Taoufik Chairi, président de l’association ADAM: «Eradiquer le racisme est la responsabilité de tous»

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Comment combattre toutes les formes de discrimination, comme le racisme dont sont victimes les Noirs tunisiens dans leur propre pays ? Un groupe de Noirs tunisiens a décidé de se constituer en association afin de défendre

les droits des Noirs en tant que Tunisiens à part entière et non comme des «déchets» ou des «esclaves» comme beaucoup de «Blancs» (qui ne sont pas si blancs que ça finalement !) tunisiens le pensent dur comme fer.

Cette association, dont l’embryon s’est formé au cours de l’année 2011, s’appelle ADAM et fait son séminaire d’ouverture, aujourd’hui, mardi 12 juin 2012, à 17h00 à la maison de la Culture Ibn Khaldoun de Tunis. Rencontre avec Taoufik Chairi son président…

Pourquoi l’appellation ADAM pour l’association que vous présidez ?
ADAM est un symbole. L’humanité a une seule origine. On est tous descendants d’Adam. Et parler de race est une aberration. Il y a une seule race humaine. C’est un esprit malveillant, colonialiste qui est à l’origine de ce mensonge monumental.

Quelle est la catégorie de personnes ciblées par cette association ?
Notre action vise à permettre à tous les Noirs en Tunisie de vivre dignement, jouir du respect, ne pas se sentir diminué à cause de la couleur de sa peau. Vivre pleinement sa couleur de peau comme diversité en Tunisie et non pas comme handicap produisant une gêne, une anomalie à supporter, un statut de deuxième rang à cacher, voire à oublier.

Notre action vise également les étrangers résidant en Tunisie, venant des pays subsahariens, victimes souvent d’agressions racistes; étudiants ou fonctionnaires d’organismes internationaux. Les respecter constitue  une règle de bienséance (surtout pour un pays touristique), et, économiquement parlant, un soutien important à notre économie.

Un rapprochement de notre pays, voire une ouverture sur l’Afrique subsaharienne, choix judicieux et obligé, dicté par la conjoncture économique internationale,  passera inéluctablement par l’amélioration de l’accueil qui est réservé à ces populations.  

Pourquoi cette catégorie ?
Commençons tout d’abord par développer chez les Noirs le sentiment de dignité : origine de tout équilibre psychologique et social, moteur de toute énergie positive et créatrice. C’est un droit.

Rappelons également que les Noirs constituent une minorité importante, peut-être la minorité la plus importante (faute de statistiques précises) dans notre pays.

Développer le pays, soutenir l’essor des régions marginalisées, et des populations laissées à l’abandon depuis des décennies constitue un axe majeur des politiques des gouvernements à venir, de leurs choix et orientations pour développer le pays et assurer l’équité et l’égalité.

Promouvoir ces zones, ces agglomérations est un enjeu économique et social de grande importance et s’inscrit dans la concrétisation des objectifs de la révolution.

A quelles personnes s’adressent ADAM ?
Eradiquer le racisme est la responsabilité de tous. Aucun n’est excepté de participer à ce combat.  Les responsables de l’Etat occupent la première place à devoir agir contre toute forme de discrimination, mettre en relief et fixer le modèle social, encourager à l’ouverture, l’harmonie au sein de la société, et prendre des mesures concrètes.  

Les intellectuels, les démocrates et les chercheurs sont également appelés à soutenir cet effort national en contribuant à dissiper les amalgames, mettre au clair notions, concepts, vérités et valeurs qui animent notre société, et repositionner les repères pour notre société.

Toute la société civile, par son élan solidaire, sa lutte continue pour la dignité de l’Homme, son combat pour une meilleure qualité de vie dont bénéficient tous les citoyens, d’une manière équitable. Les éducateurs, les parents, à qui revient la tâche primordiale d’encadrer les enfants, de leur inculquer les valeurs justes de la société.

Les Tunisiens sont-ils racistes ? Pourquoi ?
Malgré les déclarations de certaines gens, qui s’efforcent à en camoufler l’envergure, ce phénomène est répandu d’une manière alarmante surtout et paradoxalement, au sud du pays, là où vivent les grandes populations noires. On constate, avec beaucoup de chagrin, le mal de vivre des citoyens de peau noire. Cloîtrés dans des faubourgs, vivant marginalisés, et en dehors de toute réelle participation à la vie économique du pays. C’est la discrimination organisée !

Sur le plan social, les rapports très rapprochés (surtout rapport de mariage) ne sont pas chose courante, ou appréciés par les Blancs ou Noirs. Dans la rue (parfois même à la TV), les propos racistes proférés à leur encontre se conjuguent au quotidien. «Oussif retourne chez toi !», clament encore des gens !

Avez-vous des exemples à nous donner ?
Les exemples ! Est-il suffisant de rappeler que notre paysage médiatique ignore l’existence de ces populations, totalement oubliés aussi, ou écartés du système politique. Où trouvez-vous des élus noirs, ou des gens haut placés dans les postes de direction, en administration ou en affaires ?

Ignorer les plaintes et recours déposés pour dénoncer des actes racistes ne relève-t-il pas de la sous-estimation de ces gens. La Police et l’appareil judiciaire ont du pain sur la planche ! Bafouer leur droit à la dignité et au respect constitue l’agression et le déni le plus poignant.

Ne pensez-vous pas que ADAM risque de choquer ? Pourquoi ?
A l’annonce de sa constitution, les avis divergent. Les positions contradictoires, exprimées aussi bien par les «Blancs », que par les «Noirs», nous éclairent sur le long travail qui nous attend. Ceux qui reconnaissent le phénomène s’en félicitent et trouvent normal qu’on en parle. Mais Blancs et Noirs, réticents sinon récalcitrants, y trouvent un appel à la discorde, et c’est là que nous comptons focaliser notre action.

Notre action en faveur de l’harmonie et la compréhension au sein de la société, notre démarche visant à rejeter toute démarche communautariste, à chercher à approfondir le sentiment de cohésion sociale et d’appartenance à notre pays et le développement économique et social de tout le pays sont les moteurs de notre œuvre et passion.

Quelles serait la réaction d’ADAM si on venait à lui mettre des bâtons dans les roues ?
Une telle réaction ne nous surprend pas. Le chemin est, certes, semé d’embuches. Nous sommes vigilants et déterminés. La cause est juste et devrait être saluée. Nous comptons sur l’intelligence de tous les gens libres, démocrates et ouverts, passionnés par la cause et non adeptes de récupération politique pour nous soutenir.

Les Noirs ont-ils vraiment leur place en Tunisie ? Pourquoi ?
Ils constituent un poids, ne serait-ce que par leur nombre. Ils auront, au bout du chemin, la place qu’ils méritent. Où sont passées les dizaines de diplômés, qui ont partagé les bancs de l’université avec leurs camarades «blancs» ? Pourtant, ils ont prouvé les mêmes compétences. Tous les Noirs sont appelés à être encore plus actifs et s’investir davantage pour améliorer l’image du Noir en Tunisie.

Si vous aviez la possibilité de vous exprimer à l’Assemblée Constituante, que demanderiez-vous ?
Dans la Tunisie nouvelle, d’après le 14 janvier, après le soulèvement pour la dignité et l’équité, il est indigne de continuer à laisser le sentiment d’être sous-estimés peser sur les populations noires. Il est grand temps de promulguer les lois pour alléger une souffrance encore palpable. Tout un dispositif  réel et efficace doit être mis en place pour sanctionner  toute agression à caractère racial.

Récemment, il a été dit que des personnes de couleur auraient de hauts postes. Qu’en pensez-vous ?
Ceci ne résout nullement le problème. On s’attend à une approche plus approfondie où l’implication de tout le gouvernement est requise. Il s’agit d’un problème de développement économique et social. D’un autre côté, le développement des mentalités relève de l’action  culturelle et de l’éducation. Reconnaître l’histoire, l’origine de ces populations pourrait être revu dans le cadre de recherches et études universitaires. Il est impérieux d’apaiser, de rendre confiance aux Noirs en eux-mêmes pour impliquer toutes les énergies pour le développement du pays.

Propos recueillis par Charm ATA