"Béji Caid Essebsi, cordial mais un peu fou!"

"Béji Caid Essebsi, cordial mais un peu fou!"

 Le Président de la République Béji Caid Essebsi a accordé une interview à Jérôme Béglé le rédacteur en chef du journal en ligne Le Point Afrique qu'il a publiée mardi 5 mai sous le titre "conversation avec Béji Caid Essebsi". A 88 ans, écrit le journal, « ce vieux routier de la politique tunisienne doit relancer un pays marqué par 5 ans d’instabilité et une vague de terrorisme. »  

L’article a ajouté :

« Béji Caïd Essebsi est un homme cordial, mais un peu fou ! Il reçoit sans faste, mais avec attention et chaleur dans son palais de Carthage construit il y a quarante ans par Bourguiba. Un peu fou car, à 88 ans, cet ancien ambassadeur de son pays à Paris dans les années 70 et plusieurs fois ministre a accepté de se présenter à la présidentielle. À l'âge où l'on vit d'inaction, de rêves et de souvenirs, il se coltine le mécontentement de son peuple, la cruauté d'une crise économique et les dangers de l'islamisation d'un pays coincé entre l'Algérie et la Libye.

Lucidité et pragmatisme

Confronté à l'une des périodes les plus délicates qu'ait traversées son pays, il ne se berce ni d'illusions ni de mots... Sa première préoccupation concerne la Libye, ou plutôt les deux Libye... "Notre frontière sud dans le Sahara est perméable. Il nous faudrait beaucoup de moyens pour la rendre inviolable. Mais nous nous heurtons au désordre actuel du pouvoir libyen. Il existe un gouvernement reconnu par l'ONU à Tobrouk et un gouvernement de fait à Tripoli. Or, c'est dans cette Libye qu'ont été formés les trois terroristes qui ont attaqué le Bardo. C'est avec le pouvoir de Tripoli que nous devons discuter et j'espère nous entendre... Imaginez que selon une récente étude, les désordres en Libye nous ont coûté 5,7 milliards de dollars." Un casse-tête encore compliqué par la présence d'un million et demi de Libyens qui se sont installés chez leur petit voisin. Un choc économique et social pour un État de 13 millions d'habitants. Cet afflux a entraîné une hausse des prix des produits de première nécessité... Et un début de fronde sociale.

Établir un climat favorable

Depuis plusieurs mois, la Tunisie est confrontée à de fréquents mouvements sociaux attisés par la tentation de régler les comptes avec les sabras de l'ancien pouvoir. Sur cette question, Beji Caïd Essebsi adopte une posture gaullienne. "La révolution a eu lieu il y a quatre ans. Il est temps de tourner la page. Deux millions de Tunisiens avaient adhéré au parti politique de M. Ben Ali, on ne va pas les poursuivre ni les destituer quand ils sont fonctionnaires ! Ma priorité est d'établir un climat favorable à la reprise de l'activité économique. Nous avons besoin de stabilité et de paix sociale. C'est à cette unique condition que les investisseurs tunisiens et étrangers retrouveront le chemin de notre pays." L'ancien Premier ministre s'attache à ménager Ennahda (deuxième force du pays avec 69 élus au Parlement), qu'il qualifie de "parti musulman" et pas de "parti islamiste". "Nous sommes sur le point de réussir notre défi : faire fonctionner une Constitution civile pour un peuple musulman. Mais la démocratie, cela ne se décrète pas, cela se pratique." Une petite phrase où se mêlent l'espoir et le fatalisme...

Des défis importants

Ce disciple de Habib Bourguiba ne verse pas dans l'angélisme. "Aujourd'hui, nous sommes le seul pays arabe à avoir mis en place si rapidement le multipartisme, puis des élections totalement libres reposant sur une Constitution régulièrement adoptée", fait-il justement remarquer, avant d'énumérer les dangers qui guettent son pays.Le terrorisme est le premier d'entre eux. "Nous n'arrivons pas à le maîtriser totalement", concède-t-il. "Même si l'armée s'est lancée dans une vaste opération de sécurisation des montagnes, lieux de résidence, de replis, et de formation habituels des fauteurs de troubles endoctrinés.

 

Essebsi ne cache pas que les besoins de son pays sont immenses : "Nos besoins sont très supérieurs à nos moyens." Il loue la coopération avec l'Algérie, plaisante sur l'aide qui se fait attendre de la part des alliés occidentaux de la Tunisie : "Nous avons beaucoup d'amis, mais nous ne voulons pas les gêner par des demandes trop pressantes", lâche-t-il dans un demi-sourire... Autre (petit) point de friction entre la Tunisie et l'Union européenne : le déferlement de milliers de migrants qui chaque jour tentent de gagner l'Italie. "Beaucoup d'entre eux montent dans un bateau et téléphonent aux ONG", affirme Essebsi. En creux, il se montre dubitatif sur la stratégie déployée par les États européens pour venir à bout de cette crise. Il les invite à ouvrir une vaste négociation avec les pays d'origine de ces nouveaux "boat-people". Et de ne pas vouloir régler seuls un problème dont les enjeux les dépassent.

Il ne marque aucun signe de fatigue

Une heure s'est écoulée, Beji Caïd Essebsi qui fêtera ses 89 ans à l'automne ne marque aucun signe de fatigue. Il n'a jamais cherché ses mots, et a répondu avec précision à nos questions sans les éluder ni les travestir. Dehors, la canicule assoupit le pays. On annonce plus de 35 degrés à Tunis et près de 40 dans le sud du pays. Pas impressionné, le chef de l'État, qui porte un élégant mais épais costume sombre que rehausse une pochette blanche, s'apprête à quitter son palais de Carthage pour déjeuner en ville. Il épuise son entourage, enchaîne les dossiers épineux, reçoit beaucoup, lit quatre quotidiens français par jour, s'inquiète des soubresauts de son opinion publique et veut que la Tunisie rattrape d'ici quinze ans les pays développés. Sans hausser la voix ni gouverner à coup de mentons.... »