Beji Caid Essebsi dans de beaux draps

Beji Caid Essebsi dans de beaux draps

Le 13 août 1956, Bourguiba libérait les femmes. Soixante et deux ans plus tard, le Code du Statut Personnel (CSP) demeure un modèle à suivre pour le monde arabo-musulman, même si beaucoup reste à faire.

Cette année, le 13 août était une date exceptionnelle tant attendue par les tunisiennes et la société civile. On s’attendait que lors du discours du Présidant Essebsi, de nouvelles mesures pour faire progresser le statut de la femme et ses acquis soient annoncées après la remise du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) au Président tunisien.

Mais le président de la République s’est contenté d’annoncer une initiative portant sur l’égalité dans l’héritage, soulignant qu’elle doit être édictée par une loi dont le projet sera proposé prochainement à l’Assemblée des Représentants du Peuple.

Un héritage à la carte !

Le Président a souligné que l’héritier qui veut l’application des règles de la Charia (loi islamique) peut le faire et celui qui veut mettre en œuvre les dispositions de la Constitution peut également le faire. Une loi à la carte en fonction de ses croyances et de ses convictions. On peut comparer cette loi à une autre loi qui abolit la polygamie mais qui laisse à chacun selon ses croyances le libre choix d’épouser plus d’une.

Franchement on marche sur la tête. Tant de temps et d’efforts perdus, tant de divisions au sein de la société pour arriver là. Il aurait pu depuis le début de son mandat proposer un projet de loi à l’Assemblée des Représentants du peuple et que la loi aurait dû être votée depuis.  La montagne a accouché d'une souris. Il pouvait faire cette annonce depuis le début de son mandat où sa popularité était au zénith et sa légitimité était fraiche. Dommage ainsi on ne sera pas dans cette situation de blocage qui sert électoralement Ennahdha. Dire que la référence de l’Etat tunisien est religieuse est erroné, selon Béji Caïd Essebsi. Or à quoi on assiste quand on applique la charia pour l’héritage ?

La question qui revenait souvent ces derniers jours lors de mes discussions avec des Tunisiens est pourquoi il a tant attendu sans rien proposer pendant 4 ans. Pourquoi proposer cette loi qui divise à dix mois d’échéances électorales cruciales pour le camp progressiste ?

La Colibe passe à la trappe

Le Président a souligné que les propositions de la Colibe sont conformes à l’esprit de la Constitution. Or le reste du rapport est renvoyé aux calendes grecques. Aucune proposition sur les libertés n’est annoncée par le Président. Il avance l’argument de la non maturité de la société tunisienne et qu’il est le Président de l’Etat qui veut rassembler et non diviser. Et pour finir son show, le président de la République a décoré les membres de la Colibe, conduits par Bochra Bel Haj Hmida, des insignes de l’ordre de la République.  Vous avez bien travaillé, c’est un excellent rapport, ainsi je vous décore mais votre rapport restera dans mon tiroir !

Si on l’écoute, ce ne sera jamais le moment opportun pour lancer les réformes sociétales qui ne coûtent rien au budget. Je crois au contraire que c’est le moment, que les Tunisiens sont souvent bien plus progressistes et plus modernes que leurs politiciens actuels. Peut-on s’affranchir de l’interprétation rigoriste et littéraliste du texte coranique et faire place au progrès tout en restant musulman ? Les penseurs Tahar Haddad et Tahar Ben Achour et un grand leader politique Habib Bourguiba l’ont fait en leur temps. Combien de générations et combien de temps faudra-t-il encore patienter pour atteindre ce stade de maturité sociale qui permettra à la femme et l'homme d'être réellement libres et égaux ?

Essebsi otage d'Ennahdha

Le chef de l’Etat est revenu, par ailleurs, sur la position du parti Ennahdha concernant le rapport de la Colibe. « Le parti Ennahdha m’a remis une lettre contenant sa position. Le parti approuve certains points et émet des réserves sur d’autres, et c’est évident. Nul ne peut contester son référentiel religieux malgré tout. Nous avons traité avec ce parti durant près de 3 ans et nous avons réussi à maintenir une stabilité relative grâce au consensus. En tout cas, je ne parlerai pas du contenu de la lettre et je laisse le choix à Ennahdha s’il veut la rendre publique ». Ennahdha est contre le projet de loi sur l’héritage. BCE n’est pas sûr d’avoir une majorité pour faire cette loi.

Lors de son discours, le Président avait le profil bas vis à vis de son partenaire promoteur du consensus. Il n'a fait que de la propagande pour Ennahdha dans la dernière partie de son discours en espérant que les députés nahdhaouis voteront prochainement la loi à l’Assemblée. Il pouvait faire cette annonce depuis le début de son mandat et on ne sera pas dans cette situation qui a servi électoralement Ennahdha.

BCE qui se croyait Machiavel a trouvé Machiavel et demi dans la personne de Ghannouchi, le grand champion de l'alliance qui tue le partenaire par KO électoral et en continuant d'être présent dans les gouvernements successifs depuis 2012 afin de continuer à envahir plus les rouages de l'Etat.

Le mérite de BCE pour le moment est bel et bien d’avoir relancé le débat, de faire réagir et  de chercher à provoquer de telles réactions hostiles pour dévoiler le vrai visage conservateur  d’Ennahdha et d’autres et montrer que les islamistes n’ont pas évolué sur les sujets de société et qu’ils sont les champions du double langage. Le vote à l’ARP fera tomber les masques.

L'entente avec les Islamistes a complétement desservi le Président, son parti et le camp des progressistes. Nidaa Tounes a explosé en 3 partis, le bilan des 2 gouvernements successifs depuis 2014 est catastrophique économiquement et socialement, une Assemblée des Représentants du Peuple dominée par une majorité à 2 têtes qui s’opposent, une fin de règne où il se trouve isolé dans son palais de Carthage sans cartes à jouer pour influencer la cour des choses même vis à vis de son fils spirituel Youssef Chahed  le chef du  gouvernement qui s'est rebellé contre lui.  Un échec cuisant des deux documents de Carthage dont il était l'initiateur et qui ont offert aucune amélioration de la vie quotidienne des tunisiens. Un échec politique éclatant et désespérant pour tous ses électeurs qui ont cru en lui en s’alliant dès le premier jour de son mandat aux islamistes. Ceci a abouti à la sanction de son parti Nidaa Tounes par les urnes lors des municipales du mois de mai dernier où il a perdu en quatre ans un million de voix.

Essebsi élu royalement en 2014 était l’espoir des Tunisiens pour barrer la route à Ennahdha et aux islamistes sur un autre projet de société dans la continuité de celui de Bourguiba basé sur le progrès pour tous, la modernité et les lumières. Erreur des électeurs vu qu’Essebsi s’est allié avec Ennahdha pour gouverner et était incapable de le réaliser. Il a gagné les élections surtout par rejet aux islamistes et non par adhésion à ce qu'il représente et à ce qu'il propose. Les grands projets de transformation de la société sont souvent portés par des grands visionnaires qui ne reculent pas devant les méandres et qui n'acceptent aucune compromission. Un mandat presque blanc en termes de résultats et sans grandes réalisations. Il a suivi le même chemin que Fouad Mebazaa et Moncef Marzouki les deux ex présidents provisoires. Il finira son premier et dernier mandats. Il finira par ne pas se représenter vu son âge avancé (92 ans) et son bilan catastrophe.

Beji Caid Essebsi a réellement  raté une occasion pour entrer dans l'histoire et a perdu complètement sa popularité même auprès de ses électeurs. Il a échoué dans sa mission de comparaison avec Bourguiba. Son bilan l’atteste. N'est pas Bourguiba qui veut...

A.K

 

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