Abdelmajid Mselmi: « Al Joumhouri a explosé et l’UPT est mort cliniquement »

Abdelmajid Mselmi: « Al Joumhouri a explosé et l’UPT est mort cliniquement »

Le départ du militant Abdelmajid Mselmi, connu pour être un fidèle compagnon de route d’Ahmed Néjib Chebbi, d’Al Joumhouri et son intégration rapide au Front Populaire a ouvert la porte à de nombreuses spéculations.Pour y voir plus clair et connaître les raisons de son départ et les motivations qui l’ont poussé à choisir de rallier très vite le Front Populaire, Espacemanager a interviewé le Docteur Abdelmajid Mselmi :

Espacemanager : Après tant d’années de militantisme au sein du PDP puis au sein d’Al Joumhouri, qu’est-ce qui vous a poussé à quitter le navire de votre compagnon Ahmed Néjib Chebbi ?

Abdelmajid Mselmi : Après une longue réflexion, je suis arrivé à la conclusion que le parti Al Joumhouri a échoué à construire une force politique démocratique  et  populaire après la révolution et ceci en dépit de sa grande notoriété et sa popularité. Cet excellent positionnement a été acquis grâce à la lutte et à la combativité de ses militants contre la dictature.

Ce capital sympathie d’un des plus grands partis qui a lutté contre le régime de Ben Ali n’a pas été traduit lors des élections puisque le PDP qui était censé être la deuxième force politique du pays, a subi un cuisant échec ?

 L’échec lors des élections du 23 octobre et l’échec par la suite dans le rassemblement des forces démocratiques au sein du parti  Al Joumhouri  ont illustré le malaise. Le parti n’a pas cessé de perdre son positionnement et sa notoriété. Et malheureusement Al Joumhouri n’est plus, à l’heure actuelle, qu’un  petit parti dont l’avenir est incertain.

A quoi cela est-il dû ?

Cette décadence d’un parti qui était très populaire vers un parti affaibli est due à une série de choix politiques erronés et à une gestion organisationnelle défaillante. Malgré tout cela la direction du parti continue sa bonne route en clamant que tout va bien et qu’elle a toujours raison. J’ai essayé de changer les choses mais j’ai compris que la majorité de la direction veut continuer dans la même voie. J’ai préféré me retirer.

Pourquoi avez-vous décidé de quitter ce parti en cette période précisément ?

En fait j’ai gelé mes activités au sein du parti Al Joumhouri depuis le mois de janvier en espérant que les choses pourraient changer mais en vain. Entretemps les choses ont empiré au niveau de la gestion. Le parti a par exemple décidé de façon unilatérale de quitter l’union pour la Tunisie (UPT) puis le front de Salut et finalement le bloc Démocratique. J’ai considéré que c’est une démarche isolationniste qui isole le parti de sa famille naturelle, la famille démocratique. D’autre part et après la nomination de Mehdi Jomâa comme chef de gouvernement par le dialogue national, la direction du parti a refusé cette nomination (elle tenait à l’époque à la candidature de Ahmed Mestiri).

Le parti s’est isolé en prenant des décisions surprenantes. En accusant par exemple la direction de l’UGTT de passer un pacte avec Enahdha et en décidant de boycotter  le dialogue national (je pense qu’ils ont un remords surtout après le dernier vote de la conférence du dialogue national). En somme, durant cette période de recul, j’ai constaté que les prises de positions du parti sont incohérentes, réactionnelles et précipitées.Elles n’obéissent pas aux impératifs de la sagesse, la lucidité et la responsabilité. En outre, j’ai constaté que le parti n’a plus de projet politique ou socio-économique pour le pays.

Le souci majeur de sa direction est devenu le positionnement du parti pour servir la candidature présidentielle.

Ce qui explique d’ailleurs, les changements de positionnement du parti qui a quitté la famille démocratique  (Al Joumhouri est fondateur de l’UPT) pour se tourner vers Ennahdha à la recherche  d’un soutien quelconque.

Dans ce sens, de nombreux observateurs ne comprennent plus rien de ce changement de positionnement du parti qui s’est transformé d’un opposant farouche d’Ennahdha à un éventuel allié et d’un allié de Nida Tounés à un « ennemi ».

Certains estiment qu’il est normal que les positions changent en politique ?

Oui je sais. Certains considèrent cela comme de la tactique politique, mais pour moi c’est de l’opportunisme politique.

« Le pays ne serait pas arrivé à pareille situation si le PDP avait participé au gouvernement»

 

Pourtant vous-même, vous avez défendu l’idée de vous allier avec Ennahdha après les élections du 23 octobre 2011. Vous étiez contre la décision de Néjib Chebbi de positionner le PDP à l’opposition. A l’époque vous pensiez que ce parti pouvait mieux servir le pays en s’alliant avec les autres partis qui ont gagné les élections ?

Oui, j’ai défendu la thèse de participer au gouvernement d’union nationale avec Ennahdha, Ettakatol, le CPR et le PDP en espérant renforcer ce gouvernement avec des partis comme Ettajdid, Afek Tounes ou même des partis la gauche. J’ai défendu cette thèse pour deux raisons principales : La 1ére, c’est de concrétiser la théorie du bloc historique énoncée par Antonio Gramshi dans les années 1940 (un communiste italien) et remise à l’honneur par des théoriciens arabes (Aljabiri).

Le bloc historique de l’opposition tunisienne s’est formé lors du mouvement du 18 octobre 2005. Il a réuni  des libéraux, des gauchistes, des islamistes …. Il avait pour tâche historique d’évincer la dictature et d’instaurer la démocratie. Lors des élections du 23 octobre, les forces qui ont combattu la dictature et qui ont soutenu la révolution étaient majoritaires au sein de l’ANC. C’était logique pour moi que le bloc historique continue sa tâche sous forme d’un gouvernement d’union nationale qui assure la  réussite de la période transitoire et particulièrement l’élaboration de la Constitution sur la base  des accords du 18 octobre.

La 2ème raison c’était d’éviter de laisser Ennahdha gérer à elle seule l’Etat car d’une part elle n’a aucune compétence pour cela et d’autre part ce mouvement est encore confus dans ses choix démocratiques. J’ai averti des risques de laisser Ennahdha gouverner tout seul et mettre la main sur l’Etat.

J’ai défendu bec et ongles l’idée que le PDP participe au gouvernement. Je l’ai fait par conviction parce que je savais que les partis de la révolution doivent être unis pour espérer réussir. J’ai passé l’intérêt du pays avant celui du parti, mais j’ai été sanctionné car j’ai exprimé publiquement mes opinions.

Vous persistez à croire que la transition démocratique aurait réussi si d’autres pays avaient tendu la main à Ennahdha pour gouverner le pays dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale ?

A posteriori, je pense toujours que c’était une faute politique majeure commise par la direction du PDP de ne pas renforcer le gouvernement de la révolution. Quand on voit comment  la Troïka a géré le pays ? Quand on se rappelle que le pays a failli basculer dans une guerre civile après les assassinats de feu Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, je suis plus que convaincu que la participation du PDP et d’autres forces démocratiques au gouvernement après le 23 octobre, auraient pu éviter au pays tant de problèmes ou même minimiser les dangers qui ont plané sur la Tunisie pendant les deux dernières années.

  « Le Front Populaire est la 3ème force politique »

 

Pourquoi avez-vous choisi d’intégrer le Front Populaire ?

Le  front populaire peut être considéré  comme étant parmi les rares réussites réalisées après le 23 octobre. Les militants de gauche ont bien assimilé  les leçons du 23 octobre et ont décidé de s’unir. Et depuis, le Front Populaire est toujours solide et de plus en plus ancrée dans les classes populaires. Ce qui a fait de lui, selon les sondages, la 3ème force politique dans le pays.

Ce positionnement est le fruit du travail de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, ainsi que Hamma Hammami et autres leaders qui ont su bâtir un Front qui rallie la souplesse dans les structures, la tolérance dans la gestion,  la rigueur et la fermeté dans la prise de positions politiques et au courage et à la combativité dans les batailles politiques.

Si l'on compare le Front Populaire à l’expérience d’Al Joumhouri qui a explosé au bout de quelques mois ou à l’UPT qui est en état de mort clinique, on ne peut que tirer chapeau bas aux dirigeants du front populaire. D’un autre côté, j’ai adhéré au Front Populaire car ce dernier  défend de façon ferme et sans ambiguïté  un programme social en faveur des classes populaires des régions de l’intérieur des jeunes sans emplois et des différentes couches marginalisées.

Il semble que vous avez été vite fasciné par la gauche ?

Etant moi aussi issu de la gauche tunisienne et militant pendant des années au sein de l’UGTT et la LTDH,  je considère que le front populaire se positionne comme la force progressiste la plus avancée dans le pays qui défend les libertés individuelles et collectives, les droits des femmes  et des minorités et des valeurs d’égalité de la dignité et de la  justice sociale.
 
La gauche tunisienne  a fait ses preuves durant des décennies dans la lutte pour les libertés et a mené un combat héroïque contre la dictature et a payé un lourd tribut de sacrifices  sous tous les régimes et les derniers en date sont les martyrs Belaïd et Brahmi. Elle constitue toujours un garant des libertés et de la démocratie dans notre pays.

Devant la bipolarisation de la scène politique entre une force islamiste conservatrice (Ennahdha) et une force libérale  ( Nida Tounes), l’émergence  d’un pole de gauche qui défend les classes populaires, les couches démunies et les régions de l’intérieur est une nécessité historique. Elle est davantage nécessaire devant l’accentuation du chômage la détérioration du pouvoir d’achat et  la dégradation des services de la santé publique de l’enseignement de la sécurité des services municipaux et des conditions de vie des populations en général.

Interview réalisée par B.M.H.