Tunisie : La situation de l’école pousse-t-elle au désespoir ?

Tunisie : La situation de l’école pousse-t-elle au désespoir ?

 

Le ministère de l'Education est chargé de garantir le droit à l'instruction et à la formation de tous les Tunisiens et de toutes les Tunisiennes. Le budget en 2016 s’élève à 4 525 millions de dinars (+18% par rapport à 2015). Ce secteur qui reçoit actuellement plus de 7,5%du PIB voit son  budget annuel augmenter en moyenne de 10 % chaque année.  

On compte aujourd’hui en Tunisie 4544 écoles primaires et 1392 établissements secondaires (associant collèges et lycées). Du côté du secteur privé, en décembre 2014 : 191 écoles privées et 312 collèges et lycées. Les régions subissent des disparités qui progressent dans le cursus scolaire.

La Tunisie dispose aujourd’hui de 13 universités, de 195 établissements publics et 47 privés, tous inégalement répartis sur le territoire, puisque seuls 8 des 24 gouvernorats disposent d’une ou plusieurs universités. Tunis est le gouvernorat le plus florissant en matière d’universités, d’instituts et d’écoles publiques ou privés, et offre un large panel de filières.

Depuis l’indépendance, la stratégie nationale de l’éducation a toujours lié l’instruction au progrès social. À partir des années 80, cette vision n’a plus collé à la réalité. Pis encore, l’enseignement, surtout à l’université, est devenu synonyme de chômage et de lourd fardeau financier pour la famille. Cette réalité influence considérablement le moral des élèves qui décrochent de l’enseignement public et préfèrent (pour ceux qui ont les moyens) les institutions privées. En plus, avec les transformations du marché du travail et leur inadéquation avec un système d’éducation usé et mal réformé, l’absence de considération vis-à-vis du savoir et de l’éducation, à leur juste valeur, n’a pas aidé à améliorer la situation.

Des données inquiétantes

Selon le ministre de l'Education, Néji Jelloul, la situation actuelle de l'école tunisienne pousse au désespoir et au pessimisme.

On s'approche, aujourd'hui, du cap d'un million de jeunes désespérés. Les chiffres sur le décrochage scolaire, font honte dans un pays où l'enseignement est obligatoire, 100 mille élèves dont six mille du cycle primaire ont abandonné  les bancs de  l'école.

Selon les données fournies par le ministère de l'éducation, 360 mille enfants âgés entre 6 et 18 ans ne sont pas scolarisés. 60% des élèves scolarisés abandonnent volontairement l'école contre 40% renvoyés suite à l'application de la loi.  L'absentéisme des enseignants constitue un phénomène inquiétant mais il est inadmissible de voir celui qui œuvre à créer l'intelligence croupir au bas de l'échelle de la rémunération de la fonction publique.

Depuis la rentrée de septembre 2014, les collégiens et lycéens du pays vivent au moins une fois par mois au rythme des grèves organisées par le syndicat de l’enseignement secondaire dont Lassaad Yaacoubi est le secrétaire général. Généralement suivies à plus de 90%, elles pénalisent en premier lieu les élèves, qui sont touchés par cette paralysie temporaire des cours. Ce sont surtout les enseignants qui sont au cœur du débat rémunération et conditions de travail et non les réformes requises pour sortir le système éducatif de cette crise mortelle.

Ces grèves successives, sont le signe des échecs aux négociations et la crise profonde qui touche le secteur.  Vendredi dernier, le ministère de l’éducation et le syndicat général de l’enseignement secondaire sont arrivés à un accord concernant les points de litige qui les oppose. Espérons que c’est un premier pas vers une école apaisée.

Des réformes nécessaires

Une école Tunisienne qui connait de graves problèmes. Il est temps d'offrir une autre alternative en la transformant en profondeur pour qu’elle soit le ferment d’une société qui tourne le dos à l’individualisme, l’égoïsme et la loi du plus fort. Cela ne se fera pas tout seul.

D’abord, celui de l’argent : L’État, qui consacre déjà 4 525 millions de dinars  par an à l’éducation dans son ensemble ne peut suivre indéfiniment cette augmentation sans remettre son équilibre budgétaire en cause. De leur côté,  les parents trouvent que les études leur coûtent déjà trop cher et sont pourtant appelés à payer davantage dans les années à venir. Souvent, les familles  s'endettent pour que les jeunes fassent des études et puissent, en retour, les aider. Mais aujourd'hui, par manque de débouchés professionnels, les jeunes reviennent au contraire comme charge supplémentaire. Ils sont obligés de faire des petits boulots non qualifiés pour survivre ou être chômeur de longue durée. Le retour vers la famille est alors vécu comme une humiliation, un échec personnel. C'est presque une mort sociale.

Ensuite, celui de la qualité et de l’adaptation des formations.  Le nombre de diplômés du supérieur, qui a déjà doublé au cours des dernières années, ira crescendo, pour atteindre plus de 100 000 à l’issue de l’année universitaire 2014, contre 64 000 en 2008 et seulement 5 000 en 1988. Il va falloir leur offrir d'une part des choix de formation mieux adaptés à leur profil et d'autre part répondre aux besoins futurs du marché de l’emploi en Tunisie et à l’étranger, notamment dans les pays africains et du Moyen Orient. Il faut développer des liens de coopération Sud-Sud bénéfiques aux différents partenaires.

Et enfin, une école citoyenne solidaire : C’est une école au service d’une société juste et qui construit l’indispensable mieux vivre ensemble. Et c’est bien ce dont nous avons particulièrement besoin aujourd’hui, à l’heure où la société se délite sous les coups de boutoir de l’argent-roi, du profit à outrance et du chacun pour soi. L’école publique doit aussi contribuer à la prise de conscience des élèves citoyens. Si l’école publique devait toujours être le lieu où l’on apprend les « fondamentaux » – lire, écrire et compter –, sa mission civique doit être aussi de former des citoyens libres et éclairés qui sauraient faire prévaloir les exigences de la raison et de la conscience contre toutes les idéologies discriminatoires, ethniques, intégristes qui portent la haine et la guerre dans leurs fondements.

Dans « Comment je vois le monde », Albert Einstein écrivait:

« Chers enfants ! Pensez bien à ceci : les choses admirables que vous apprenez à connaître dans vos écoles sont l'œuvre de nombreuses générations, créée dans tous les pays de la terre au prix de grandes peines et d'efforts passionnés. Tout cela est déposé entre vos mains comme un héritage, de manière que vous le recueilliez, que vous le vénériez, que vous le développiez et que vous le transmettiez un jour fidèlement à vos enfants. C'est ainsi que nous, mortels, nous sommes immortels dans cette chose que nous créons en commun, contribuant à des œuvres impérissables. »

Le débat est ouvert à tous alors que la rentrée scolaire vient de démarrer, que vous soyez élèves, enseignants, parents, responsables d'éducation, intervenants dans le domaine, ou syndicalistes, apportez votre contribution pour que l'école devienne un lieu d'éducation à la citoyenneté au sens large du terme et un lieu d'épanouissement de l'individu au profit de l'intérêt général du pays.

 

Abdessatar Klai

15/09/2016

 

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