Après l’adoption des amendements à la loi électorale : Batailles juridiques en vue ?

Après l’adoption des amendements à la loi électorale :  Batailles juridiques en vue ?

 

Il est bien naïf, celui qui croit que l’adoption par l’Assemblée des représentants du Peuple, des amendements à la loi électorale ait mis fin à la crise institutionnelle dans laquelle le pays est désormais plongée et qui risque de mener loin y compris vers des issues jamais imaginées.

Au-delà des questionnements légitimes sur la justesse ou non des amendements portés à la loi électorale, c’est surtout le timing qui pose problème puisque le texte a été soumis au Parlement et approuvé par lui à quelques jours de la date de dépôt des candidatures aux élections législatives dont la date est fixée au 6 octobre, selon le calendrier adopté par l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE).

En effet, c’est désormais une course contre la montre qui est enclenchée et qui sera ponctuée de batailles juridiques, lesquelles ne manqueront pas de donner du piment à la fin d’un mandat présidentiel et législatif que les Tunisiens voudraient voir se terminer au plus vite tant il a été synonyme de problèmes et de difficultés de tous genres.

Clivages politiques

Ayant donné lieu à un sérieux clivage au sein de la classe politique, on voit mal le texte approuvé par 128 députés (avec 30 contre et 14 abstentions) passer comme une lettre à la poste. D’ailleurs le nombre de députés ayant voté contre lui est suffisant pour qu’un recours pour inconstitutionnalité soit déposé auprès de l’Instance de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi.

Il suffit d’élaborer la pétition et d’y indiquer les raisons juridiques qui président à ce recours qui peut porter sur la forme comme du fond du texte adopté. Parmi celles-ci on met en bonne place, le fait que l’ISIE n’ait pas donné son avis même consultatif sur les amendements approuvés. Déjà une première liste où figurent les noms d’une douzaine de députés circule et il y a tout lieu de croire que la trentaine sera atteinte sous peu.

Le président de la République a le droit lui aussi de déposer un recours pour inconstitutionnalité auprès de l’Instance compétente en la matière. Les services concernés de la présidence doivent être en train d’étudier le texte en vue d’y trouver les lacunes, quand bien même la présidence ne souhaiterait pas s’impliquer dans un différend juridique, elle qui s’est toujours souciée d’être à égale distance de tous les protagonistes de la scène politique.

D’ailleurs Carthage sait qu’elle a aussi une autre arme, puisque le Président de la République peut renvoyer, en motivant, le projet de loi adopté pour une deuxième lecture et ce dans un délai de 5 jours à compter de l’expiration du délai de recours pour inconstitutionnalité. Pour être de nouveau adopté, le texte étant celui d’une loi organique a besoin de la majorité des trois cinquièmes de ses membres soit 132 députés, c’est-à-dire 4 de plus que le nombre qui l’a déjà approuvé en première lecture.

Dans le cas de dépôt de recours auprès de l’instance de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi qui doit se faire dans un délai de sept jours à compter de son approbation par l’ARP et ce quel que soit son initiateur, ladite instance dispose de dix jours qu’elle peut prolonger d’une semaine pour émettre son avis.

Pourquoi pas un référendum?

Si l’instance décide de censurer tout ou partie du texte qui lui est soumis, ce dernier est retourné au Parlement pour que les remarques de ladite instance soient prises en charge avant d’être transmis au président de la République pour être promulgué sous forme de loi de la République devenant ainsi exécutoire.

Mais à ce stade, le président de la République peut décider non de signer la loi mais de la soumettre à un référendum populaire en jugeant que les dispositions qui y figurent méritent d’être soumises au verdict du peuple dépositaire de la souveraineté.

En effet l’article 82 de la Constitution donne au chef de l’Etat le plein droit de la faire. Cet article stipule que « le Président de la République peut, exceptionnellement, durant les délais de renvoi, soumettre au référendum les projets de lois qui portent sur l'approbation des traités internationaux ou sur les droits de l'Homme et les libertés ou sur le statut personnel, adoptés par l'Assemblée des représentants du peuple. Le recours du référendum est considéré comme un abandon du droit de renvoi. Si le référendum aboutit à l'adoption du projet, le Président de la République le promulgue et ordonne sa publication dans un délai ne dépassant pas dix jours à partir de l'annonce des résultats du référendum. ».

Le président de la République dispose de ce droit puisque la loi électorale figure parmi les libertés et les droits de l’Homme qui peuvent constituer des domaines pour le recours référendaire. Evidemment, cela risque de renvoyer l’adoption si elle est décidée par le peuple souverain à plusieurs mois puisqu’il faut respecter toute une procédure pour la préparation et l’organisation du référendum ainsi que pour la proclamation de ses résultats.

Naturellement cela va chambouler le calendrier électoral et même conduire au report des élections législatives et présidentielles. Le président Béji Caïd Essebsi va-t-il prendre ce risque. Ce faisant le chef de l’Etat reprend la main et devient maitre des horloges. Il peut être tenté par une procédure même longue car elle lui permet d’imposer sa marque. Surtout s’il décide de ne pas se représenter à un second mandat, comme on le pense. Son souci serait dès lors l’intérêt supérieur de la nation et la préservation de la transition démocratique si tant qu’il pense qu’ils sont menacés. Alors que l’on s’achemine vers une fin de mandat qu’il sera appelé à subir, quelle revanche pour lui que de se retrouver comme maître absolu du calendrier.

Certains évoquent ses bons rapports avec Nebil Karoui et sa chaîne Nessma-TV pour croire que le président de la République ira jusqu’au bout pour mettre en échec des amendements de la loi électorale avec lesquels il ne serait pas d’accord. Le fera-t-il ? On ne peut l’envisager mais on ne peut l’exclure non plus surtout que des pays de l’Union Européenne, le principal partenaire de la Tunisie n’ont pas vu d’un bon œil ces amendements qui « risquent de mettre en péril le processus démocratique » comme l’écrit la presse française. D’autant que leur finalité est « d’écarter des candidats à qui les sondages promettaient un destin présidentiel », selon cette même presse.

Pas le bout du tunnel!

Néanmoins, même si les amendements finissent pas être validés d’une façon ou d’une autre, les Tunisiens ne seront pas au bout de leur peine. Puisque la mise en application du texte adopté posera problème tant il est susceptible d’interprétation restrictive ou extensive.

Cela revient au conseil de l’ISIE composé de neuf membres qui prennent leurs décisions à la majorité des membres présents. En l’absence d’une cour constitutionnelle, on peut s’attendre à tout. Mais même prises les décisions de l’ISIE sont susceptibles de recours auprès du Tribunal administratif en première instance et en appel.

Du reste le président de l’ISIE, Nabil Baffoun qui a exprimé le malaise de l’instance pour le timing de ces amendements a affirmé que le Tribunal administratif a dans la quasi-totalité des cas jugé les recours recevables cassant ainsi des décisions prises par l’ISIE.

On n’exclut pas d’ailleurs que les personnes visées à savoir Nebil Karoui et Olfa Terras aient pris les devants pour sortir du champ d’application des amendements approuvés. Nebil Karoui a d’ailleurs annoncé qu’il n’a plus aucune fonction dirigeante à Nessma-TV. En a-t-il dans l’association Khalil Tounes ? Peut-on lui reprocher d’être co-présentateur d’une émission de charité à la télévision. Quant à Olfa Terras, peut-on lui tenir rigueur d’être mécène et philanthrope si ce n’est pas elle qui est la dirigeante effective de l’association 3ich Tounsi.

Les amendements de la loi électorale, même justifiés viennent au plus mauvais moment. Ils risquent d’engager le pays dans une mauvaise voie qui n’est pas bonne pour les objectifs pour lesquels ils ont été envisagés.

En tout cas personne ne peut prédire où ils sont capables de conduire le pays. Espérons toutefois que la raison l’emportera et que les batailles juridiques auxquelles ils mèneront préserveront l’essentiel, c’est-à-dire le processus électoral d’une démocratie naissante.

RBR

Votre commentaire