Tunisie: Une vulnérabilité macro-économique aux causes multiples

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En suivant la conjoncture économique depuis 2011, il serait utile de faire le point pour rappeler que la vulnérabilité macro-économique actuelle est le résultat non-seulement de deux décennies de navigation à vue, de récession européenne en 2011, mais aussi de choix budgétaires et monétaires du lendemain du 14 lors d’un marasme sociopolitique exacerbé.

Analyser alors les manœuvres de politiques macroéconomiques actuelles en dehors de ce contexte, serait à notre sens réducteur et ne mènerait point à des alternatives viables.

Dans ce contexte, l’aspect portant politique monétaire et budgétaire, ainsi que celui relevant de la gestion du régime de change dans l’accord de confirmation a suscité notre intérêt pour apporter un éclairage supplémentaire sur quelques unes de ses dimensions.

1.Position du problème

Sans revenir sur les mesures de politiques macroéconomiques précipitamment prises en 2011, que ce soit par des autorités budgétaires, ayant préféré l’accalmie sociale en optant pour des transferts sociaux manquant de ciblage, ou de la part de la BCT, ayant préféré le sauvetage du système bancaire désarmant, par l’occasion, la politique monétaire ; annulation du taux de réserves obligatoire et la révision du  taux directeur à son plus bas niveau historique.

Par ailleurs, étant totalement indépendante, la BCT a procédé, de manière discrétionnaire, par un changement dans la gestion du régime de change le rendant ainsi plus ‘’ souple’’ de telle sorte que la valeur du dinar se détermine essentiellement en rapport avec le taux interbancaire de change de devises. Notons enfin que la fragilité institutionnelle était aussi le résultat de défaut de coordination entre autorités monétaire et budgétaire.

Résultat: des tensions inflationnistes, élévation des créances compromises, des tendances à l’élargissement du déficit commercial et une croissance négative vers la fin de 2011.

Dire que ‘’si ces mesures n’avaient pas été prises, la situation aurait été pire’’, serait une méthode à soubassement scientifique faisant défaut et encore inutile quand des alternatives structurées ne sont jusqu’alors pas présentées.  Mais aussi, il ne faudrait pas imputer cette contreperformance aux seules politiques macroéconomiques.

En effet, les frictions politiques affectant le climat des affaires, les grèves non justifiées, car souvent à connotation politicienne, paralysant les activités clefs de l’économie : Phosphate, Chimie et Services, et les stratégies de communication confuses menées par tous les partenaires sociaux n’étaient et ne sont pas sans affecter la situation économique.

Or, l’un des défis économiques et sociaux majeurs à soulever est la conciliation entre l’objectif macroéconomique de court terme, consistant en les équilibres globaux et la stabilisation des prix, et l’objectif de moyen terme, comprenant la création de l’emploi par le passage à un palier de croissance supérieur. Notons que pour le moment, l’un ne peut se réaliser qu’aux dépens de l’autre eu égard à la structure de l’appareil productif hérité, qui a déjà atteint ses limites,  et aussi au défaut de rente pétrolière ou d’autres sources. Par ailleurs, les revendications sociales systématiques observées en Tunisie, comme si une révolution engendrant des coûts inévitables n’avait pas eu lieu, rend les tentatives d’une telle conciliation de plus en plus inenvisageables.

Dans ce contexte de dilemme entre le court et le long terme, se pose l’exigence d’élargir l’espace fiscal dans les limites du possible dans la perspective de se doter de plus de marge de manœuvre dans les choix budgétaires.

Ceci est dans la perspective mobiliser et d’orienter plus de  ressources publiques vers les dépenses de développement pour entrainer l’investissement privé (domestique et étranger) créateur de richesse et d’emploi.  L’augmentation de la part des dépenses de développement dans les choix budgétaires ne peut se réaliser que sur le compte des dépenses courantes de fonctionnement (Salaires, transferts sociaux, subventions indirectes, …).

Certainement, la réforme de l’administration fiscale aurait pour le moment la prérogative de rendre le système de contrôle et de drainage des recettes fiscales plus rentable. Ceci est du côté des recettes fiscales et pourrait se réaliser dans le court terme. Si ceci n’est pas pris en compte, nous ne voyons pas beaucoup de solutions pour passer dans le moyen terme à un nouveau palier de croissance, générateur d’emploi ; soit la préoccupation de tous les tunisiens.

Se pencher seulement sur les limites que pourrait suggérer cette démarche sans apporter des alternatives viables, ou se fixer vainement sur ‘’l’efficacité de la politique monétaire’’ par rapport à celle budgétaire pour expliquer la relance, déjà prétendument mitigée, ou aussi brosser inconditionnellement un tableau noir (ou aussi fournir l’éloge d’une réussite non encore ressentie par le citoyen lambda), de manière manquant de professionnalisme, serait à notre sens inutile, si ce n’était superflu. Nous souhaiterions à ce propos que les débats délogent le champ du diagnostic que les tunisiens en ont eu assez, pour passer aux solutions.

Ainsi, dans le but d’assoir les piliers d’une croissance inclusive tout en consolidant la gestion macroéconomique de régulation conjoncturelle (de court terme), la Tunisie, passant par des difficultés économiques immanentes à la transition, s’est vue lors de la rencontre de Deauville,  soutenue par plusieurs institutions financières internationales à des conditions avantageuses, telles que la BM comme fiduciaire, avec l’accord sur le Programme d’Appui à la Relance (PAR) dans sa troisième phase (500 M$), le Fonds d’Appui à la Transition des révolutions arabes, adressé à six pays (la Tunisie, la Lybie, l’Egypte, le Yémen ainsi que la Jordanie et le Maroc) (avec un montant global de 165M$ ), et aussi de l’accord de confirmation avec le FMI ( le Stand-by- Arrangement, SBA), venant soutenir les réformes de consolidation des politiques macroéconomiques adoptées d'un montant de 1,75 milliard de dollars US (équivalent à environ 1,14 milliard de DTS, soit 400 % de la quote-part de la Tunisie au sein du FMI ).

Ceci est malencontreusement en dépit du peu de volonté locale à accroitre la richesse en courant plus de risque et en se remettant au travail à plus grande échelle, et de la quasi-absence de contribution nationale pour soutenir financièrement la transition.
C’est ainsi que Directrice Générale du (FMI) a déclaré à Washington le 19 courant que le ‘’SBA, une fois approuvé par le Conseil exécutif, serait à soutenir le programme économique des autorités visant à préserver la stabilité budgétaire et extérieure, en favorisant une croissance plus forte et plus inclusive, et de traiter les vulnérabilités critiques du secteur bancaire’’.

Nous concernant ici, les mesures de politiques macroéconomiques adoptées par les autorités tunisiennes, dont la mise en œuvre est présentée comme contrepartie à cet accord pourraient à se prêter à confusion.

2.Une meilleure affectation des dépenses publiques sous-entend-elle le gel des salaires ?

Non. La rationalisation nécessaire des dépenses publiques dans la perspective d’une augmentation de la part des dépenses de développement surtout régional ne devrait pas être cristallisée dans  le seul gel des salaires, au vu du poids des négociations sociales qui s’en est avéré un déterminant fondamental. Mais, du point de vue budgétaire, en ciblant davantage le recrutement dans la fonction publique à travers la réforme de l’administration en la rendant plus productive, il faudrait préciser que c’est le taux de croissance de la masse salariale qui devrait diminuer au fil des années et non son niveau. Ceci est pour accroitre le taux de croissance des dépenses de développement.

Quant au rétrécissement de la composante budgétaire dédiée aux transferts  sociaux et aux subventions, c’est dans le sens d’un meilleur ciblage qu’il faudrait le percevoir sans que ce soit aux dépens des véritables nécessiteux. Cette démarche permettre d’éviter de mettre fin à la dilapidation de l’argent publique pour consacrer plus de fonds aux investissements surtout dans les régions défavorisées et de soutenir la restructuration des institutions bancaires publiques, oh combien sont-elles dans le besoin urgent de reconstruction pour une meilleure gestion des fonds propres, de meilleures stratégies contre les risques, de meilleur rôle dans le financement de l’économie, de meilleures aptitudes à faire réussir les politiques monétaires,…

3.Une politique monétaire prudente est-elle contradictoire avec le besoin des banques en termes de liquidité ?

De tels raccourcis intellectuels, en plus de leur aspect réducteur, ne sont pas nécessairement corrects. En effet, la prudence de la politique monétaire n’est pas synonyme de restrictions quelconques. Elle signifie l’adaptation continue à la conjoncture du marché monétaire via des mesures correctrices ciblant la stabilisation. L’aspect prudentiel de la politique monétaire est loin de se cantonner dans la seule dimension  de gestion de la liquidité des banques passant par des difficultés.

Actuellement la nouvelle politique monétaire mise en œuvre depuis quelques mois se résume par de nouvelles mesures détaillées, articulées autour du taux interbancaire, du corridor, des opérations d’Open-Market et du contrôle de la liquidité.

Ces mesures ont pour but (1) de récupérer d’abord et de manière séquentielle les marges de manœuvre de la politique monétaire écourtées depuis janvier 2011 jusqu’à mi-2012, (2) de poursuivre le soutien du système bancaire par une batterie de nouvelles mesures rendant la liquidité disponible de manière permanente, mais avec un rôle plus actif du marché monétaire,(3) de veiller à la maitrise de l’inflation dans sa composante monétaire, (4) d’institutionnaliser la coordination avec les autorités budgétaires sans que son indépendance soit altérée.  Ceci est à notre sens facilement observable, en dehors de toute évaluation de l’efficacité de l’actuelle politique monétaire. (Ceci pourrait faire l’objet d’un autre article).

Enfin, il est à souligner est que la restructuration urgente des banques publiques d’une part et la seule politique monétaire sont deux catégories à ne pas mélanger. La première a trait aux réformes de l’ensemble du système bancaire qui demanderait un délai plus long que pour la deuxième dont les effets devraient être obtenus plus tôt.

C’est dans le cas d’activation des nouvelles mesures envisagées par la BCT qu’une politique prudentielle ne contraste pas avec sa mission de rendre disponible la liquidité aux banques. Dans ce cas, son efficacité serait celles de ses mesures.

4.Une plus grande flexibilité du taux de change serai-elle nécessairement synonyme de dépréciation du dinar ?

Evoquer la  ‘’flexibilité’’ du taux de change sans se tenir au langage dominant pourrait conduire les interprétations vers l’imprécision. En effet, dans la presse, souvent ‘’ flexibilité’’ est confondue à ‘’ souplesse’’, ‘’régime’’ est confondu à ‘’taux de change’’, ‘’ réformes macroéconomiques de court terme’’ à ‘’ Plan d’ajustement structurelles’’. Et c’est un abus de langage.

Par ailleurs, en Tunisie le régime de change, qui est un package de mesures visant à déterminer en dernière instance le profil de l’économie vis-à-vis du reste du monde, n’est pas flexible pour qu’on puisse en parler de plus grande ou plus faible. L’évolution de la valeur du dinar n’est pas due à sa seule forme décrétée. Mais quand les outils du régime de change ne sont pas efficacement déployés, on parle d’inefficacité de la politique de change ; inefficacité observée dans l’instabilité du dinar, sa dépréciation malvenue,… avec ses conséquences défavorables sur le solde commercial, les réserves de change dans des circonstances particulières. D’ailleurs, c’est ce qui s’est produit l’année dernière où le glissement du dinar, dû à plusieurs raisons que nous avons explicitées dans notre article in Leaders du 14-10-2012, a dépassé pour la première fois la barre de 2DT/€.

Depuis le milieu de l’année 2011, la BCT a, comme indiqué plus haut, modifié partiellement la nature du régime de change vers plus de flexibilité sans que ce devienne un véritable régime flexible, car le compte capital n’est jusqu’alors pas ouvert. En effet, le taux est désormais déterminé majoritairement sur la base du taux interbancaire de change assorti d’interventions indirectes de stabilisation sur ce marché.

La BCT essaie actuellement d’atténuer le risque en provenance de cette ‘’flexibilité’’ en déployant d’autres mesures accompagnatrices dans le sens d’une meilleure stabilité de change.  C’est ainsi que de nouvelles mesures de gestion du régime de change ont été aussi implémentées visant sa stabilité, mais aussi la compétitivité d’une économie dont la compétitivité hors-prix fait encore défaut. Delà à se précipiter vers la conclusion d’une dépréciation systématique suite à ‘’ plus de flexibilité du taux de change’’ serait hors-contexte.

L’efficacité de la politique de change revient à celle des instruments implémentés pour la réalisation de ses objectifs, i.e ; la stabilisation du taux de change, celle des réserves en devises, mais essentiellement celle de la structure de la balance des paiements.

Cependant, quand l’accord est définitivement confirmé ; i.e, la somme de 1,75 milliard de dollars US, une fois tirée, pourrait supporter la devise à disposition et soutenir par là même la stabilité du dinar par rapport à l’€ et le $. Mais plus important serait la possibilité de faire face aux chocs extérieurs en provenance surtout de la récession européenne, accroitre le capital-confiance auprès des institutions financières internationales mais aussi contribuer à l’amélioration de l’appréciation des agences de notation qui commenceront à visiter la Tunisie début mai 2013.

En somme, loin des positions idéologisées et dépourvues d’alternatives viables, et en dehors des discours passionnés, l’accord de confirmation Tunisie-FMI pourrait être vu selon l’angle rationnel, permettant d’alléger les difficultés d’arbitrage auxquelles l’actuelle économie tunisienne est affrontée. Le fond de l’Economique est de procéder à des arbitrages et non de se baigner dans un espace euclidien qui n’a jamais existé, pour reprendre les propos de Keynes en s’adressant aux classiques lors de la crise économique de 1929.

Par Ali Chebbi,
Professeur d’Economie aux Universités Tunisiennes