Achraf Ayadi: "Pour oser la rupture, il faut du courage politique et une réelle maîtrise des dossiers"

Achraf Ayadi: "Pour oser la rupture, il faut du courage politique et une réelle maîtrise des dossiers"

 

Le nouveau gouvernement tunisien tarde encore à voir le jour. Il semble que nos politiciens et décideurs politiques se sont mis d’accord à ne pas se mettre en accord. Les concertations autour de la composition du nouveau gouvernement de Elyess Fakhfakh, désigné par le chef de l’Etat  pour former le gouvernement n’ont pas abouti. 

Après la chute du gouvernement de Habib Jomli, c’est le tour de Fakhfakh de proposer un gouvernement. Mais voilà ! La mission devient beaucoup plus difficile que jamais surtout après avoir écarté le parti de Qalb Tounes du pouvoir. Une décision fortement contestée par le gouvernement Ennahdha. 

Pour discuter de ce blocage politique, les conflits entre les différentes formations politiques et leur impact, entre autres, sur l'économie du pays, nous avons intzer iewé Achraf Ayadi, expert bancaire et financier à Paris.

Espace Manager: En quoi les blocages politiques auxquels nous assistons peuvent-ils influer sur la marche de notre économie?

Achraf Ayadi: La difficulté de former un gouvernement accroît l’incertitude autour de l’environnement économique. Les investisseurs ne pouvant pas disposer d’une vision suffisamment précise des politiques fiscales et d’investissement de l’Etat, retardent leurs dépenses.

Ce qui est actuellement remarquable, c'est qu’avec des taux d’intérêts élevés, une épargne nationale insuffisante et la faiblesse des investissements publics, les locomotives de l’économie sont à l’arrêt. Il en va de l’attractivité du territoire tunisien.

L’Etat est-il en train de donner des indices de fragilité extrêmes inaudibles pour les politiques?

C'est évident, il n'y a qu'à voir l’exemple du système de santé public qui se vide de ses compétences suite à un mal à s’approvisionner en médicaments et à rembourser les affiliés. Il y a aussi l’exemple de l’administration publique qui enregistre des records de lenteur dans le traitement des services aux citoyens et des municipalités à qui on a donné plein de nouvelles marges de manœuvre sans les budgets qu’il faut, à l’administration centrale qui ne paie pas les fournisseurs dans les délais contractuels, les mettant en difficulté. 

Et c’est là le bât blesse. L’Etat et ceux qui sont aux commandes ne sont plus fiables. La classe politique est très focalisée sur les petites phrases, les revirements de positions, et la politique politicienne dégrade la confiance dans l’avenir.

Pensez-vous que, de nos jours, les sujets les plus complexes sont relegués au second plan?

Oui, les sujets complexes et très techniques, comme la relation avec les bailleurs de fonds internationaux ou la négociation de l’ALECA bénéficient d’une attention secondaire par rapport aux partages de postes ministériels.

Il faut rappeler que le Gouvernement mort-né de Habib Jomli comptait 42 ministres et secrétaires d’Etat. Pour un pays de 11 millions d’habitants, qui a besoin de trouver des solutions intégrées et transverses à ses problématiques économiques et financières, saucissonner les responsabilités sur autant de portefeuilles est une hérésie.

Quelles solutions préconisez-vous alors?

Nous avons besoin aujourd’hui d’une gouvernance resserrée, une rupture assumée avec l’économie de rente et une vraie volonté de réformer.

Il est également nécessaire de regarder le monde changer radicalement ses paradigmes productifs et accélérer la transformation des business models anciens sous le poids de l’innovation technologique. Mais pour oser la rupture, il faut du courage politique et une réelle maîtrise des dossiers. Nous cherchons des gouvernants qui puissent combiner les deux.

 
Propos recueillis par B.R.

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