Saïd Chebli chez Samir el-Wafi : Le plus grand commun diviseur

Saïd Chebli chez Samir el-Wafi : Le plus grand commun diviseur

Que retenir de la longue interview de Saïd Chebli le principal accusé dans l’affaire Lotfi Nagdh, diffusée dans l’émission dominicale de Samir el-Wafi sur el-Hiwar Attounsi? Il n’était pas attendu de lui qu’il nous dise autre chose qu’il est innocent et que le tribunal l’a lavé de tout soupçon qui pèse sur lui et qu’il est convaincu que le non-lieu prononcé à son égard en première instance sera confirmé aux autres niveaux de jugement, car il fait confiance en la justice. Tout cela est bien normal. Mais de là à nous faire croire presque que c’est la victime qui doit être jugée pour s’être fait piétiner par une foule gonflée à bloc, on a peine à le croire.

En tout état de cause le pauvre Lotfi Nagdh était dans ses bureaux et on est venu le chercher dans un mouvement de foule où les réactions étaient imprévisibles, lui signifier de quitter les lieux et de se jeter dans la gueule du loup. Qu’il se fasse protéger ou qu’il essaie de se défendre c’est le moins qu’il puisse faire, instinct de conservation oblige.

Evidemment ni Saïd Chebli (on lui donne du docteur alors qu’il est diplômé de sciences religieuses, ce titre étant attribué chez nous aux seuls médecins), ni ses nombreux partisans ne se départiraient de leur position. En disant « Ghafara Allah lahou », c'est-à-dire qu’il implore pour le disparu le Pardon divin et non pas la Miséricorde (Rahimahou Allah) comme devraient le faire les musulmans, il se place dans un camp contre un autre. Même s’il y a mort d’un homme qui laisse une veuve éplorée et cinq enfants en bas âge, chaque camp continuera à accuser l’autre de tous les maux. D’un côté il y un « chahid » (martyr) lynché par la foule, de l’autre un homme dont la fin a sonné par la volonté divine et qui a rendu l’âme suite à un arrêt cardiaque.

Cette affaire restera le plus grand commun diviseur des Tunisiens. Si on n’y prend pas garde, elle fera voler en éclats la « concorde » (Attawafouk) péniblement mise en place par Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi. On voit d’ailleurs que chacun dans son camp est accusé d’avoir lâché du lest, d’avoir cédé à l’autre sur une question que l’un comme l’autre des deux camps considère comme déterminante.

Mais on doit à l’un comme à l’autre de n’avoir pas cédé à la tentation d’entrer de plain pied dans une polémique d’autant plus stérile que chacun campera sur sa position et s’y cramponnera.

Poussé à réagir le président de la république a refusé d’interférer dans les affaires de la justice et on ne peut que lui savoir gré de cette attitude. Car, si tout un chacun peut critiquer une décision de la justice qui reste une œuvre humaine où la part de l’erreur est indubitable, il n’est pas permis de l’homme qui se trouve à la tête du pouvoir exécutif de mettre en doute les décisions d’un autre pouvoir, le pouvoir judiciaire. Du reste, la prise de position du Chef du gouvernement Youssef Chahed devant l’assemblée sur la question aurait dû être évitée. Du moins pas dans la forme qu’elle a été émise.

Rached Ghannouchi le leader d’Ennahdha s’est retenu aussi d’évoquer la question, se contentant du communiqué publié sous sa signature où il a tenu à couper la poire en deux. Les accusés ont été emprisonnés sous la Troika et relâchés sous le gouvernement de Nida Tounés et la présidence de Béji Caïd Essebsi. L’idée était surtout de dire que la justice a été indépendante dans un cas comme dans l’autre. Ce qui est son honneur.

Cette histoire à épisodes, puisque chacun affûte ses armes pour le stade de l’appel ne peut que diviser les Tunisiens. Qu’elle ait lieu en même temps que les auditions publiques de l’Instance Vérité et Dignité sur les atteintes aux droits de l’homme dans les périodes passées n’est pas de nature à instaurer la paix civile qui est d’autant plus indispensable que le pays traverse une crise économique et financière grave qui risque d’aller à un affrontement sur le plan social.

Il faudrait de toutes parts, surtout de Béji Caïd Essebsi qui doit jouer sur son magister, et de Rached Ghannouchi qui doit rassembler autour de lui ses troupes parfois égarées, un effort de pédagogie pour montrer que la seule voie est celle de la concorde nationale.

Rien ne peut desservir le pays que la division qui mène inéluctablement à l’affrontement. Le pays est dans une situation fragile et nombreux sont les Tunisiens qui vivent dans la précarité. Les causes de l’embrasement sont réunies. Evitons de souffler sur le feu qui couve.

Raouf Ben Rejeb

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