniement s’impose actuellement » et il devrait être « partiel ». Toutefois, précise-t-il, « si l'on revient à un combat entre les partis politiques pour savoir qui aura le plus de portefeuilles et s'ils font pression pour désigner quelqu'un ou refuser un autre, nous le refuserons catégoriquement ». Le remaniement doit, selon lui, « se baser sur des critères d’objectivité, de compétence et d’intégrité ». Il appelle Youssef Chahed à « revoir la structure de son gouvernement ». La centrale syndicale semble tenir à Mohamed Trabelsi qui, par ailleurs, est en train de faire du bon travail à la tête des affaires sociales, mais lorgne également vers le ministère de l’éducation resté vacant après le départ forcé de Neji Jalloul.

Et si le parti Afek qui dispose de deux ministères et deux secrétariats d’état tient à rester au gouvernement, certaines voix parmi les deux grands partis appellent à son éviction, vu ses positions notamment sur l’alliance entre Nidaa Tounes et Ennahdha qui « sape les fondements même du « pacte de Carthage ». L’un de ses représentants, Riadh Mouakher se trouve englué dans une affaire de malversation qu’il récuse.  La particpation du parti Al Massar, qui n'est même pas représenté au sein de l'ARP, a dès le départ, suscité beaucoup de réactions, pour la plupart hostiles. Son secrétaire général Samir Bettaieb qui occupe l'un des potes les plus importants, l'agriculture, est fortement critiqué pour sa gestion de ce secteur. Il risque  l'éjection. Alors qu’Al Joumhouri, très critique vis-à-vis du projet de réconciliation économique présenté par le président de la république pourrait perdre son maroquin, à moins que Youssef ne tienne à son porte-parole Iyed Dahmani.  Son alter ego, Mehdi Ben Gharbia, se trouve quant à lui sous les feux de critiques et d’accusations, mais il n’en démord pas et continue, malgré les appels à la démission, à s’agripper à son fauteuil, fort du soutien de son chef.  Le mouvement « Mashrou3 Tounes » dont le secrétaire général Mohsen Marzouk semble revenir en bon termes avec le Président Béji Caid Essebsi et le chef du gouvernement Youssef Chahed qui l’a reçu mercredi 28 juin, et qui a quitté le « Front de salut et du progrès » dont il était, pourtant, la cheville ouvrière, pourrait entrer au gouvernement. Son groupe parlementaire, « Al Horra » a fortement soutenu la guerre contre la corruption.

Des ministres « défaillants »

Pour le moment Youssef Chahed qui vient de changer de directeur de cabinet en nommant l’ancien ministre des finances Ridha Chalghoum, un homme d’expérience, à ce poste stratégique, celui qui l’aidé en août 2016 à « sélectionner les CV et réaliser le casting gouvernemental, semble se consacrer beaucoup plus à sa guerre contre la corruption et aux défis économiques et sociaux. Ce qui ne l’empêche pas de penser sérieusement à modifier son équipe. Certains ministres sont d’ores et déjà assurés de garder leurs postes. Ce sont ceux dont il « a salué les efforts ». Il s’agit des ministres de l’Intérieur, de la Justice, du Développement, de l’Investissement et de la Coopération et des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières. Et même si ses prérogatives constitutionnelles l’autorisent à remanier quand il le veut, il doit se concerter avec le Président de la République, l’un de ses plus importants soutiens, notamment pour les postes régaliens, mais, également pour d’autres. Il doit, également tenir compte des propositions des signataires du « Pacte de Carthage » et, en premier lieu l’UGTT, Nidda Tounes et Ennahdha. Il est évident que dans pareille situation, il ne pourra pas satisfaire les désirs des uns et des autres, surtout que les spéculations sur les ministres « défaillants » ne semblent pas recueillir l’assentiment de leurs « protecteurs », bien que le reste de la classe politique et l’opinion publique surtout, y soient favorables. Sans se hasarder à citer des noms, beaucoup de ministres n’ont rien prouvé, ou presque, depuis leur nomination.

Revoir la structure du gouvernement

Sur un autre plan, Youssef Chahed réfléchit à la restructuration de son gouvernement qui, avec 26 ministres et 14 secrétaires d’état, parait assez pléthorique. Certains départements gagneraient mieux à être rassemblés, comme celui du développement, de l’investissement et des finances ou encore celui de l’éducation et de l’enseignement supérieur. Et si pour le premier département, le titulaire est pratiquement désigné en la personne de Mohamed Fahdel Abdelkéfi qui assure déjà l’intérim des finances, pour le second département, il faut un gros calibre politique alliant la fois compétence et expérience dans ce secteur. L’intérieur devrait, à son tour, récupérer les collectivités locales pour redonner plus de vision aux régions.  Un autre département mériterait d’être revu, celui de la jeunesse et du sport. Il a été prouvé, par le passé, qu’à chaque fois que le secteur de la jeunesse se trouvait rattaché à autre secteur, il serait systémiquement marginalisé. Aussi bien avec le sport, que l’éducation, l’enfance ou la culture, la jeunesse a été le parent pauvre. Il serait plus judicieux de doter le sport d’un département à part et de rattacher la jeunesse, en tant que secteur transversal, au Chef du gouvernement pour le hisser au niveau des secteurs stratégiques. De même que certains ministères n’ont plus leur raison d’être parce qu’ils ont été créés spécialement pour des candidats précis et pour satisfaire certaines parties et partis.

Et si aujourd’hui, Youssef Chahed semble moins pressé, son attitude a pour effet de tétaniser ses ministres, notamment ceux qui sont soupçonnés de malversation et de corruption ou encore ceux qui sont souvent cités comme étant partants, et qui vivent dans l'anxieuse expectative de savoir ce que leur réserve le remaniement qui se fait attendre.

B.O

 

 

 

 

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